tag:theconversation.com,2011:/fr/topics/la-poste-79571/articlesLa Poste – The Conversation2020-08-26T17:43:33Ztag:theconversation.com,2011:article/1449182020-08-26T17:43:33Z2020-08-26T17:43:33ZPourquoi la poste américaine est-elle devenue un enjeu de la présidentielle ?<p>Bien que minoritaire, le vote par correspondance n’est pas nouveau aux États-Unis, et il est en <a href="https://www.pewresearch.org/fact-tank/2020/06/24/as-states-move-to-expand-the-practice-relatively-few-americans-have-voted-by-mail/">constante augmentation depuis 25 ans</a> : si 7,8 % seulement des électeurs ont envoyé leur bulletin par voie postale lors de la présidentielle de 1996, ils ont été un peu plus de 20 % à le faire durant celle de 2020.</p>
<p>Ce qui est nouveau en vue des élections du 3 novembre 2020, c’est la perspective que cette méthode de vote se généralise en pleine crise de coronavirus. Or si, constitutionnellement, chacun des États fédérés organise l’élection sur son territoire, c’est un service fédéral, le département des Postes (<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/United_States_Postal_Service">The United States Postal Service</a>, USPS), qui est chargé d’acheminer les bulletins par correspondance.</p>
<p>La réorganisation de ce service public, dont le but officiel est de le rendre bénéficiaire, suscite actuellement une polémique majeure, les adversaires de Donald Trump soupçonnant le président de vouloir <a href="https://www.bfmtv.com/economie/international/etats-unis-trump-accuse-de-vouloir-detruire-la-poste-americaine-pour-eviter-le-vote-par-correspondance_AD-202008160028.html">« détruire l’USPS »</a> afin de restreindre considérablement le recours au vote par correspondance lequel, selon Trump, avantagerait son adversaire Joe Biden.</p>
<h2>Un vote par correspondance populaire mais politisé</h2>
<p>Selon un récent sondage paru dans le <a href="https://www.washingtonpost.com/politics/2020/08/11/only-1-in-5-republicans-say-theyre-likely-vote-by-mail/"><em>Washington Post</em></a>, une majorité (58 %) des électeurs américains sont favorables à l’extension du vote par correspondance cette année.</p>
<p>Mais, comme sur beaucoup de sujets, les Américains sont idéologiquement divisés, même sur cette question à première vue purement technique : 90 % des démocrates estiment que c’est une bonne idée contre seulement 20 % des républicains. Ce fossé s’explique en partie par la politisation de la pandémie : en juillet 2020, seule une <a href="https://www.pewresearch.org/fact-tank/2020/07/22/republicans-remain-far-less-likely-than-democrats-to-view-covid-19-as-a-major-threat-to-public-health/">minorité de républicains (46 %)</a> considéraient la Covid-19 comme une menace majeure pour la santé publique, contre 85 % des démocrates.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/354439/original/file-20200824-18-1yk6yc0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/354439/original/file-20200824-18-1yk6yc0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/354439/original/file-20200824-18-1yk6yc0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=684&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/354439/original/file-20200824-18-1yk6yc0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=684&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/354439/original/file-20200824-18-1yk6yc0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=684&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/354439/original/file-20200824-18-1yk6yc0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=860&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/354439/original/file-20200824-18-1yk6yc0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=860&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/354439/original/file-20200824-18-1yk6yc0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=860&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Perception du danger que représente la Covid-19 par les démocrates et les républicains.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Pew Research Center</span></span>
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<p>Il n’est donc pas étonnant que les <a href="https://www.axios.com/axios-ipsos-coronavirus-index-in-person-campaigning-50124c22-1163-4a6e-b45a-af1acc7ca337.html">démocrates se montrent plus inquiets que les républicains</a> à l’idée de se déplacer dans les bureaux de vote pour voter en personne.</p>
<h2>L’extension inéluctable du vote par correspondance</h2>
<p>D’ores et déjà, <a href="https://ballotpedia.org/All-mail_voting">cinq États</a> organisent des élections presque entièrement par correspondance. De plus, les trente-quatre États, ainsi que le District de Columbia, qui autorisaient déjà tout le monde à voter par correspondance, sous certaines conditions, vont faciliter la procédure. Et de nombreux autres vont envoyer à chaque électeur inscrit un formulaire de demande de vote par correspondance.</p>
<p>Selon les <a href="https://www.washingtonpost.com/graphics/2020/politics/vote-by-mail-states/?itid=lk_inline_manual_3">calculs du <em>Washington Post</em></a>, plus de 80 % des électeurs américains pourraient potentiellement voter par correspondance à l’automne.</p>
<p>Même les États dirigés par des républicains ont favorisé le vote par correspondance, dans l’intérêt de <a href="https://www.politico.com/news/2020/08/19/republicans-mail-in-voting-trump-398774">leurs électeurs âgés ou résidant dans des zones plus rurales</a>.</p>
<h2>La stratégie républicaine : limiter l’accès des minorités au vote</h2>
<p>Comme l’a encore récemment <a href="http://www.andrewbenjaminhall.com/Thompson_et_al_VBM.pdf">montré une étude de l’université de Stanford</a>, le vote par correspondance n’avantage pas, en soi, un parti plutôt qu’un autre. Mais il permet une légère augmentation de la participation électorale, notamment celle des minorités, ce qui est perçu par les républicains comme une menace existentielle.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1295668199049043968"}"></div></p>
