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Le financement public de la recherche favorise aussi la R&D des entreprises

Chercheur observant un échantillon au microscope
Les connaissances produites par la recherche universitaire parviennent au secteur privé dans un délai d’environ quatre ou cinq ans. Pexels/Gustavo Fring, CC BY-SA

En 2021, moins d’un an après le début de la pandémie de Covid-19, les laboratoires pharmaceutiques ont réussi à développer et mettre sur le marché plusieurs vaccins permettant de protéger la population. Il s’agit là de l’une des plus importantes prouesses de la médecine moderne, mais aussi une nouvelle preuve de l’impact du financement public (dans ce cas précis, les National Institutes of Health des États-Unis, ou NIH) sur l’innovation dans le secteur privé.

Nous savons depuis longtemps que le soutien public à la recherche universitaire a tendance à avoir un effet « boule de neige » sur la recherche et développement (R&D) dans les secteurs biotechnologique et pharmaceutique du privé. Une étude publiée en 2019 avait ainsi démontré que 10 millions de dollars de financement supplémentaire des NIH se traduisent par 2,7 nouveaux brevets déposés par des chercheurs du privé. Mais jusqu’à présent, il n’avait pas été clairement démontré que le financement public de la recherche avait des effets similaires sur la R&D privée dans d’autres secteurs.

Pour mettre en évidence l’existence de cet impact, nous avons analysé le programme « Laboratoires d’excellence » (ou LabEx) dans le cadre d’une étude menée avec les économistes Arthur Guillouzouic (Institut des politiques publiques), Emeric Henry (Sciences Po et Center for Economic and Policy Research) et Clément Malgouyres (Centre national de la recherche scientifique et Centre de recherche en économie et statistique). Ce programme d’investissement du gouvernement français a en effet attribué des milliards d’euros aux laboratoires universitaires depuis sa création en 2010.

Plusieurs canaux d’informations

Cette étude a démarré de manière inattendue, au sens où elle n’était pas initialement un projet de recherche. Nous avons en réalité été mandatés par le ministère français de l’Enseignement supérieur pour réaliser une évaluation du programme LabEx. Mais en analysant les données fournies par le ministère, nous avons réalisé que nous pouvions également les utiliser pour déterminer si le financement public de la recherche avait un impact sur les projets d’innovation dans le secteur privé.

Nous avons récupéré ces données et les avons comparées à d’autres sources de données sur la R&D du secteur privé, allant des brevets déposés par les entreprises aux partenariats public-privé en passant par le parcours professionnel des chercheurs afin de déterminer comment les scientifiques naviguent entre le secteur public et le secteur privé. Cela nous a permis de comprendre non seulement dans quelle mesure la recherche publique influence la R&D des entreprises, mais aussi quels sont les canaux d’information qui existent.

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Pour que les connaissances issues de la recherche universitaire aient un impact, il faut qu’elles parviennent au secteur privé. Dans notre étude, nous avons identifié trois canaux qui favorisent le partage d’information.

Les contrats, qui comprennent les partenariats entre les universités et les entreprises, la co-supervision des étudiants en doctorat, les licences de brevet et, bien sûr, les contrats que les entreprises passent avec les laboratoires universitaires pour leurs travaux. Le canal contractuel est mentionné dans 74 % des rapports initiaux rédigés par les laboratoires financés par le LabEX peu après le lancement du programme.

La collaboration entre le monde académique et le secteur privé constitue en outre un moyen efficace de générer de nouvelles connaissances. À titre d’exemple, si une entreprise fournit du matériel dernier cri à un laboratoire universitaire, les chercheurs aboutiront peut-être à des résultats que les équipes R&D de l’entreprise ne pourraient pas obtenir.

La mobilité représente un autre canal important. Un peu plus de la moitié (52 %) des rapports LabEx mentionne des initiatives destinées à aider les étudiants et le personnel à rejoindre le secteur privé. Les chercheurs universitaires sont parfois incités à lancer leur start-up ou à trouver un emploi dans le privé. Il existe en France un type de société appelé SATT, qui est essentiellement conçu pour accélérer la commercialisation de technologies développées dans les laboratoires publics. Les programmes de formation et d’échange, qui permettent aux chercheurs universitaires de collaborer avec des entreprises, profitent également à la R&D du secteur privé.

Enfin, les contacts informels entre les laboratoires publics et privés sont mentionnés dans environ 30 % des rapports LabEx. Ils peuvent avoir lieu dans le cadre de séminaires, ou lors de réunions régulières entre des chercheurs/doctorants et des acteurs du secteur privé. Il existe ainsi au sein de LabEx un laboratoire appelé ACTION, qui encadre l’échange d’informations entre les membres de LabEx et des partenaires potentiels du secteur privé.

Un effet rapide et rentable

Autre enseignement de l’étude : les connaissances produites par la recherche universitaire parviennent au secteur privé beaucoup plus rapidement qu’on ne pourrait le penser. Le délai observé est d’environ quatre ou cinq ans. C’est d’autant plus remarquable que le programme LabEx affiche une envergure plutôt modeste. En un an, les laboratoires ont reçu un total de 1,5 milliard d’euros. C’est beaucoup moins que ce que le gouvernement dépense sur d’autres postes budgétaires (y compris le crédit d’impôt recherche : plus de 6 milliards d’euros chaque année).

Nous avons également mieux compris pourquoi une démarche de financement ciblée, comme adoptée par le LabEx, fonctionne aussi bien. Nous pensions à l’origine que les laboratoires utiliseraient simplement l’argent pour embaucher plus de chercheurs et lancer de nouveaux projets. Mais les données suggèrent en réalité que les financements sont utilisés afin de laisser plus de temps à la recherche.

Cette rallonge permet aux laboratoires de créer de nouveaux contacts avec des entreprises privées, qui peuvent leur confier des projets de R&D – avec à la clé une source de revenus supplémentaire pour les laboratoires publics. Or, si vous savez que vous avez les moyens de financer vos recherches pour les six ou huit années à venir, il y a moins d’incertitude et vous disposez de plus de temps pour obtenir des résultats.

Au bilan, le financement de la recherche universitaire par les pouvoirs publics offre clairement des bénéfices, mais c’est en finançant les meilleurs chercheurs que l’on obtient les meilleurs résultats. Cette vision apparaît à l’opposé de la politique classique d’innovation à la française, qui a tendance à privilégier l’égalité et défend l’idée que nous devrions donner la même somme à tout le monde.

Par ailleurs, étant donné que les entreprises privées qui capitalisent le plus sur la recherche publique finissent par investir davantage dans leur propre R&D, elles créeront naturellement de nouvelles collaborations qui permettront d’accélérer l’innovation. Les entreprises qui comprennent l’impact de cet effet « boule de neige » sur la R&D pourraient chercher à renforcer leurs liens avec des laboratoires du secteur privé. Les responsables politiques pourraient également envisager d’augmenter le montant des investissements dans la recherche publique – à condition que ces derniers soient ciblés.

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