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Le drapeau russe flotte aux côtés de celui, rouge et vert et frappé de la faucille et du marteau, de la Transnistrie, à côté d’une statue du maréchal russe du XVIIIe siècle Souvorov, à Tiraspol, capitale de la Transnistrie, le 12 septembre 2021. Sergei Gapon/AFP

La Transnistrie, prochaine étape de la guerre en Ukraine ?

Les explosions qui ont eu lieu la semaine du 25 avril interrogent : faut-il y voir la main de la Russie, désireuse de mobiliser ses troupes locales afin d’ouvrir un nouveau front avec l’Ukraine ? L’Ukraine souhaite-t-elle au contraire attaquer préventivement des troupes transnistriennes, qui ne bénéficient pas aujourd’hui d’une continuité territoriale avec l’armée russe, tout en rejetant la faute sur Moscou ? Faut-il suivre les autorités moldaves quand elles font l’hypothèse d’une dissension interne entre des groupes pro-russes souhaitant s’engager (liés aux services de sécurité et de renseignement de Russie) et des groupes plus proches des milieux d’affaires souhaitant plutôt la neutralité de l’entité séparatiste, très liées aux milieux d’affaires ukrainiens et dont le débouché principal est la ville d’Odessa ?

Ces différentes questions amènent à revenir à la nature même de ce conflit séparatiste, singulier parmi les conflits post-soviétiques.

En effet, la guerre en Ukraine ne manque pas d’inquiéter les pays voisins et, en premier lieu, la petite Moldavie (2,6 millions d’habitants), qui joue aujourd’hui un rôle essentiel dans l’accueil des réfugiés de l’Ukraine du Sud.

La situation de cette ancienne république soviétique, indépendante depuis 1991 et neutre depuis 1994, coincée entre une Roumanie membre de l’OTAN et une Ukraine en guerre, est d’autant plus précaire qu’elle doit composer quasiment, depuis son indépendance, avec un territoire séparatiste pro-russe situé dans sa partie orientale, la Transnistrie.

Cette dernière entité, où résident quelque 470 000 personnes, accueille environ 1 500 militaires russes, présents dans le cadre d’une mission de maintien de la paix, ainsi que d’importants stocks d’armement hérités de l’URSS.

Carte de la Transnistrie, en rouge. Serhio/Wikimedia, CC BY-NC

Si les affrontements entre Transnistriens et Moldaves n’ont pas repris depuis juillet 1992, et si les deux parties cohabitent d’une façon relativement sereine, entretenant notamment des échanges commerciaux assez fournis, la situation en Ukraine, et d’éventuels appétits russes pour la Transnistrie pourraient à brève échéance venir fragiliser cet équilibre.

Du conflit de 1992 à aujourd’hui

Sans entrer dans une chronologie trop détaillée, rappelons brièvement que, au lendemain de la Première Guerre mondiale, la Bessarabie, dont le territoire correspond peu ou prou à l’actuelle Moldavie (moins la Transnistrie), et qui appartenait depuis un siècle à l’empire des tsars, est intégrée à la Roumanie. Le territoire de la Transnistrie actuelle, lui, demeure alors aux mains de l’URSS. En 1924, celle-ci y instaure une entité administrative nommée République autonome soviétique socialiste moldave (RASSM), qui est incorporée à la République socialiste sovétique d’Ukraine.

En 1940, l’URSS occupe et annexe la Bessarabie, qu’elle s’empresse de fusionner avec la RASSM pour créer une « République socialiste soviétique de Moldavie ».


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La RSS de Moldavie subsistera pendant cinquante ans au sein de l’URSS, en tant qu’égale des quatorze autres Républiques (Russie, Ukraine, Biélorussie, les trois républiques baltes, les trois républiques du Caucase et les cinq républiques d’Asie centrale) et deviendra donc indépendante en 1991, quand l’URSS s’effondre.