<p>Cela met en effet en péril la <a href="https://www.nytimes.com/2015/07/29/magazine/voting-rights-act-dream-undone.html">stratégie républicaine</a> consistant à <a href="https://www.amazon.com/Politics-Voter-Suppression-Defending-Foundation/dp/0801450853">limiter l’accès au vote des minorités, qui sont majoritairement démocrates</a>. Une stratégie qu’a facilitée en 2013 <a href="https://www.supremecourt.gov/opinions/12pdf/12-96_6k47.pdf">l’invalidation par la Cour suprême</a> d’une partie de la loi sur le droit de vote de 1965. Quatorze États ont ainsi pu mettre en place de nouvelles restrictions de vote <a href="https://www.kqed.org/lowdown/14543/how-to-navigate-americas-perplexing-patchwork-of-voting-laws">lors des élections de 2016</a>, y compris des États charnières comme la Virginie et le Wisconsin. Cette tactique a été récemment dénoncée par l’ancien président Barack Obama <a href="https://www.nytimes.com/2020/07/30/us/obama-eulogy-john-lewis-full-transcript.html">dans le discours qu’il a prononcé lors des funérailles du représentant et activiste civique John Lewis</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Nous, les Africains-Américains, n’aurons peut-être plus à deviner le nombre de bonbons haricots dans un pot pour pouvoir voter. Mais alors même que nous sommes assis ici, il y a ceux qui sont au pouvoir et font tout leur possible pour décourager les gens de voter – en fermant les bureaux de vote, en ciblant les minorités et les étudiants avec des lois restrictives sur les pièces d’identité, et en attaquant nos droits de vote avec une précision chirurgicale, voire en sapant le service postal à l’approche d’une élection dont l’issue va dépendre des bulletins de vote envoyés par la poste pour que les gens ne tombent pas malades. »</p>
</blockquote>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/tVvAQTiUmMY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Discours de Barack Obama lors des funérailles de John Lewis.</span></figcaption>
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<h2>Des accusations de fraude sans preuve</h2>
<p>Le coronavirus représente donc une double menace pour Donald Trump puisque le président se trouve également <a href="https://projects.fivethirtyeight.com/trump-approval-ratings/">au plus bas dans les sondages</a>, notamment du fait des reproches qui lui sont adressés pour sa gestion de l’épidémie.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/354665/original/file-20200825-21-1uhe2ty.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/354665/original/file-20200825-21-1uhe2ty.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=319&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/354665/original/file-20200825-21-1uhe2ty.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=319&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/354665/original/file-20200825-21-1uhe2ty.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=319&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/354665/original/file-20200825-21-1uhe2ty.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=401&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/354665/original/file-20200825-21-1uhe2ty.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=401&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/354665/original/file-20200825-21-1uhe2ty.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=401&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Sondage – Août 2020.</span>
<span class="attribution"><span class="source">FiveThiryEight</span></span>
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<p>Sa stratégie, dès lors, est de semer la confusion, y compris sur la légitimité des élections et d’un résultat qui pourrait lui être défavorable. Il est d’ailleurs le premier président américain à laisser <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/donald-trump-refuse-de-dire-sil-acceptera-le-resultat-de-lelection-presidentielle_fr_5f146cd8c5b6d14c33687f60">planer le doute quant à son acceptation des résultats</a>, en affirmant que le vote par correspondance allait truquer les élections et conduire à une fraude généralisée. </p>
<p>Il prétend ainsi que des millions de bulletins sont manquants ou falsifiés et que d’autres sont envoyés aux mauvaises personnes, voire à des électeurs décédés, quand ce n’est pas <a href="https://factba.se/transcript/donald-trump-remarks-anniversary-19th-amendment-women-vote-august-18-2020">à leurs chiens ou à leurs chats</a>. Des affirmations sans preuve qu’il répète à l’envi depuis début avril, pourtant largement démontrées comme fausses (<a href="https://www.washingtonpost.com/politics/minuscule-number-of-potentially-fraudulent-ballots-in-states-with-universal-mail-voting-undercuts-trump-claims-about-election-risks/2020/06/08/1e78aa26-a5c5-11ea-bb20-ebf0921f3bbd_story.html">ici</a> et <a href="https://www.factcheck.org/2020/08/trump-campaign-exaggerates-potential-for-mail-in-voting-fraud-after-election/">ici</a> ou <a href="https://www.nytimes.com/article/mail-in-voting-explained.html">ici</a>).</p>
<h2>Une prédiction auto-réalisatrice</h2>
<p>D’après les démocrates, Donald Trump cherche à réaliser sa prédiction de chaos électoral en <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/08/15/donald-trump-bloque-le-financement-de-la-poste-pour-affaiblir-le-vote-par-correspondance_6049010_3210.html">empêchant le bon fonctionnement de la Poste qui livre les bulletins</a>. C’est ce que <a href="https://factba.se/transcript/donald-trump-interview-fox-business-maria-bartiromo-august-13-2020">semble dire le président lui-même</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Les démocrates veulent 25 milliards pour la Poste. Ils ont besoin de cet argent pour faire fonctionner la poste afin qu’elle puisse recevoir tous ces millions et millions de bulletins de vote. Or, en attendant, ils n’y arrivent pas. […] Mais s’ils ne reçoivent pas les 25 milliards, cela signifie que vous ne pouvez pas avoir le vote par correspondance universel parce qu’ils ne sont pas équipés pour l’avoir. »</p>
</blockquote>
<p>À ce genre de discours s’ajoute la nomination, en mai, de <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Louis_DeJoy">Louis DeJoy</a>, un important donateur de Donald Trump sans aucune expérience dans le domaine postal, à la fonction de <a href="https://www.nytimes.com/2020/05/07/us/politics/postmaster-general-louis-dejoy.html">directeur général des Postes</a>. Rapidement, DeJoy <a href="https://theintercept.com/2020/07/29/usps-postal-service-privatization/">réorganise les services de la poste</a>, au prétexte de résoudre de graves problèmes financiers, avec pour résultat la dégradation du service de distribution du courrier et une <a href="https://www.washingtonpost.com/local/md-politics/usps-states-delayed-mail-in-ballots/2020/08/14/64bf3c3c-dcc7-11ea-8051-d5f887d73381_story.html">lettre des services postaux avertissant 46 États</a> que leurs électeurs pourraient être privés de leur droit de vote en raison du retard des bulletins de vote par correspondance.</p>
