En mobilisant aujourd’hui, à juste titre, l’attention du monde entier, la pandémie de Covid-19 liée au nouveau virus SARS-CoV-2 éclipse d’autres maladies infectieuses. Or cette situation est d’autant plus alarmante qu’en détournant l’attention des gestionnaires, des décideurs et du public sur ces maladies, elle peut aggraver leur impact.
Dans de nombreux pays – en Afrique, en Asie et en Amérique latine – la pandémie de Covid-19 pourrait ainsi nuire aux campagnes de lutte et de prévention contre la tuberculose, le Sida et le paludisme (principales cibles du Fonds mondial), ainsi qu’aux campagnes de vaccination contre la diphtérie, la polio et la rougeole.
Les maladies virales transmises par les moustiques Aedes – comme la dengue, le Zika, le chikungunya et la fièvre jaune – sont elles aussi concernées.
La situation est d’autant plus inquiétante que leurs incidences ont augmenté de façon spectaculaire au cours de la dernière décennie, et qu’elles sont responsables de graves épidémies touchant actuellement l’Amérique latine, l’Asie du Sud-Est et l’océan Indien.
Des épidémies de dengue en série
L’Amérique latine connaît cette année l’une des plus importantes épidémies de dengue jamais enregistrée dans la région. Le Brésil, très affecté par l’épidémie de Covid-19, a par exemple recensé plus d’un million de cas et environ 400 décès imputés à la dengue entre janvier et juin 2020. Les départements de Mayotte et de la Guyane – qui font toujours face à une circulation importante de SARS-CoV-2 – sont également dans une situation préoccupante.
Plus largement, les territoires français d’outre-mer connaissent des épidémies de dengue importantes, avec plus de 30 000 cas signalés dans les îles de l’océan Indien depuis 2017 (Mayotte et La Réunion) et plus de 15 000 cas dans les îles des Caraïbes (Guadeloupe, Saint-Martin, Saint-Barthélemy et Martinique) depuis la fin de l’année 2019.
Les régions tempérées de l’hémisphère nord (États-Unis et Europe), particulièrement touchées par la pandémie de Covid-19, sont aussi à risque pour ces arboviroses durant l’été, dans les zones où les moustiques vecteurs Aedes aegypti et/ou Aedes albopictus sont établis. Une transmission autochtone de dengue a par exemple été détectée cet été en France, dans le département de l’Hérault. Aux États-Unis, une vingtaine de cas ont été recensés en Floride.
Dans ce contexte, en avril 2020, le ministère français de la Santé a saisi l’Agence nationale de sécurité sanitaire des aliments, de l’environnement et du travail (ANSES) pour évaluer d’une part l’impact potentiel de la pandémie de Covid-19 et du confinement sur la surveillance et la lutte contre la dengue, et d’autre part la balance bénéfices/risques de l’arrêt ou de la poursuite de certaines actions de lutte antivectorielle. Ce travail d’évaluation a fait l’objet d’un rapport disponible en 3 langues (français, anglais et espagnol) sur le site de l’ANSES, dont nous vous présentons ici une courte synthèse.
Covid-19 et dengue dans le même temps
La circulation simultanée de la Covid-19 et de la dengue peut entraîner un retard de diagnostic, et donc impacter les soins et les mesures spécifiques à chacune de ces deux maladies.
Les deux infections partageant certaines caractéristiques cliniques (fièvre, fatigue, maux de tête…), un diagnostic différentiel est nécessaire. Par ailleurs, la mise en évidence de résultats sérologiques de dengue faussement positifs chez des personnes atteintes de Covid-19 suscite des inquiétudes. Il faut tout faire pour éviter les erreurs de diagnostic ou d’interprétation des tests, aux conséquences dramatiques tant pour les patients que pour les interventions de santé publique (par exemple, le traçage et le dépistage des contacts pour la Covid-19, et la lutte contre les insectes vecteurs pour la dengue).
Ces co-infections ne sont naturellement à redouter que dans les pays où les deux virus circulent. Pour l’heure, la Guyane a déclaré le décès d’un adolescent atteint de Covid-19 et de fièvre jaune. La co-infection par le virus de la dengue et le SARS-CoV-2 n’a pour l’instant été documentée que sporadiquement, notamment en Thaïlande, à Singapour et à La Réunion. On peut néanmoins la redouter dans les pays les plus touchés par la dengue, en Asie du Sud-Est et en Amérique du Sud.
Cette co-circulation des virus augmente en effet les risques sanitaires. Et dans des pays comme le Brésil, où les services de santé sont encore perturbés, voire débordés par la pandémie de Covid-19, la coexistence des deux maladies aggrave la situation. Sans compter que plusieurs sérotypes de dengue peuvent circuler en même temps, comme c’est le cas en Guyane ou à La Réunion, d’où la possibilité d’infections secondaires ou même tertiaires et donc de cas cliniques graves.
Les impacts sur la surveillance de la dengue
La surveillance épidémiologique de la dengue est également affectée par la mobilisation autour de la Covid-19. On l’a constaté dans tous les territoires français d’outre-mer, où une baisse des cas de dengue notifiés et déclarés juste après le démarrage du confinement a été décrite, alors même que le nombre de cas avait nettement augmenté au cours des semaines précédentes.
