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En Bavière, le spectre de l’antisémitisme plane sur les élections régionales

Meeting de Hubert Aiwanger
Hubert Aiwanger est attendu pour un meeting de campagne à Keferloh, une municipalité près de Munich, le 3 septembre 2023 (slogan de l’affiche : « Nous sommes à vos côtés »). Tobias Schwarz/AFP

C’est une « polémique » dont se serait bien passée la Christlich soziale union in Bayern (CSU, Union chrétienne-sociale), à quelques jours seulement des élections régionales qui doivent se dérouler le 8 octobre 2023 en Bavière.

Hubert Aiwanger, numéro deux du gouvernement régional bavarois, a vu son passé ressurgir dans la presse allemande. Il est accusé d’avoir rédigé un tract antisémite à l’âge de 17 ans, lorsqu’il était au lycée. L’affaire, qui remonte à l’année 1987/1988, a été rendue publique par le journal allemand Süddeutsche Zeitung à la fin du mois d’août. Le tract en question annonçait un « concours national » pour élire « le plus grand traître à la nation » puis invitait « les candidats à se faire connaître au camp de concentration de Dachau pour un entretien d’embauche ». Il dressait ensuite la liste des prix à décrocher : « Un vol libre dans la cheminée d’Auschwitz, un séjour à vie dans une fosse commune, une balle dans la nuque, une année à Dachau, une décapitation par guillotine ».

Hubert Aiwanger, aujourd’hui âgé de 52 ans, a au départ démenti en bloc les accusations, s’interrogeant sur l’opportunité de ces révélations à quelques semaines des élections et allant jusqu’à parler de « chasse aux sorcières ». Si de nombreuses voix l’ont invité à quitter ses fonctions, il a reçu un soutien de taille, celui de Markus Söder, le ministre-président de Bavière et président de la CSU :

« L’évincer de son poste ne serait pas proportionné […] Les faits remontent à 35 ans, personne n’est aujourd’hui celui qu’il était à l’époque. »

De nombreux élus souhaitant la démission d’Hubert Aiwanger se sont insurgés contre cette décision, et les réactions se sont aussi fait entendre parmi les responsables religieux du pays. De son côté, Karl Freller, directeur des mémoriaux bavarois, a estimé que la forme et le contenu étaient délibérément formulés de manière antisémite et que c’était inexcusable. Comment expliquer ce soutien du président de la CSU à Aiwanger, et que dit ce scandale de la situation politique allemande ?

Un enjeu politique national

La Bavière n’est pas un Land comme les autres. Avec près de 13,37 millions d’habitants, il est le deuxième Land le plus peuplé d’Allemagne après la Rhénanie-du-Nord-Westphalie, et les Bavarois ont toujours revendiqué avec force et fierté leur identité. Si les électeurs sont traditionnellement conservateurs, ce Land représente néanmoins pour l’ensemble des forces politiques du pays un laboratoire politique intéressant. Seulement présente en Bavière, la CSU, considérée comme plus traditionnelle et conservatrice que son partenaire fédéral la CDU (Union chrétienne-démocrate, longtemps à la tête du pays avec Angela Merkel, aujourd’hui dans l’opposition au gouvernement de coalition dirigé par le social-démocrate Olaf Scholz), a une influence non négligeable sur cette dernière.

Pour Markus Söder, les élections régionales constituent un enjeu national : il n’a jamais caché son intention de briguer un jour la chancellerie allemande. C’est pour des raisons électorales qu’il a tenu à défendre et à maintenir à son poste Hubert Aiwanger. Aiwanger est également le président du parti fédéral Freie Wähler (FW, Électeurs libres) qui, avec 27 élus au Landtag bavarois, soutient la CSU. Si Söder avait « lâché » son collègue, cette réaction aurait pu avoir des conséquences sur la coalition au pouvoir en Bavière et sur le soutien apporté par les FW.

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Pour l’instant, si l’on se fie aux sondages, « l’affaire Hubert Aiwanger » ne devrait pas avoir d’incidence en Bavière et Markus Söder devrait garder son poste de ministre-président à l’issue du vote du 8 octobre.