<h2>La destruction des services publics</h2>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/354631/original/file-20200825-16-1y3md69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/354631/original/file-20200825-16-1y3md69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/354631/original/file-20200825-16-1y3md69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=565&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/354631/original/file-20200825-16-1y3md69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=565&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/354631/original/file-20200825-16-1y3md69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=565&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/354631/original/file-20200825-16-1y3md69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=710&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/354631/original/file-20200825-16-1y3md69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=710&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/354631/original/file-20200825-16-1y3md69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=710&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">L’ancien bâtiment central de la poste centrale de Washington, DC, est aujourd’hui un hôtel appartenant à Donald Trump.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/Old_Post_Office_(Washington,_D.C.)#/media/File:Old_Post_Office_Building,_Washington,_D.C.jpg">Mike Peel/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les critiques de Donald Trump envers la Poste <a href="https://www.washingtonpost.com/politics/trump-post-office-mail-vote/2020/08/15/27a2ffd4-de5f-11ea-809e-b8be57ba616e_story.html">ne datent pas d’hier</a>. Mais elles se sont intensifiées en 2017 en raison de l’accord de tarification passé entre le service postal et Amazon dont le PDG, Jeff Bezos, est la bête noire du président parce qu’il est propriétaire du <em>Washington Post</em>, un journal dont le locataire de la Maison Blanche estime qu’il est profondément <a href="https://www.vanityfair.com/news/2020/04/trumps-vendetta-against-jeff-bezos-could-destroy-the-postal-service">injuste à son égard</a>.</p>
<p>Au-delà des objectifs électoraux à court terme, cette réorganisation est révélatrice de la vision républicaine de l’agence, qui doit être un business qui rapporte davantage qu’une institution qui <a href="https://theconversation.com/a-dismantled-post-office-destroys-more-than-mail-service-144330">fournit un service universel</a>.</p>
<p>Rien de surprenant donc à ce que son nouveau directeur ait des <a href="https://edition.cnn.com/2020/08/12/politics/postal-service-dejoy-conflicts-amazon-trades-xpo-stake/index.html">investissements dans des entreprises concurrentes</a> et sous-traitantes de la Poste. Il n’est d’ailleurs pas le seul donateur du candidat Trump à être devenu <a href="https://www.theatlantic.com/business/archive/2017/01/trumps-appointees-conflicts-of-interest-a-crib-sheet/512711/">membre de l’administration et accusé de conflits d’intérêts</a>, en violation de la loi fédérale. Pour <a href="https://www.washingtonpost.com/opinions/2019/12/02/trump-is-continuing-deconstruction-administrative-state/">l’historien conservateur Max Boot</a>, Trump a mis en place une véritable entreprise de déconstruction de « l’État administratif » fédéral, agence par agence. C’est la destruction de ce soi-disant <a href="https://www.conspiracywatch.info/etat-profond ?gclid=Cj0KCQjw4f35BRDBARIsAPePBHyuJhgL6w-2UV3Q7M_hR79bA1mhdBT5dqDlVLwgd2GZ_3YXUvXkv6oaAl3oEALw_wcB">« État profond »</a> tel qu’en avait <a href="https://www.washingtonpost.com/politics/top-wh-strategist-vows-a-daily-fight-for-deconstruction-of-the-administrative-state/2017/02/23/03f6b8da-f9ea-11e6-bf01-d47f8cf9b643_story.html ?itid=lk_inline_manual_4">rêvé l’ancien stratège de Trump, Steve Bannon</a>.</p>
<h2>Un pari risqué ?</h2>
<p>Mais c’est un jeu dangereux qui pourrait se retourner contre le président sortant. La poste est en effet <a href="https://www.pewresearch.org/politics/2020/04/09/public-holds-broadly-favorable-views-of-many-federal-agencies-including-cdc-and-hhs/">l’agence fédérale la plus populaire</a> : elle fournit un service <a href="https://www.latimes.com/california/story/2020-08-14/trump-usps-fight-hurts-voters-before-november-election">important pour son propre électorat</a> situé dans les <a href="https://www.npr.org/2020/08/20/904263000/why-rural-america-is-fighting-the-trump-administration-on-the-post-office">zones rurales</a>, mais aussi parmi les personnes âgées et les anciens combattants. Sous la pression publique, Louis DeJoy <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/08/18/la-poste-americaine-repousse-ses-reformes-accusees-d-entraver-le-vote-par-correspondance_6049271_3210.html">a donc suspendu ses réformes</a> et a dû <a href="https://www.nytimes.com/2020/08/20/us/politics/louis-dejoy-testimony-postal-service.html">s’expliquer devant le Sénat</a>.</p>
<p>Pourtant, Donald Trump pourrait réussir un autre pari. Celui d’installer un doute qui lui profitera et qu’il saura exploiter si, comme c’est probable, les résultats définitifs ne tombent pas le soir des élections, et que le « jour d’après » se transforme en « semaines d’après ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/144918/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jérôme Viala-Gaudefroy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’administration Trump souhaite réformer en profondeur le service postal américain. Or ce service gère le vote par correspondance, lequel pourrait jouer un rôle clé dans la prochaine présidentielle.Jérôme Viala-Gaudefroy, Assistant lecturer, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1352632020-04-05T16:50:07Z2020-04-05T16:50:07ZLe Covid-19 met en péril le dépistage néonatal<p>Le confinement affecte la plupart des services administratifs en France – qui comptent sur la dématérialisation pour assurer la liaison avec les usagers. La Poste n’est pas épargnée. L’entreprise anciennement administrée par l’état français est devenue une <a href="https://www.groupelaposte.com/fr/missions-de-service-public">« société anonyme à capitaux publics en 2010 »</a>.</p>
<p>Le groupe La Poste reste par ailleurs chargé de quatre missions de service public parmi lesquelles la mission du « service postal universel », qui comprend notamment une levée et distribution des courriers et colis assurées six jours sur sept sur l’ensemble du territoire national à des prix abordables pour tous les utilisateurs. Ce rôle de prestataire du « service postal universel » a été confirmé <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichLoiPubliee.do?idDocument=JORFDOLE000020913200&type=general">par la loi du 9 février 2010</a> pour une durée de quinze ans soit jusqu’en 2025.</p>