À ce moment-là, l’union de la Transnistrie et de la Bessarabie est déjà fissurée. Depuis quelques années, sentant l’URSS vaciller, la Bessarabie envisage très sérieusement un rattachement à la Roumanie. La Transnistrie, aux liens étroits avec Moscou, décide de faire sécession dès 1990, mais le centre soviétique rejette cette option. C’est donc ensemble, en tant qu’État de Moldavie, que la Bessarabie et la Transnistrie accèdent en 1991 à l’indépendance. La Transnistrie proclame aussitôt son indépendance vis-à-vis de la Moldavie, ce qui entraîne un conflit violent peu après. De mars 1992 jusqu’au cessez-le-feu du 21 juillet 1992, la 14e Armée russe, venue soutenir les sépratistes transistriens, et les forces moldaves se livrent à des affrontements violents, qui font plus de 2 000 morts.

Depuis, le conflit n’a pas connu de nouveaux épisodes et est dit « gelé », expression pouvant d’ailleurs être avantageusement remplacée par l’épithète « non-résolu », la Transnistrie étant de facto indépendante, mais reconnue par aucun État, pas même la Russie, qui la soutient pourtant largement. C’est pour trouver une solution diplomatique et politique à ce statu quo que la Moldavie a adopté le statut de pays neutre lors de l’adoption de sa Constitution en 1994.

Au cours des 28 dernières années, les différentes tendances politiques du pays qui se sont succédé au pouvoir, qu’elles aient été classées pro-russes (comme Igor Dodon, président de 2016 à 2020) ou pro-européennes, comme l’actuelle présidente Maïa Sandu, ont toutes souhaité conserver ce statut. Il implique la non-adhésion de la Moldavie à une alliance militaire comme l’OTAN, mais exige aussi le départ de Transnistrie des troupes russes présentes depuis 1992. Ce départ est régulièrement réclamé par les autorités moldaves dans les enceintes internationales. Récemment encore, Maïa Sandu a rappelé cette exigence, recevant une fin de non-recevoir de la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova.

Moldavie : Transnistrie, le bastion russe | Arte, 16 mars 2022.

Depuis la fin des hostilités en 1992, un format de négociation a pris place, incluant la Russie, l’Ukraine, l’OSCE, ainsi que la Moldavie et la Transnistrie, afin de trouver la voie d’un règlement politique passant par une forme d’autonomie de la Transnistrie au sein d’une Moldavie réintégrée.

Hélas, la Russie, si elle n’a jamais reconnu l’indépendance de la Transnistrie, n’a pas non plus aidé de manière déterminante à régler le conflit. Elle avait proposé en 2003 sa propre solution par le biais du mémorandum Kozak (du nom du négociateur russe Dmitri Kozak, né en Ukraine et aujourd’hui chef adjoint de l’administration présidentielle russe en charge des relations avec l’Ukraine), mais cette tentative n’a pas été couronnée de succès. Si les discussions ont continué depuis lors, il n’y a plus eu de rencontre de haut niveau depuis l’automne 2019.

Un garde-frontière transnistrien surveille un poste-frontière entre la Transnistrie et l’Ukraine, le 13 septembre 2021. Sergei Gabon/AFP

Il n’en reste pas moins que – en tout cas jusqu’à l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février dernier – ce conflit apparaissait probablement comme celui qui avait le plus de chances d’être réglé de tous les conflits gelés post-soviétiques. Après trois décennies sans affrontement, un modus vivendi s’est dégagé entre les deux parties, les tensions étant limitées et exprimées en termes interpersonnels, tandis que le pragmatisme économique poussait à entretenir des relations relativement étroites. Ainsi, le club de football du Sheriff Tiraspol (Tiraspol est la « capitale » de la Transnistrie), qui s’est illustré lors de sa participation cette année à la Ligue des Champions, joue dans le championnat moldave. Preuve qu’un espace de coexistence entre Moldaves et Transnistriens est possible, au moins sur les terrains de sport !


