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Industrilles

Le robot tue-t-il l’emploi ?

Robot soudeur dans une usine. Jason Armstrong/Flickr, CC BY-NC-ND

L’usine du futur met en œuvre des processus plus flexibles et automatisés. Des postes d’opérateurs sont remplacés par des machines autonomes, automates ou robots. Est-ce la fin du travail ?

Des phénomènes contradictoires à la résultante incertaine

La question dépend largement du périmètre considéré. En effet, l’impact de l’automatisation de la production sur l’emploi est la résultante de quatre phénomènes :

  • sur le site de production, des robots, automates ou convoyeurs se substituent à des postes d’opérateurs : il y a donc moins d’emplois d’ouvrier pour une production donnée

  • l’amélioration de la compétitivité de l’usine peut faire gagner des parts de marchés à l’entreprise (ou lui permettre de les conserver) et induit donc une augmentation des quantités produites et éventuellement des emplois nécessaires à cette production

  • la conception, la fabrication, l’installation, la programmation, la mise en œuvre, la maintenance des robots, logiciels et automates demandent du travail, ceux qui le fournissent peuvent être proches du site de production où le robot est utilisé (mais parfois dans d’autres entreprises), mais peuvent aussi être dans d’autres territoires

  • le temps libéré et le surplus de richesses produites grâce aux gains de productivité peuvent conduire à la création de nouvelles activités, marchandes ou non

Les analystes, selon le phénomène qu’ils privilégient, nous prédisent la fin du travail ou une nouvelle prospérité partagée. Thibaut Bidet-Mayer, dans une étude éclairante de La Fabrique de l’industrie, présente et commente certains de ces travaux.

L’augmentation de la productivité dans l’agriculture, puis dans l’industrie, liée à l’utilisation de machines et d’énergie (vapeur, puis électricité ou produits pétroliers), puis d’automates et de robots, a longtemps été compensé par le « déversement sectoriel » : S’il fallait moins de main d’œuvre pour produire la nourriture, le poids de celle-ci diminuait dans le budget des ménages et ces derniers achetaient des équipements ou des services qu’ils ne pouvaient pas s’offrir avant. Si les voitures devenaient suffisamment bon marché, les ouvriers de Ford pouvaient en acheter et la production d’automobiles augmentait. Une fois le consommateur nourri, logé, équipé, suréquipé d’objets divers, il consacrait plus de moyens à ses loisirs, son bien-être, sa santé ou son éducation.

Les techno-optimistes ironisaient donc sur le « sophisme de la masse de travail fixe », arguant qu’on n’observe pas de corrélation historique entre les gains de productivité et le taux de chômage. On voit quels emplois sont détruits sans toujours deviner où apparaissent les nouvelles activités, ou comme le dit un proverbe africain, « un arbre qui tombe fait plus de bruit qu’une forêt qui pousse ».

Un robot… en train de coder (Rethink Robotics) Steve Jurvetson / Flickr, CC BY

Peu d’évidences empiriques

Faute de pouvoir prédire ce qui va l’emporter du remplacement des hommes par les machines pour effectuer certaines tâches ou de l’apparition de nouvelles activités, on peut chercher des indices dans les statistiques historiques ou les comparaisons géographiques. Les gains historiques de productivité peuvent se faire en période de plein emploi, comme pendant les trente glorieuses ou de chômage de masse. L’histoire ne nous donne pas d’indication claire.

Au niveau géographique, des recherches de Roland Berger sur la période 2002-2012 montrent que les pays qui ont le plus de robots (rapportés aux effectifs salariés) sont ceux qui ont la croissance de la valeur ajoutée industrielle la plus soutenue.

La corrélation avec l’emploi dans l’industrie, elle, est presqu’indétectable : la croissance de la production ne ferait que compenser – en moyenne – la décroissance de la main d’œuvre nécessaire pour fabriquer une unité de production. Toutefois cette dernière statistique ne prend en compte que l’emploi dans l’industrie (résultant des deux premiers phénomènes décrits plus haut) et non le fait que les emplois suscités par la robotisation le sont largement dans les services (conception, programmation).

D’une manière générale, la production industrielle repose de plus en plus sur l’achat de services (parfois réalisés jadis dans l’entreprise et donc non comptabilisés comme tels) et la vente de produits industriels s’accompagne de plus en plus de services associés. Si on prend en compte ce dernier phénomène, il est probable que l’amélioration de la productivité et de la compétitivité permise par l’investissement dans l’appareil de production et notamment l’automatisation et la robotisation de la production a un effet positif sur l’emploi global.

Robots de l'usine Tesla. Steve Jurvetson / Flickr, CC BY

Mourir certainement ou vivre dangereusement

L’absence de certitude n’empêche pas d’apprécier certaines conséquences des choix qui s’offrent à nous.

Si nous n’investissons pas dans la modernisation de notre appareil de production, nous sommes alors condamnés à perdre nos parts de marché et à terme nos emplois. Une politique protectionniste ne pourrait que ralentir un peu le rythme de ce déclin.

Si nous montons en gamme et modernisons l’outil de production, nous pouvons espérer maintenir, voire augmenter nos parts de marché. Des emplois seront perdus dans les sites de production (sauf si, comme en Allemagne, nous produisons justement les biens d’équipements qui permettent aux industriels du monde entier de moderniser leurs usines). D’autres pourront être gagnés si nous sommes pionniers sur les nouveaux marchés qui s’ouvrent. La France acquiert des positions enviables sur certaines technologies d’avenir (objets connectés, transactions sécurisées, informatique embarquée, simulation, certains dispositifs médicaux), mais a pour l’instant moins de succès sur d’autres (biotechnologies, plateformes logicielles).

La modernisation ne garantit pas le succès et peut conduire à des transitions difficiles, le repli sur soi mène inéluctablement au déclin. Le syndicat allemand IG Metall, l’a bien compris, dont un représentant déclarait lors d’une table ronde récente du Printemps de l’économie qu’il avait tiré les leçons de ses réticences passées face à l’automatisation des usines et qu’aujourd’hui il s’impliquait dans le pilotage du programme Industrie 4.0 (l’équivalent de notre programme « industrie du futur »), afin que les aspects sociaux soient bien pris en compte.

Une certitude : un immense besoin de formation

Une chose sûre est que beaucoup d’emplois vont disparaître, notamment des emplois peu qualifiés, mais aussi des emplois relativement qualifiés mais facilement automatisables : le succès de la banque et de l’achat de produits financiers en ligne se traduit par un moindre besoin de conseillers clientèle dans les agences bancaires. La principale incertitude porte sur le rythme de leur attrition.

D’autres emplois vont apparaître, de natures très diverses, certains dans la haute technologie, d’autre dans les services à la personne ou le secteur des loisirs. Certains de ces emplois (comme les services, qualifiés ou non, nécessitant une présence près du bénéficiaire) seront nécessairement sur notre territoire, d’autres (comme l’édition de logiciel ou le service en ligne ou la fabrication d’objets) pourront être chez nous, notamment si nous avons les compétences requises pour ces nouveaux emplois.

Tout ceci pose un immense défi à notre système de formation, tant pour ceux dont la tâche risque de disparaître (parce qu’elle est automatisée ou parce que l’unité de production en France est fermée faute d’une compétitivité suffisante) que pour ceux qui souhaitent profiter des nouvelles opportunités. Ce sera l'objet d'une prochaine chronique.

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