<p>Cette mission de service public est aujourd’hui sérieusement affectée par la crise sanitaire. Partout en France, relève et distribution des courriers ne sont plus assurées, les centres de tri ralentis, les bureaux de poste fermés. Ces retards sont particulièrement inquiétants pour un autre service, passé sous silence : le programme national de dépistage néonatal.</p>
<h2>Le dépistage néonatal, un enjeu sanitaire</h2>
<p>Le dépistage néonatal concerne en France toutes les naissances soit, <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/4281618">chaque année, environ 750 000 nouveau-nés</a>. Les tests de dépistage permettent de détecter certaines maladies qui ne sont pas visibles à la naissance, mais qui peuvent avoir des conséquences sérieuses chez les enfants atteints, s’ils ne sont pas traités très rapidement. Cinq maladies sont <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000036650121&categorieLien=id">actuellement dépistées</a> : phénylcétonurie, hypothyroïdie congénitale, hyperplasie congénitale des surrénales, mucoviscidose et drépanocytose.</p>
<p>Sans dépistage, l’enfant risque de ne pas être reconnu comme pouvant être malade et ne pas être traité en temps utile. Les <a href="https://www.medecinesciences.org/en/articles/medsci/full_html/2018/05/medsci180139s/medsci180139s.html">résultats de ce dépistage</a> sont ainsi très importants. En effet, les enfants atteints de l’une de ces cinq maladies bénéficient d’un accompagnement et d’un traitement dès leurs premières semaines de vie. Cette prise en charge très précoce permet à la plupart de ces enfants de grandir et de se développer normalement.</p>
<p>En 2019, comme chaque année, <a href="http://depistage-neonatal.org/">près de 1 000 enfants</a> ont été confirmés malades après un dépistage « positif » et ont pu ainsi bénéficier d’une prise en soins efficace et adaptée, évitant décès précoce, handicap ou retard au développement.</p>
<h2>La Poste acteur clef du circuit sanitaire</h2>
<p>Le dépistage néonatal, fortement recommandé, repose sur un prélèvement de quelques gouttes de sang, pratiqué au 3<sup>e</sup> jour après la naissance, par piqûre au talon de l’enfant et recueilli sur un papier buvard, après consentement des parents, par un professionnel de santé de la maternité (près de 500 maternités), ou parfois par la sage-femme lors d’un retour précoce à domicile.</p>
<p>Les buvards sont ensuite placés dans des enveloppes, puis acheminés, de principe, par courrier postal vers le Centre régional du dépistage néonatal (CRDN) ou, lorsqu’il existe, par un système de navettes entre hôpitaux. Les analyses sont ensuite effectuées par un ou des laboratoires de biologie médicale. C’est ici que l’arrêt ou le retard de l’acheminement des buvards par La Poste met en danger le dépistage néonatal et la santé des enfants concernés. De la rapidité avec laquelle les tests sont réalisés, quelques jours pour certaines des maladies dépistées, dépendent les conséquences sur la santé des enfants atteints.</p>
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<figcaption><span class="caption">La France aurait pris un certain retard avant d’appliquer des mesures de dépistage néonatal, France Culture, 2019.</span></figcaption>
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<h2>Des premières alertes aux solutions mises en œuvre</h2>
<p>Dès le 17 mars, des CRDN ont alerté par mail et contacts directs les Agences régionales de santé et le Centre national de coordination du dépistage néonatal (CNCDN) : les buvards n’arrivent plus en nombre habituel aux CRDN.</p>
<p>Les raisons en sont multiples : boîtes aux lettres non relevées, exercice d’un droit de retrait des équipes d’un centre de tri, non-distribution des courriers à partir du centre de tri.</p>
<p>Le CNCDN et les services du Ministère des Solidarités et de la Santé sont intervenus, séparément puis lors de réunions communes, au niveau national auprès du Groupe La Poste, pour tenter de résoudre le problème. Après une semaine d’échanges, Le Groupe La Poste a cependant confirmé l’absence de solution possible et pérenne par le circuit postal habituel.</p>
<p>Le recours à des prestataires « privés » de transport de courriers pourrait être envisageable mais cela ne sera pas effectif sans délai de mise en place ni sans coût additionnel (de quelques centimes à plusieurs dizaines d’euros par enveloppe).</p>
<p>Le déplacement volontaire de professionnels de santé ? Ils devront alors apporter les buvards depuis les maternités ou depuis les cabinets de sages-femmes vers le CRDN ajoutant des tâches en cette période d’épidémie. La réquisition des personnels de la Poste ? Est-ce juridiquement possible, opérationnellement faisable et politiquement acceptable ?</p>
<h2>L’implication sans faille des professionnels de santé</h2>
<p>Les difficultés rencontrées soulignent l’importance de la coordination et de la complémentarité de tous les acteurs, soignants ou non soignants. Dans l’urgence, en cette fin du mois de mars 2020, les CRDN et les professionnels de santé cherchent et mettent en place, au mieux, territoire par territoire, maternité par maternité, les solutions d’acheminements des buvards au nombre de 60 000 chaque mois. Il s’agit à la fois « de rattraper » des buvards bloqués au cours de ces derniers jours et « d’organiser » un nouveau circuit d’acheminement robuste et exhaustif des buvards pour les semaines à venir.</p>
<p>Pour l’heure, grâce à l’implication des professionnels de santé et à la grande solidarité du monde de la santé, la plupart des nouveau-nés ont pu bénéficier de ces dépistages mais nous devons être vigilants pour maintenir coûte que coûte ce système.</p>
<p>Une fois l’épidémie de COVID-19 maîtrisée, il conviendra d’en tirer tous les enseignements. Ceci est d’autant plus nécessaire que l’élargissement du dépistage néonatal à de nouvelles maladies <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/plan_national_de_sante_publique__psnp.pdf">est d’ores et déjà engagé</a> pour une sixième maladie et <a href="https://www.has-sante.fr/jcms/c_2866458/fr/evaluation-a-priori-de-l-extension-du-depistage-neonatal-a-une-ou-plusieurs-erreurs-innees-du-metabolisme-par-spectrometrie-de-masse-en-tandem-volet-2">recommandé</a> pour sept autres maladies, soit 13 au total.</p>
<hr>
