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Espace mondial

Le bel avenir de la migration

Un jeune réfugié syrien fuyant les combats à Alep, à la frontière avec la Turquie. Bulent Kilic/AFP

L’Union européenne a pensé jadis la migration dans un contexte calme et stable qui se nourrissait encore des vieux schémas d’autrefois. A ce compte-là, les accords de Schengen – qui se sont construits de 1985 à 1995 – semblaient être une solution habile et relever de l’égoïsme du possible : à la fin du siècle dernier, la vieille Europe pouvait se laisser bercer par des apparentes certitudes. En adoptant une politique de « fermeté » à l’égard de « l’extérieur » et en construisant un rempart aux frontières externes de l’Union, elle se croyait solide dans ses nouvelles bastilles, déléguant l’essentiel du travail de surveillance aux États qui garnissaient son flanc sud…

Le réveil fut difficile lorsque l’actualité de l’été dernier démontra que la formule conçue ne tenait que dans les conjonctures faiblement exigeantes. Les crises moyen-orientales livraient leur cortège de réfugiés ; elles révélaient que ce qui était solide en temps calme devenait dérisoire sous des ciels moins cléments. L’erreur fut alors de penser que le dispositif cédait sous l’effet de l’exception. C’est le contraire qui devait guider l’analyse : la relative stabilité des dernières années était exceptionnelle ; tout conduit à penser que la tendance qui apparaît aujourd’hui est appelée à durer.

On avait tout simplement oublié de penser la mondialisation et ce dont elle était porteuse, cette invitation à la mobilité qui en découle mécaniquement. L’ancien monde était celui de la territorialité et des frontières rigides et structurantes. Ce moment étatique de l’histoire universelle faisait de la fixité un principe politique et même juridique : le terme d’« État » ne participait-il pas de la même racine que celui de « statisme » ? On n’en est plus là…

Nécessité d’une gouvernance mondiale

Une autre erreur est de tenir ces changements pour tragiques : le propre d’une pensée réactionnaire est de classer toute évolution dans le registre des catastrophes. La montée du fait migratoire en est en fait tout le contraire.

Notons d’abord qu’elle n’a rien de vertigineux : en cinquante ans, la part de la population migrante est passée de 2 % à seulement 3 % de la population mondiale. Les vagues déferlantes n’ont pas eu lieu et, si elles affectent une part de notre monde, c’est plutôt dans les régions en développement qu’il faut les chercher… En outre, la migration est bien plus utile que négative, pour nous, pour eux et pour les autres. Le discours qu’elle inspire est tellement entaché de considérations électorales, de rhétorique politique de circonstance qu’on ne sait plus en réalité de quoi on parle.

L’inexcusable erreur des dirigeants européens n’est pas à chercher dans leur inaptitude à arrêter des flux devenus inéluctables, mais dans leur incapacité à penser une gouvernance mondiale des migrations capable d’en optimiser les bienfaits. Face à un phénomène irréversible, mieux vaut savoir en tirer efficacement avantage que s’épuiser dans une inefficace répression…

Mondialisation des imaginaires

Car, si celle-ci n’a pas manqué d’imagination, la courbe des migrations a su y rester insensible. Le gouvernement slovène peut attacher des lames de rasoir aux barbelés déroulés à ses frontières, les autorités slovaques peuvent interdire aux musulmans de pénétrer sur leur territoire pour s’y installer, l’administration de Copenhague peut saisir les bijoux des malheureux réfugiés et la « gauche » officielle en France peut stigmatiser les binationaux, rien n’y fait : on continue, de partout, à franchir périlleusement la Méditerranée, même si celle-ci a englouti dans ses eaux des dizaines de milliers de pèlerins du désespoir. L’air du temps est plus fort que la coercition…

Rien que de très logique dans cette témérité, en fait rationnellement pensée. Comment s’étonner que, dans un monde où la population active tend à diminuer au Nord et à exploser au Sud, ceux qui vivent en ces régions choisissent de se déplacer vers les zones les plus développées ? Avec une population dont plus des deux tiers sont âgés de moins de trente ans, le Niger n’offre à ses jeunes qu’un choix simple qui conditionne leur survie : migrer ou devenir enfants-soldats… Comment oublier qu’avec le progrès stupéfiant des communications, les imaginaires se mondialisent, tout le monde voit tout le monde et le miséreux sait enfin se comparer aux richesses qu’il contemple et qu’il souhaite rejoindre ?

Dans cette irrépressible évolution de la mécanique des sociétés, la migration n’est plus une question : elle est une devenue donnée. Par une incroyable insouciance, la classe politique ne sait que la transformer en denrée électorale. Il est temps d’en faire, au contraire, un objet de bonne gouvernance, de penser à en tirer le maximum de biens pour tous, à chasser la clandestinité en cessant d’en faire un tourment et une source de tracas, à concevoir la « bonne mobilité » au profit de tous, migrants eux-mêmes, sociétés de départ, et sociétés d’accueil. Celles-ci ont tout à y gagner : rajeunissement de leur population, accroissement de leur richesse, rééquilibrage de leurs budgets sociaux, ouverture au monde et parade à la « guerre de civilisations ».

Au niveau mondial, cette gouvernance implique une vraie coordination entre agences et institutions spécialisées qui font déjà un travail remarquable (OIT, HCR, Unicef….). Au niveau des États, elle suppose une vraie volonté et une réelle clairvoyance qu’on perçoit mal lors de la tenue des sommets de Bruxelles… Elle ne relève pas, comme telle, de la compétence des hommes politiques, mais bien de celle des hommes d’État.

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