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Comment la guerre en Ukraine rebat les cartes

En premier lieu, la Moldavie se rapproche-t-elle d’un conflit ouvert avec la Russie ? Pour l’heure, les autorités de Chisinau sont surtout concentrées sur l’accueil des réfugiés ukrainiens et sur la question énergétique, considérant que l’extension de la guerre à leur territoire est peu probable. Plusieurs observateurs, comme le Roumain Mircea Geoana, secrétaire général adjoint de l’OTAN, ou l’ambassadeur américain en Moldavie, Kent Logsdon, partagent cet avis. Il est vrai que la Moldavie revêt moins d’importance pour Moscou que l’Ukraine.

Sur un plan militaire, l’évolution de la région dépend directement du sort réservé au port d’Odessa, ville du sud de l’Ukraine située à quelque 60 kilomètres seulement de la Moldavie. En effet, si Marioupol permet de boucler la mer d’Azov, le port d’Odessa permet à la Russie de contrôler l’ensemble du littoral ukrainien, coupant le territoire ukrainien d’un accès à la mer. Dans ce cas, on peut estimer que le nombre de réfugiés grandirait encore en Moldavie, alors qu’elle a déjà vu passer 360 000 personnes depuis le début de la guerre.

Cet objectif de contrôle du littoral explique certainement l’ampleur des attaques contre Mykolaev, ville âprement disputée entre Russes et Ukrainiens. Ce n’est qu’après les éventuelles chutes de Mykolaev et d’Odessa que la Russie peut s’offrir un couloir vers la Transnistrie ; il n’est pas sûr, parallèlement, que la Transnistrie puisse jouer un rôle déterminant dans l’offensive russe dans la région, au vu du faible nombre d’hommes disponible.

La guerre en Ukraine a également incité plusieurs pays à s’orienter vers l’Union européenne. Ainsi, comme l’Ukraine avant elle, et en même temps que la Géorgie, la Moldavie a demandé son adhésion à l’Union européenne. Si la « voie accélérée » réclamée par ces trois pays n’existe pas dans les faits, ces demandes ont au moins eu pour mérite d’attirer l’attention des capitales européennes sur le sort de ces pays, ainsi que sur leur demande d’adhésion.

Si la Géorgie et la Moldavie ont pris position pour le respect de l’intégrité territoriale et de la souveraineté de l’Ukraine, ces deux pays n’ont en revanche pas repris à leur compte la politique de sanctions prises par l’UE. Le ministre moldave des Affaires étrangères, Nicu Popescu, a en effet concédé qu’il serait difficile d’adopter les sanctions sans subir de représailles insurmontables. Il faut noter qu’en 2014, la Moldavie ne soutenait pas davantage les sanctions imposées à la Russie après l’annexion de la Crimée.

Tensions encore ravivées par une résolution du Conseil de l’Europe

Enfin, sur le plan diplomatique, le départ de la Russie du Conseil de l’Europe a eu une incidence directe pour la Moldavie. En effet, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) a voté une résolution dans laquelle la Transnistrie a été qualifiée de zone d’occupation russe.

Cette interprétation a naturellement suscité des contestations à Tiraspol. Les autorités transnistriennes ont qualifié le document de « détaché de la réalité » et « extrêmement dangereux », ainsi qu’à Moscou où l’on considère que cette résolution ne tient pas compte des réalités du terrain. Le ministre moldave des Affaires étrangères Nicu Popescu, s’est contenté de rappeler que cette résolution reflétait « l’opinion politique des parlementaires des pays membres du Conseil de l’Europe ». Dans le même temps, Popescu a souligné que Chisinau continuerait à chercher des solutions pour la réintégration du pays et insisterait sur le retrait des troupes russes du territoire de la Moldavie.

En conclusion, si les inquiétudes sur une reprise du conflit sont au plus haut depuis trois décennies, la Moldavie s’appuie en ce moment sur son statut d’État neutre pour éviter d’être à son tour enrôlée dans la guerre. Mais la prudence des autorités de Chisinau ne pèsera sans doute pas lourd si Vladimir Poutine parvient à s’emparer d’Odessa et de décider que la Transnistrie sera la prochaine étape de sa guerre…

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