<p><em>Cet article a été rédigé avec le Professeur Frédéric Huet, CHU Dijon Bourgogne, Président de la Société française du dépistage néonatal (SFDN), le Dr. David Cheillan, Hospices Civil de Lyon, Président de la Commission nationale de biologie du dépistage néonatal, Dr Diane Dufour CHU Tours, Centre national de coordination du dépistage néonatal (CNCDN), Dr Paul Brégeaut, CHU Tours, Centre national de coordination du dépistage néonatal (CNCDN)</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/135263/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Rusch est responsable du Centre National de coordination du dépistage néonatal (CNCDN). Le CHU de Tours est porteur de ce Centre au terme d'un appel d'offre national. Le CHU de Tours reçoit un financement pour le fonctionnement du CNCDN
Emmanuel Rusch est Président de la Société Française de Santé Publique (SFSP) et Président de la Conférence Nationale de Santé (CNS).</span></em></p>Le bouleversement de La Poste en temps de crise sanitaire est particulièrement inquiétant pour certaines missions de service public comme le programme national de dépistage néonatal.Emmanuel Rusch, Directeur équipe recherche Education Ethique Santé (EA7505), Université de ToursLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1282472019-12-03T17:18:30Z2019-12-03T17:18:30ZAu-delà du 5 décembre, la guérilla sociale des postiers<p>Quelle sera la participation des postiers au mouvement de grève du 5 décembre ? Certains syndicats ont appelé à rejoindre la manifestation nationale contre la réforme des retraites, <a href="http://www.fo-communication.fr/">à l’exemple de FO Communication</a>. Cependant, la mobilisation nationale cache une guérilla du quotidien et invisible au sein de l’institution, en proie à des réformes et changements constants.</p>
<p>Il faut remonter aux mobilisations interprofessionnelles du début des <a href="https://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/la-poste-la-sncf-et-l-education-nationale-egalement-en-greve-en-janvier_1365531.html">années 2000</a> pour retrouver les signes d’un engagement simultané et significatif numériquement des postiers dans une grève. Mais si les (rares) appels de syndicats à des arrêts de travail nationaux n’y ont guère eu de succès, il s’y déroule pourtant une véritable guérilla sociale.</p>
<p>Le sociologue n’est pas un prévisionniste social. Mais il peut tenter d’éclairer un tel paradoxe à partir de sa connaissance <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-02277046">d’un passé récent</a>.</p>
<h2>Des bouleversements considérables</h2>
<p>Depuis la <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2009/10/07/les-grandes-dates-de-la-poste-des-ptt-a-l-ouverture-a-la-concurrence_1250401_3234.html">fin des PTT et la création de La Poste</a> (1991), puis son passage en société anonyme (2010) les bouleversements sont considérables : modes de management inspirés du secteur privé, segmentation et déconcentration organisationnelle et territoriale, émiettement des unités de travail.</p>
<p>Le tout dans un contexte de la numérisation qui, si elle accroît le volume des colis, provoque le déclin rapide de celui des lettres, répercuté au travers d’une <a href="https://www.lefigaro.fr/conjoncture/2016/02/10/20002-20160210ARTFIG00093-le-declin-du-courrier-doit-inciter-la-poste-a-trouver-de-nouvelles-sources-de-revenus.php">réduction continue des effectifs</a> (perte d’un tiers en 15 ans). Réalisée principalement par le non-remplacement de départs en retraite, elle se traduit par un vieillissement du personnel, participant d’une <a href="https://www.lepoint.fr/politique/sante-au-travail-un-rapport-accable-la-poste-03-06-2010-462562_20.php">dégradation de la santé au travail</a> et de la montée de l’absentéisme.</p>
<p>Au sein du courrier, activité historique de l’opérateur, les directions ont choisi d’accompagner son déclin en rationalisant son acheminement et sa distribution, notamment via un vaste plan de concentration et d’automatisation du tri, la <a href="https://journals.openedition.org/nrt/5020">pré-quantification du travail assisté par logiciel</a> et de nouvelles modalités d’organisation du travail des postiers.</p>
<h2>La fin du métier de facteur</h2>
<p>S’annonce ainsi la fin du métier du facteur, du moins si on le définit comme unité organique des opérations de préparation et de distribution du courrier sur un segment connu de territoire : être « titulaire » de « sa » tournée, c’est y être stabilisé et donc pouvoir s’approprier pratiquement une portion de territoire. C’est-à-dire connaître et anticiper les mille particularités d’un parcours singulier et des destinataires – résidents, commerçants, entreprises – qu’il dessert.</p>
<p>Les nouvelles modalités d’organisation du travail se traduisent par la division des bureaux de distribution en « équipes » d’une dizaine à une vingtaine d’agents, au sein desquelles est instaurée la polyvalence et se multiplient ceux des facteurs non titulaires d’une tournée.</p>
<p>Par ailleurs, la visée d’une adaptation continue de l’organisation et de l’emploi à la diminution du volume du courrier se traduit par la fréquence des ajustements, pouvant intervenir tous les 18 mois à l’échelle d’un bureau.</p>
<h2>Un métier dénaturé</h2>
<p>Des grèves parviennent ici où là à retarder la mise en œuvre de ces transformations, mais sans empêcher leur progression, sur un mode très expérimental qui défavorise la généralisation d’une riposte syndicale. La crise sanitaire et sociale de 2011 débouche sur une formalisation plus grande du « dialogue social » (<a href="http://www.sudtmt.org/17.4-Ra">rapport</a> de la mission Kaspar), mais les orientations stratégiques sont validées.</p>
<p>Depuis, les réorganisations se poursuivent à un rythme soutenu, et toujours par un ajustement qui anticipe la diminution du trafic : les agents ont le sentiment non seulement d’être plongés dans une instabilité permanente, mais d’être particulièrement surchargés au cours des mois qui suivent une réorganisation.</p>
<p>Plus fondamentalement, le métier semble dénaturé, et la notion de service public gratuit s’évanouir. Nombre de facteurs sont choqués par la marchandisation de prestations qui faisaient partie intégrante à leurs yeux de leur mission de « lien social ». La plus connue est <a href="https://www.laposte.fr/veiller-sur-mes-parents/les-visites-du-facteur-une-prevention-contre-l-isolement-des-personnes-agees">« veiller sur vos parents »</a>, pour laquelle une factrice ou un facteur passe quelques minutes au domicile d’une personne âgée à vérifier son état de santé, qui est un service payant.</p>
<h2>Un climat social tendu</h2>
