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Un petit enfant de 3 ans joue des lettres en bois
La recherche montre que la notion de langue maternelle est plus complexe qu'on le pense. Shutterstock

Le français facile à lire et à comprendre (FALC), une démarche inclusive qui questionne le rapport à la langue

Si la notion de langue maternelle semble évidente, elle est nettement plus discutée dans la recherche en linguistique. Pour en donner une définition globale, la psycholinguistique s’intéresse à la façon dont les langues sont acquises et concrètement mises en œuvre dans des tâches de communication. La sociolinguistique explore quant à elle la manière dont ces mêmes langues sont articulées sur l’environnement social dans lequel elles sont utilisées.

Parmi les acquis de ces recherches, on retiendra la reconnaissance d’une complexité insoupçonnée de la notion et celle de ses limites. Complexité car les critères de définition ne sont pas simples à donner : langue parlée par les parents ? Langue de socialisation, en particulier en termes de scolarisation ? Langue dite d’appartenance, avec toute la complexité qui accompagne aussi la notion d’identité ? Langue légale – par exemple ce français dont l’article 2 de la Constitution nous dit qu’il est « la langue de la République » ?


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La notion de langue maternelle a des limites ensuite car, dans le monde actuel, la langue n’est plus envisagée comme un système monolithique de mots et de règles de grammaire. Les phénomènes de migration, les échanges scolaires, universitaires, professionnels à l’échelle internationale font que, contrairement à un mythe très franco-français qui associe une langue à une nation, la plupart des locuteurs dans le monde sont intrinsèquement plurilingues.

La notion de plurilinguisme est aujourd’hui aussi appliquée au locuteur « apparemment monolingue » à travers ce que l’on appelle le plurilinguisme interne ; celui-ci « se réfère aux stratifications internes dans un même système linguistique », c’est-à-dire les différents variétés et registres dont nous disposons pour répondre à nos besoins linguistiques. Ce peut être une langue régionale, un dialecte mais aussi une variété de groupe, comme le langage des jeunes – ou une variété fonctionnelle – le langage contraint des contrôleurs aériens et pilotes d’avion par exemple.

Parmi les variétés émergentes qui viennent bouleverser notre représentation de la langue maternelle figurent aussi les langues dites simplifiées. Évoquons le cas du « français facile à lire et à comprendre » (FALC).

Communication sans barrière et inclusion

Le « français facile à lire et à comprendre » s’inscrit de plain-pied dans la problématique de ce qu’on appelle la communication sans barrière et, en particulier, de l’accessibilité linguistique.

Même si les normes varient souvent d’une langue à l’autre, on peut définir la communication sans barrière comme une forme de communication qui considère que la communication dite « standard » peut présenter des obstacles linguistiques, cognitifs, typographiques pour différentes personnes. Elle part donc des besoins spécifiques des publics, par exemple les personnes présentant des déficiences cognitives, les personnes âgées, celles dont le français n’est pas la langue première, etc.

Des livres et des e-books
Le français facile à lire et à comprendre (FALC) s’inscrit de plain-pied dans la problématique de ce qu’on appelle la communication sans barrière. Shutterstock

Cette communication sans barrière regroupe ainsi des dispositifs comme l’audiodescription, la langue des signes, les sous-titres pour sourds et malentendants, l’utilisation du braille, mais aussi tout dispositif en ligne garantissant l’accessibilité numérique. Par ailleurs, elle s’inscrit dans un cadre légal bien reconnu. Depuis la signature de la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées, l’offre en matière de communication dite « accessible » n’a cessé de croître.

La loi européenne de 2019 sur l’accessibilité vient par ailleurs apporter un cadre formel à ce secteur longtemps « invisible ». La publication d’une nouvelle norme ISO pour le langage clair en juin 2023 en livre une preuve récente.

À l’échelle internationale, le périmètre de la communication sans barrière s’élargit à l’heure actuelle. On reconsidère aujourd’hui le focus initial qui portait sur le handicap – et pouvait être stigmatisant – pour situer cette communication par rapport aux besoins individuels d’une information directement compréhensible et utilisable. Cette évolution vers un modèle d’accessibilité dite « universelle » transparaît aussi bien dans des travaux scientifiques que dans des documents officiels.

Au niveau européen, c’est Inclusion Europe qui fédère les initiatives favorisant la diffusion des langues simplifiées, à partir d’une liste de principes partagés. Même si la recherche française reste balbutiante sur le sujet par rapport à son avancement dans d’autres États européens, elle commence à travailler la question d’un point de vue linguistique et cognitif.

L’accessibilité en France et le FALC

En France, la loi du 11 février 2005 définit un droit d’accès à l’information pour les personnes en situation de handicap et a donné lieu à la mise en place d’un Comité interministériel du handicap, à une conférence nationale du handicap, puis à une délégation interministérielle à l’accessibilité installée fin 2022. L’acte législatif européen de 2019 a donné lieu à une stratégie relative aux droits des personnes handicapées 2021-2030 mais aussi à une nouvelle impulsion pour améliorer et standardiser les dispositifs d’accessibilité en France.

En revanche, les normes européennes proposées concernent notamment l’accès à différents types d’environnement (physique ou numérique) sans adresser directement la question du FALC. Côté français, on peut faire le même constat concernant le Référentiel général de l’amélioration de l’accessibilité (RGAA) consacré à la communication numérique. Même si des ministères et d’autres instances officielles promeuvent le FALC en application du droit à l’information, le cadre légal ne prescrit pas directement les normes à appliquer.

Pour se faire une idée plus précise du fonctionnement de cette variété de français, on peut retenir trois grands domaines d’intervention.

  • D'abord, ce qui concerne la mise en page, le formatage et la typographie : éviter les fonds, choisir des polices de caractères de taille adéquate, éviter l’italique, etc.

  • Ensuite, ce qui concerne l’organisation de l’information à transmettre : la présentation des contenus doit être pensée dans un ordre « logique », chaque phrase contient une seule information, pas d’information superflue, etc.

  • Enfin, ce qui concerne le fonctionnement de la langue elle-même : éviter certaines structures syntaxiques comme le passif, s’adresser directement au locuteur, etc.

Plaquette Facile à lire et à comprendre
Facile à lire, plaquette grand public. Document réalisé par Bibliopass, avec le soutien du ministère de la Culture

Les règles d’usage pour le FALC en France découlent d’une collaboration établie en 2009 entre Inclusion Europe, qui publie des normes pour et dans plusieurs langues européennes et les associations Unapei et Nous aussi. Les guides diffusés par ces organismes soulignent la nécessité de réfléchir au public visé et au contexte d’utilisation et d’impliquer impérativement des personnes handicapées intellectuelles dans la préparation des textes.

Les guides précisent également que les documents FALC peuvent avoir vocation à être utilisés par d’autres publics, dont des personnes ayant des difficultés à lire ou dont le français n’est pas la langue maternelle.

Les démarches inclusives nous amènent donc à interroger notre rapport à la langue, aux langues et aux répertoires dont nous disposons pour communiquer. Pour aller au bout de notre démonstration, on pourrait aussi se demander si une variété comme le FALC constituerait une langue maternelle pour certains groupes de locuteurs, mais cette question nous remet devant le débat sur le plurilinguisme interne déjà évoqué.

C’est un enjeu de pratique, bien sûr, mais aussi et surtout de recherche et de formation. Traduire ou rédiger en FALC ne peut s’improviser ni se faire sur une base strictement intuitive non validée scientifiquement, et encore moins sans réflexion préalable sur la langue et son traitement cognitif.

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