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La suppression de la CVAE, une mesure de relance de l’industrie française mal ciblée

Vue du quartier d'affaires de la Défense, près de Paris.
La Contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) ne concerne actuellement qu’environ 400 000 entreprises sur les près de 5 millions recensées. Pe_Wu/Flickr, CC BY-NC-ND

La loi de finances pour 2023 a prévu la suppression de la Contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), dans l’objectif de soutien à l’activité économique et de reconquête industrielle. La contribution des entreprises a été diminuée de moitié en 2023 et devait être intégralement supprimée en 2024, date finalement décalée à 2027, mais ce report n’aura pas d’effet pour les collectivités locales.

La suppression de cette taxe s’inscrit dans le cadre de la politique pro-business du gouvernement consistant à renforcer la compétitivité des entreprises à travers la diminution des impôts dits « de production ». À ce stade, elle se traduit surtout par la suppression d’une ressource fiscale régulièrement critiquée ces dernières années alors que, lors de son instauration en 2008, elle était considérée comme particulièrement bien conçue.

Les représentants d’entreprises se sont félicités de cette politique mise en œuvre sans aucune étude d’impact préalable, étape pourtant obligatoire d’après la constitution. Elle a d’ailleurs été décidée rapidement et sans réelle consultation des collectivités locales dont la CVAE constitue une ressource non négligeable.

On peut se demander quels sont les principaux bénéficiaires de cette politique ? Et quels sont les implications et enjeux pour les collectivités locales ?

L’industrie et les ETI, grandes gagnantes ?

À quelques exceptions près, la littérature scientifique ne s’est que peu penchée sur la CVAE. Toutefois, un rapport récent (septembre 2023) de Rexecode, institut privé d’analyse et de prévision de conjoncture économique, a tenté d’identifier les principaux bénéficiaires. Selon les calculs effectués, les grands gagnants seraient :

1/L’industrie manufacturière et les entreprises de taille intermédiaire (ETI) qui représentent respectivement 22 et 39 % des recettes de CVAE ;

2/Les ETI qui bénéficieraient davantage de la réforme que les très petites entreprises (TPE) et les petites et moyennes entreprises (PME).

Il est trivial de conclure que les ETI sont plus avantagées que les PME et TPE car la CVAE reste très concentrée ; elle ne concerne en effet que 400 000 entreprises environ sur les près de 5 millions enregistrées. En effet, seules les entreprises dont le chiffre d’affaires (CA) annuel hors taxe est supérieur à 500 000 euros y sont soumises, ce qui exclut la très grande majorité des TPE et PME.

De plus, le taux de CVAE est progressif en fonction du CA de l’entreprise, ce qui accroît mécaniquement la part des ETI dans les recettes de CVAE. Une comparaison avec les grandes entreprises offrirait une perspective différente. Ainsi, les premiers résultats de nos recherches, dans le cadre d’un projet pour le réseau Finances locales (réseau FiL), indiquent que les grandes entreprises, contribuant pour plus de 50 % des recettes de CVAE, sont les grandes gagnantes de cette réforme et non les autres catégories d’entreprises.

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Les conclusions sur l’industrie manufacturière interrogent également. En effet, en ne représentant que 22 % des recettes de CVAE, les autres secteurs bénéficient pour presque 80 % de la suppression, dont une partie relève d’un pur effet d’aubaine. Par ailleurs, nos premiers résultats suggèrent que le commerce et la finance sont les plus avantagés. Les effets à attendre sur la balance commerciale et l’emploi risquent alors d’être modestes, car les entreprises opérant dans ces secteurs n’exportent quasiment pas mais préfèrent créer des filiales à l’étranger.

Au-delà de ces résultats sur le tissu productif, la suppression de la CVAE interroge la situation et les capacités financières des collectivités dans le futur.

Des pertes pour les collectivités locales

L’impact de la réforme sur les finances des collectivités locales pourrait être non négligeable : par rapport à 2022, la disparition partielle de cet impôt engendre un manque à gagner de 4,99 milliards d’euros pour les intercommunalités et 3,7 pour les départements.

La question de la compensation de ces pertes de ressources fiscales a fait l’objet de nombreux débats. L’accord de principe retenu est l’affectation d’une partie du produit de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) en 2023, avec une compensation « à l’euro près ». La question reste toutefois de savoir qui va compenser le manque à gagner pour l’État. En effet, cette suppression représente pour ce dernier une dépense nette de l’ordre de 4,5 milliards d’euros.

Cette nouvelle exonération totale d’un impôt sur les entreprises va accroître le déséquilibre de fiscalité entre ménages et entreprises. Les ménages contribuent déjà majoritairement aux recettes fiscales et sont soumis à une pression fiscale supérieure à celle des entreprises. La compensation prévue pour la suppression de la CVAE accentue donc la tendance à la croissance de la contribution des ménages au budget des collectivités locales.

Cette suppression pourrait également entraîner des conséquences importantes sur les équilibres territoriaux. La compensation est en effet calculée sur la base de la situation actuelle. Or rien ne garantit que l’évolution du montant perçu soit cohérente avec celle du tissu local d’entreprises. De plus, le remplacement de la CVAE par la TVA érode davantage l’autonomie fiscale des collectivités. Ces dernières perdent ainsi les quelques marges de manœuvre dont elles disposaient pour accroître l’assiette fiscale en accueillant de nouveaux projets d’entreprises.

Le débat sur l’autonomie fiscale ravivé

Les associations représentatives des collectivités locales considèrent que la suppression de la CVAE était inopportune au regard même de l’action sur le développement économique et des politiques d’attractivité des entreprises. Cela pourrait en effet désinciter les intercommunalités à investir pour attirer des entreprises et créer un contexte local favorable à l’emploi et à la création de richesses.

Cette idée, héritée de l’économiste américano-canadien John Kenneth Galbraith dans Le Nouvel État Industriel (1967), que les services publics bénéficient aux entreprises s’applique également à l’échelle locale. C’est pourquoi les collectivités locales s’attachent à créer un environnement pro-business. Or, à court ou moyen terme, les dépenses d’investissement des collectivités locales pourraient diminuer en raison de la baisse des ressources financières potentielles liée à la déconnexion entre les montants de TVA réaffectés et le développement économique local.

Par ailleurs, les collectivités locales doivent faire des économies pour atteindre l’équilibre budgétaire. Ce recul des dépenses d’équipement en faveur de la création d’un environnement favorable à l’activité des entreprises aurait des effets délétères sur ces dernières dont la croissance reste plus sensible à l’investissement public qu’à la pression fiscale, lorsque celle-ci est plafonnée.

Contrairement aux objectifs visés par la suppression de la CVAE, les plus grands bénéficiaires ne semblent donc pas être forcément ceux espérés. Par ailleurs, au-delà de l’identification des principaux gagnants, la réforme a ravivé le débat sur le principe d’autonomie fiscale, pendant de l’autonomie financière des collectivités selon de nombreux élus. Enfin, considérer qu’il y a des marges de manœuvre sur les dépenses est discutable car beaucoup de dépenses sont contraintes ou hors de la maîtrise des collectivités locales.

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