<p>Le dernier accord social <a href="https://www.lefigaro.fr/social/2017/02/01/20011-20170201ARTFIG00064-la-poste-valide-l-accord-sur-les-conditions-de-travail-de-ses-facteurs.php">signé en 2017</a> à la distribution par une partie des syndicats ne semble pas avoir pacifié le climat social. Car l’implantation de nouvelles organisations du travail se poursuit, finalisée par l’objectif d’une plus grande présence des facteurs dans l’espace public en après-midi, de manière à activer une demande potentielle en d’autres services que la distribution du courrier : livraison de colis, nouveaux services, ou l’assistance à la numérisation.</p>
<p>Les plus radicales de ces organisations spécialisent le facteur en distributeur, la préparation de sa tournée étant confiée à d’autres agents. Les « horaires collectifs » remplacent le système vécu comme plus souple dit de <a href="https://lexpansion.lexpress.fr/entreprises/absenteisme-fini-parti-les-facteurs-dans-le-collimateur-de-la-cour-des-comptes_1762276.html">« fini parti »</a>, lorsque les facteurs pouvaient rentrer chez eux une fois leur tournée achevée.</p>
<p>La coupure méridienne allonge la durée quotidienne de travail. Elle est vécue non seulement comme un « vol de temps », mais comme un <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01813854">bouleversement total du métier</a>, voire d’un élément catalyseur de sa disparition.</p>
<h2>Près de la moitié des agents entrés au moins une fois en grève</h2>
<p>Nous avons <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-02277046">recensé</a> un millier de grèves localisées intervenues entre janvier 2013 et mai 2018 à la distribution et pu étudier leurs motifs, leurs modalités et leurs résultats.</p>
<p>Elles sont majoritairement déclenchées par des réorganisations – récentes, en cours ou annoncées – incluant parfois une délocalisation du bureau, durent rarement plus de quelques jours, et ne mobilisent généralement que quelques dizaines de facteurs et de factrices. Mais au total cela représente sans doute près de la moitié des agents qui sont entrés au moins une fois en grève.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/304923/original/file-20191203-67023-1fe8apc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/304923/original/file-20191203-67023-1fe8apc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1067&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/304923/original/file-20191203-67023-1fe8apc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1067&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/304923/original/file-20191203-67023-1fe8apc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1067&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/304923/original/file-20191203-67023-1fe8apc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1340&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/304923/original/file-20191203-67023-1fe8apc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1340&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/304923/original/file-20191203-67023-1fe8apc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1340&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Gael Quirante, postier, secrétaire du syndicat Sud Poste 92. Sur 13 années, il aurait récolté au total un an et demi de mise à pied du fait de ses activités syndicales. Photo prise lors d’un rassemblement le 28 mars 2017.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/marsupilami92/34226078030">Patrick Janicek/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>La revendication de sauvegarde de l’emploi et de préservation des moyens humains nécessaires pour effectuer correctement la distribution du courrier apparaît dans près d’un conflit sur deux. La contestation de l’alourdissement et de l’allongement des tournées ou des changements d’horaires du travail dans un cas sur cinq. Les autres motifs de déclenchement sont moins fréquents : <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/reunion/distribution-plis-electoraux-greve-poste-712413.html">non-paiement des plis électoraux</a>, soutien à des agents sanctionnés, ou encore opposition à la <a href="https://www.humanite.fr/repression-antisyndicale-la-poste-poursuit-son-acharnement-contre-gael-quirante-653710">répression antisyndicale</a>.</p>
<p>Les accords de fin de conflit portent d’abord sur des gains en emplois et/ou en statut d’emploi : réduction du nombre de tournées supprimées, obtention de « moyens de remplacements » ou de « comblement de postes vacants », dé-précarisation d’emplois. Les thèmes liés à la charge de travail représentent près du tiers, notamment la limitation de la polyvalence ou un redécoupage allégeant les tournées. Aménagement du régime horaire et gains salariaux enfin sont cités dans des proportions proches.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/304939/original/file-20191203-66982-1tunqcr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/304939/original/file-20191203-66982-1tunqcr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/304939/original/file-20191203-66982-1tunqcr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/304939/original/file-20191203-66982-1tunqcr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/304939/original/file-20191203-66982-1tunqcr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/304939/original/file-20191203-66982-1tunqcr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/304939/original/file-20191203-66982-1tunqcr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Piquet devant la direction à Clichy, assemblée générale et grève reconductible simultanée pour un grand nombre de bureaux, 13 novembre 2015.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/marsupilami92/22953256072/in/photostream/">Patrick Janicek/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<h2>Un conflit permanent sur un territoire inégal</h2>
<p>Comparées aux revendications mises en avant dans cette fraction des grèves pour laquelle nous connaissons les protocoles de fin de conflit, les concessions les plus fréquentes se situent sur le plan de l’emploi. Réorganisations et délocalisations sont nettement moins souvent objet de compromis. Les autres thèmes se situent en fréquence intermédiaire, en dehors de l’enjeu spécifique de l’introduction de la coupure méridienne, laquelle fait plus rarement l’objet de concessions des directions.</p>
<p>La guérilla sociale freine donc la dégradation du travail et du métier, mais elle ne l’interrompt pas et elle en entretient de fortes inégalités territoriales.</p>
<p>À La Poste, le contraste entre le faible impact d’appels nationaux à la grève et la vitalité de la conflictualité locale renvoie au fait que ce qui impacte le plus les conditions de travail des facteurs se joue au niveau de chaque unité de distribution et de manière asynchrone.</p>