En effet, la CSU ne semble pas pâtir de l’affaire : elle devrait une fois de plus arriver en première position, recueillant entre 36 % et 38 % des suffrages. Les Grünen (Verts), Alternative pour l’Allemagne (AfD) et les FW espéreront tous trois prendre la deuxième place. Malgré « l’affaire Aiwanger », les FW obtiendraient entre 14 % et 17,5 % des voix. Les sondages situent les Grünen à 14-15 % et l’AfD à 13-14 %. De son côté, le SPD (Parti social-démocrate) devrait se contenter de 8,5 % à 9 % des suffrages.

Il n’y a rien d’étonnant à voir la CSU faire la course largement en tête, tant la Bavière est un Land qui lui est acquis électoralement – et ce, depuis 1958. Cette affaire n’aura donc probablement aucun impact sur le scrutin. La raison principale ? Une parole politique de plus en plus décomplexée à droite de l’échiquier politique allemand, en partie du fait de l’influence croissante de l’AfD.

Le retour de l’antisémitisme

Fondée en février 2013, l’AfD s’est très rapidement emparée des thèmes de campagne propres aux partis d’extrême droite en Europe tels que l’immigration, la sécurité ou encore l’opposition entre « les élites politiques » et « le peuple ». Désormais apparaissent aussi l’hostilité à l’islam, la défense d’une Europe composée d’États souverains, l’opposition au mariage de personnes de même sexe, et la fin de la « culture de repentance » allemande pour les crimes commis durant la période nazie – une revendication qui invite à souligner la proximité idéologique de certains cadres avec le national-socialisme.

Björn Höcke, représentant du courant le plus radical de l’AfD (Der Flügel :l’Aile), qui défend une vision nationale ethnique, reprend ainsi ouvertement une rhétorique propre au national-socialisme. En janvier 2017, devant les jeunes de l’AfD, il s’est indigné de la présence du Mémorial de la Shoah construit à Berlin, se désolant que les Allemands soient « le seul peuple au monde à avoir implanté au cœur de sa capitale un monument de la honte ».

En outre, de nombreux cadres du parti n’ont jamais manifesté d’hostilité à l’égard de l’idéologie national-socialiste. En pleine campagne des législatives en 2017, Alexander Gauland, qui allait devenir peu après président du groupe AfD au Bundestag, habitué aux sorties provocatrices et polémiques (un peu comme Jörg Haider en son temps en Autriche) avait vanté les mérites des soldats de la Wehrmacht.

Pour le politologue néerlandais Lars Rensmann, « l’hostilité à Israël, la relativisation de l’Holocauste, la conspiration antisémite et les images anti-juives occupent une place prépondérante » dans les idées de l’AfD.

Un exemple supplémentaire est celui de Wolfgang Gedeon, député du Land de Bade-Wurtemberg. Avant de s’engager au sein de l’AfD, celui-ci avait publié plusieurs livres dans lesquels il reprenait des idées conspirationnistes et antisémites. Si l’AfD a, en apparence, condamné ses propos, son exclusion ne s’est pas opérée tout de suite. Au niveau régional, Jörg Meuthen, alors président du groupe AfD dans le Land, avait appelé à son exclusion. Mais celle-ci ne s’était pas concrétisée, faute de majorité sur le sujet au sein du groupe. Wolfgang Gedeon avait alors bénéficié du soutien indéfectible de certains de ses collègues du Parlement régional. Mais cet épisode avait provoqué une scission au sein de l’AfD. Il aura fallu attendre l’intervention de Frauke Petry, la co-présidente fédérale du parti, pour que Wolfgang Gedeon « daigne » quitter le groupe.


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Si les sorties antisémites proviennent essentiellement de l’AfD, « l’affaire Hubert Aiwanger » ne doit pas être minimisée. Elle devrait agir comme un coup de semonce dans la conscience collective allemande : l’antisémitisme est loin d’être un fléau éradiqué. En 2021, le rapport annuel du gouvernement allemand sur l’évolution de l’extrémisme alertait sur une augmentation de près de 29 % des actes antisémites en un an (3 027 enregistrés actes en 2021, contre 2 351 en 2020). Pour le moment, le réveil ne semble pas avoir lieu. D’après un sondage paru le 4 septembre 2023, si des législatives avaient lieu prochainement au niveau fédéral, la CDU/CSU ne pâtirait guère des révélations concernant Aiwanger. La liste présentée conjointement par les deux partis obtiendrait près de 26,5 % des voix. En pleine ascension, l’AfD deviendrait la deuxième force du pays avec 21,5 % des voix, devançant ainsi les deux partis actuellement au pouvoir le SPD (17,5 %) et les Grünen (13,5 %).

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