Cette sous-déclaration des cas de dengue, notamment pour les cas qui, sans signes cliniques de gravité, contribuent de manière importante à la transmission du virus, s’explique non seulement par le confinement et les difficultés de déplacements, mais aussi par l’inquiétude du public quant au risque d’être infecté par la Covid-19 dans les établissements de santé, ou encore par la fermeture de certains dispensaires et un accès au diagnostic rendu difficile.
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Lutte contre les moustiques et directives Covid-19
Dernier constat alarmant : les interventions de lutte antivectorielle, et particulièrement celles concernant l’espèce Aedes, ont été considérablement affectées par la mobilisation de l’attention sur la Covid-19. À titre d’exemple, pendant le confinement, ces interventions ont été réduites aux États-Unis et dans tous les territoires français d’outre-mer.
De fait, nombre d’interventions contre les moustiques s’opposent a priori aux directives de prévention et de contrôle de la Covid-19, en requérant parfois un contact étroit entre les agents qui en sont chargés et la population : c’est le cas notamment lors des campagnes de sensibilisation ou les pulvérisations d’insecticides au sein de domiciles. Or en l’absence de vaccins et de traitements, la prévention et le contrôle de la dengue et d’autres maladies virales transmises par les Aedes reposent largement sur le contrôle des populations de moustiques vecteurs, à travers une lutte antivectorielle durable, synergique et proactive – son efficacité pouvant se trouver réduite faute d’une mise en œuvre appropriée et intégrée.
Dans ces conditions, il est crucial de renforcer la communication autour de l’importance et de la nécessité des interventions de lutte antivectorielle : nous devons pour ce faire nous appuyer sur Internet et les réseaux sociaux, en diffusant conjointement des informations sur la Covid-19 et sur la prévention des maladies virales transmises par des moustiques (par exemple, l’élimination de leurs gîtes de reproduction en restant chez soi). Enfin il est nécessaire d’adapter les directives existantes pour les agents en charge de la lutte antivectorielle, notamment par des gestes barrières et une distanciation physique, pour prévenir toute transmission de Covid-19.
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L’impact négatif de la crise induite par la Covid-19 sur la surveillance et le contrôle de la dengue est évident dans les zones tropicales touchées par la dengue. Quant aux régions tempérées, les restrictions de voyage limitent en théorie les possibilités d’importation d’arbovirus. Le risque est néanmoins présent, comme en témoignent les quatorze cas de dengue observés dans l’Hexagone pendant le confinement, nonobstant le très faible nombre de vols provenant de zones touchées.
La reprise du transport aérien, même si elle est partielle, pourrait accroître ce risque dans les régions d’Europe où Aedes albopictus est installé. Entre le 1er mai et le 21 août 2020, Santé publique France a enregistré 155 cas importés de dengue et 4 cas importés de chikungunya.
Notons au passage que la circulation simultanée de ces maladies a nécessairement des effets délétères sur les plans économique et social. Les inégalités sociales liées à la dengue et à d’autres arbovirus, tel que le Zika, ont déjà été mises en évidence. On sait aussi que la pandémie de Covid-19 exacerbe ces inégalités, comme on a pu le constater à La Réunion ou aux États-Unis.
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Dans un tel contexte, nous devons souligner l’importance de la mobilisation sociale et du maintien, voire du renforcement de la gestion intégrée des maladies transmises par les moustiques. Et nous recommandons par ailleurs d’améliorer les pratiques pour réduire au minimum l’exposition au SARS-CoV-2 dans le cadre de la lutte antivectorielle.
Partout dans le monde, et en particulier dans la zone intertropicale, la menace représentée par les maladies que peuvent transmettre les moustiques – à l’instar de la dengue, du chikungunya, de la maladie à virus Zika et de la fièvre jaune – pourrait être accentuée en raison d’une détérioration de la surveillance et de la lutte contre les moustiques. Or ce risque est susceptible d’aggraver la situation due à la seule pandémie de Covid-19.
En somme, il y a donc urgence pour les acteurs de santé publique et les décideurs politiques d’élaborer des politiques proactives, et d’allouer les ressources adéquates pour prévenir et gérer la dissémination de ces maladies en période de crise sanitaire. D’autant plus que dans les décennies à venir, on craint de voir surgir d’autres nouvelles maladies à fort potentiel épidémique et pandémique…
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L’évaluation a été menée par le « Groupe d’expertise collective dans l’urgence sur l’impact de la pandémie de Covid-19 et du confinement sur la surveillance de la dengue et les interventions de lutte antivectorielle » de l’ANSES. Ce groupe a été présidé par Thierry BALDET (CIRAD), coordonné par Johanna FITE (ANSES) et Elsa QUILLERY (ANSES), et il était composé de James DEVILLERS (CTIS), Marie-Marie OLIVE (IRD), Marie-Claire PATY (Santé publique France), Christophe PAUPY (IRD), Philippe QUENEL (EHESP), Jocelyn RAUDE (EHESP), David ROIZ (IRD), Jean‑Paul STAHL (CHU Grenoble Alpes), Marie THIANN-BO-MOREL (Université de La Réunion), toutes ces personnes ayant contribué à la rédaction de cet article.