<p>Quant aux difficultés de généralisation de ces conflits, elles tiennent à des causes qui ne sont guère spécifiques au contexte postal. Si le défaut d’imaginaire politique alternatif pèse sur les mouvements sociaux contemporains, ici il prend le visage de la difficulté à imaginer une issue à la dégradation, voire à la fin du métier.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/128247/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jacques Bouteiller est également autoentrepreneur.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Paul Bouffartigue ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si les appels de syndicats de postiers à des arrêts de travail nationaux n’ont guère eu de succès, il se déroule pourtant une véritable guérilla sociale au sein de l’institution.Paul Bouffartigue, Sociologue, directeur de recherche CNRS émérite, Laboratoire d'Economie et de Sociologie du travail, Aix-Marseille Université (AMU)Jacques Bouteiller, Socio-économiste, chercheur associé au laboratoire d’économie et de sociologie du travail, UMR 6123, Aix-en-Provence, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/906772018-06-20T18:44:42Z2018-06-20T18:44:42ZLe facteur et le juge face « aux Américains »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/223644/original/file-20180618-85822-698fv1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=6%2C4%2C709%2C534&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le facteur et les Américains…</span> <span class="attribution"><span class="source">Jacques Tati</span></span></figcaption></figure><p>Dans un village français après la guerre, Jacques Tati met en scène un facteur des Postes Télégraphes et Téléphones. Jour de fêtes. Sur la place du village, est projeté un film louant les prouesses de la poste américaine, la US Postal : des avions remplis de sacs postaux décollent jour et nuit, des milliers de lettres sont triées automatiquement par des machines. Notre facteur ne se laisse pas impressionner pour autant : il est prêt à relever le défi.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/223643/original/file-20180618-85869-4npm6f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/223643/original/file-20180618-85869-4npm6f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/223643/original/file-20180618-85869-4npm6f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/223643/original/file-20180618-85869-4npm6f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/223643/original/file-20180618-85869-4npm6f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/223643/original/file-20180618-85869-4npm6f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/223643/original/file-20180618-85869-4npm6f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/223643/original/file-20180618-85869-4npm6f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">‘François à l’Americaine’ par Laurent Durieux pour Nautilus Art Prints.</span>
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<p>Faisant appel à son génie gaulois, il accroche son vélo à l’arrière d’un camion pour tamponner ses lettres, il fiche une lettre sur les dents d’une fourche pour ne pas perdre de temps dans la distribution du courrier à domicile. Pourtant, le spectateur sent bien que la riposte du facteur français au défi américain va être difficile. On l’entend maugréer sans cesse <em>« les Américains, les Américains</em> »</p>
<p>S’agissant maintenant non plus de la Poste, qui a su, entre temps, se transformer et défier DHL mais de la lutte contre la corruption par les entreprises d’agents publics à l’étranger, le juge français se trouve, en forçant bien sûr le trait, dans la situation du facteur abasourdi devant cette poste américaine affichant des moyens insolents.</p>
<h2>Inégaux devant la lutte contre la corruption</h2>
<p>Pour lutter contre la corruption qui vient fausser la concurrence internationale, « les Américains » ont en effet déployé en 1977 un outil juridique, le <a href="https://bit.ly/2cOPIiB">Foreign Corrupt Practices Act</a> (FCPA) ; au départ la loi fédérale est appliquée aux seules entreprises américaines (des pots de vin versés par Lockheed à des responsables politiques allemands pour des achats d’avions de combat sont à l’origine de cette loi), puis, en 1998, cette loi fédérale a été étendue aux entreprises étrangères.</p>
<p>Les motifs d’ouverture d’un dossier de corruption par le DOJ (Department of Justice) <strong>hors du territoire américain</strong> peuvent être des plus ténus comme une opération contestée libellée en dollars ou comme un échange de courriels transitant par un serveur américain. Des investigations intrusives sont alors conduites au sein même des entreprises qui se retrouvent dans l’obligation de coopérer. Des fonctionnaires travaillant dans les services de renseignement (dont le FBI et la CIA qui ont à leur disposition des unités dédiées) coordonnent leurs efforts avec le Ministère de la Justice pour aboutir à fixer des amendes dont le montant est considérable. Enfin, des poursuites pénales peuvent aussi aboutir à des incarcérations de cadre identifié comme agent corrupteur.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/223646/original/file-20180618-85845-d5xj1k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/223646/original/file-20180618-85845-d5xj1k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/223646/original/file-20180618-85845-d5xj1k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/223646/original/file-20180618-85845-d5xj1k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/223646/original/file-20180618-85845-d5xj1k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/223646/original/file-20180618-85845-d5xj1k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/223646/original/file-20180618-85845-d5xj1k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/223646/original/file-20180618-85845-d5xj1k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Robert F. Kennedy Department of Justice Building à Washington.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:U.S._Department_of_Justice_headquarters,_August_12,_2006.jpg">w :User :Coolcaesar/Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<h2>Une redoutable machine judiciaire</h2>
<p>Plusieurs entreprises françaises (dont Alstom) ont expérimenté à leurs dépens l’efficacité de cette redoutable machine judiciaire. Depuis 2008, les entreprises européennes ont non seulement versé 6 milliards de dollars pour violation de la FCPA mais doivent aussi financer elles-mêmes des « moniteurs » en charge de contrôler <em>sur place</em> que leurs nouvelles pratiques seront bien conformes à la loi fédérale américaine.</p>
<p>Enfin, le système judiciaire américain <em>s’auto-nourrit</em> en réaffectant une partie des amendes infligées pour renforcer ses moyens à la fois techniques et humains. Un <em>feed-back positif</em> se met alors en place : l’augmentation du volume de dossiers traités aboutit à de fortes amendes, lesquelles amendes renforcent les moyens et les salaires, ce qui motive d’autant les fonctionnaires en charge des dossiers.</p>
<h2>Le législateur français face au « rouleau compresseur normatif » américain</h2>
<p>Face à cet arsenal juridique, des parlementaires français, (<a href="https://bit.ly/2JYmgGu">Lellouche PR –Berger PS</a>), dans une alliance bipartisane, ont conduit, en février 2016, une <a href="http://www.assemblee-nationale.fr/14/rap-info/i4082.asp">mission d’information sur l’extra-territorialité du droit américain</a> et se sont inquiétés de la domination de la loi américaine sur les échanges internationaux, <em>rouleau compresseur normatif</em> selon l’expression du député Lellouche.</p>
<p>Un seul exemple, donné par les parlementaires dans leur rapport, illustrait l’asymétrie des moyens disponibles entre le système judiciaire américain et français :</p>
<blockquote>
<p>« Il faut savoir que pour toutes les entreprises sanctionnées aux Etats-Unis pour corruption, des procédures avaient été ouvertes en France. Il y avait une seule personne qui gérait ça : une seule juge qui avait 40 dossiers, qui sont chacun de la taille de celui d’Alstom, et face à elle arrivaient des avocats avec 20 dossiers ! Elle n’a jamais pu apporter la moindre preuve Elle nous l’a dit comme ça ! »</p>
</blockquote>
<p>S’inspirer alors du système judiciaire américain, est-ce une fausse bonne idée ? Le mérite pour les entreprises françaises serait d’invoquer le principe de <em>non bis in idem</em>, on ne peut pas juger deux fois les mêmes faits. Plutôt avoir affaire au juge français qu’au juge américain.</p>
<h2>Deux cultures juridiques distinctes</h2>
<p>Mais la procédure du plaider-coupable n’est pas encore en résonnance avec la culture juridique française. Dans les pays anglo-saxons, contrairement à la France, la source première du droit se trouve dans les cas tranchés par le juge et non par les voies tracées par l’État (<a href="http://www.seuil.com/ouvrage/homo-juridicus-essai-sur-la-fonction-anthropologique-du-droit-alain-supiot/9782020676366">Alain Supiot, 2009</a>).</p>
<p>Le juge français est encore mal à l’aise avec le credo américain qui consiste à dire que ce qui est juste est ce qui est favorable à la croissance de l’économie. Le juge doit- il être le gardien des règles de la concurrence ? Pour ne donner qu’un seul exemple, le décret d’agrément (<a href="http://www.clt.astate.edu/crbrown/fifteen2.htm"><em>« Modified Final Judgment »</em></a>), établi le 24 août 1982 entre la Division anti-trust du Ministère de la Justice et American Telephone and Telegraph (ATT) est emblématique du rapport entre law and économics aux États-Unis.</p>
<p>Ce décret démantelant un monopole privé d’un million de salariés représentant 2 % du PIB américain, a été <em>notifié</em> à un juge fédéral de la Cour du District de Columbia pour qu’il puisse évaluer si l’accord était compatible avec l’intérêt général (<a href="http://bit.ly/2Dykfxm">« Tunney Act »</a> du nom du sénateur démocrate Tunney, soit l’<em>Antitrust Procedures and Penalties Act</em> December 21, 1974) ; ce juge, le juge Green, n’a pas hésité à prendre le contre-pied à la fois de la Division anti-trust, de l’Agence Fédérale en charge des télécommunications et a résisté aux pressions venant des nouveaux entrants sur le marché et aussi du Congrès. Certes, cette pulsion étatiste du juge sera un feu de paille, mais elle illustre la <a href="http://www.pressesdesciencespo.fr/fr/livre/?GCOI=27246100717840">place du juge dans un dossier industriel stratégique pour l’économie américaine.</a></p>
<h2>Le juge français dans un système en évolution… « à l’Américaine »</h2>
<p>Rien de comparable en France quant à la place occupée par le juge dans l’économie ; après quelques doutes et résistances, la riposte française au défi américain se traduira finalement par le vote en décembre 2016 de la loi n°2016-1691, loi dite Sapin II ; cette loi permet « une convention judiciaire d’intérêt public », une façon « à l’américaine » d’inciter les entreprises à payer des amendes mêmes lourdes plutôt que de s’engager dans un long procès. <a href="https://www.economie.gouv.fr/vous-orienter/organigramme/agence-francaise-anti-corruption">Une agence française de lutte anti-corruption</a> (AFAC) sera également mise en place dans le cadre de cette nouvelle loi.</p>
<p>Si l’intention du législateur était en 2016 de s’inspirer « des Américains », les moyens à la disposition des juges restent aujourd’hui encore bien modestes et l’AFAC a plutôt une mission d’action de prévention auprès des entreprises. Le juge français peut –il relever le défi américain ?</p>
<p>La Société Générale a expérimenté, en juin 2018, la nouvelle culture juridique à l’américaine puisque que, pour fait de corruption d’agents publics en Libye, elle se voit infliger une amende de 500 millions de dollars, une amende fixée conjointement par le DOJ et le Parquet National Financier ; d’autre part, la toute nouvelle AFAC aura la charge de surveiller pendant deux ans la bonne conduite de la Société Générale en matière de corruption d’agents publics à l’étranger.</p>
<p>La riposte française n’a de sens que si les mêmes armes sont utilisées, ce qui signifie des moyens techniques et humains à la hauteur de l’enjeu et il faudrait, si l’on veut copier jusqu’au bout les américains, réinjecter en partie les amendes au sein du système judiciaire et non les verser sans affectation dans les caisses de l’État, enfin cela suppose une réorganisation complète quant à la façon de travailler entre les services de renseignement économique et le Parquet national financier, sinon il s’agit d’un mimétisme en trompe l’œil.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/90677/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Michel Saussois ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>De même que le facteur de Tati défiait l'efficience de la poste américaine, le juge français, face à la lutte contre la corruption, défie la machine judiciaire américaine avec avec des moyens inégauxJean-Michel Saussois, Professeur émérite HDR en sociologie, ESCP Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.