En novembre, Air Canada a fait les manchettes lorsque son PDG s’est adressé à la Chambre de commerce du Montréal métropolitain et a admis qu’il ne parlait pas français.
Michael Rousseau vit depuis plus de dix ans à Montréal, où se trouve le siège social d’Air Canada. Il a depuis présenté ses excuses et s’est engagé à apprendre le français.
Plus récemment, le PDG de SNC-Lavalin a reporté une allocution qu’il devait donner à Montréal, s’engageant d’abord à rafraîchir ses notions de français.
Et on apprenait à la mi-avril que le CN, la plus grande compagnie de chemin de fer du pays, ne comptait plus aucun francophone sur son conseil d’administration et ce, même si son siège social est à Montréal et qu’elle est assujettie à la Loi sur les langues officielles. Sa nouvelle PDG depuis le 28 février, Tracy Robinson, est unilingue anglophone.
L’attention médiatique qu’ont attirée le CN, Air Canada et SNC-Lavalin illustre l’importance du comportement des PDG. En effet, ce qu’ils disent et la façon dont ils le disent sont essentiels — cela donne le ton dans la direction de l’entreprise et peut avoir de vastes retombées.
Ton de la direction : sens et impact
L’expression « ton de la direction » désigne, de façon générale, les sujets abordés par les chefs d’entreprise, la façon dont ils parlent, ce qu’ils font et la manière dont ils le font. Le ton de la direction est interne lorsque les dirigeants s’adressent aux employés et agissent à l’intérieur de l’entreprise. Le ton est externe lorsque les dirigeants s’adressent à un public élargi, comme M. Rousseau lors de son discours à Montréal, et que leurs actions ont lieu hors de l’entreprise.
Le ton de la direction peut être donné de différentes façons, c’est-à-dire en personne ou à distance (dans les journaux, les communiqués de presse, les rapports, les médias sociaux ou les vidéos).
Le ton de la direction indique le raisonnement moral des chefs d’entreprise, révélant ce qui selon eux est bon ou pas, et ce qui est important ou non. Quand un chef d’entreprise donne un discours dans une région francophone, mais qu’il ne parle qu’anglais, cela illustre ce qu’il pense de l’importance de la langue — et de la langue qu’il croit être la plus importante.
Le raisonnement moral que révèle le ton de la direction a des conséquences. Les chefs d’entreprise ont autorité en raison de la place qu’ils occupent au sommet de la hiérarchie organisationnelle. Ce qu’ils disent et font redescend la hiérarchie jusqu’à l’ensemble des employés, légitimisant au passage des comportements particuliers. En parlant anglais dans un milieu francophone, un chef d’entreprise montre qu’il est acceptable de ne pas parler français.
Ton de la direction : le mauvais et le bon
Le ton de la direction a un poids moral. Il peut promouvoir une certaine culture au sein de l’organisation, encourageant les employés à se comporter de façon plus ou moins éthique.
Le ton de la direction peut contribuer à une culture permissive de harcèlement. Par exemple, le PDG d’Uber, Travis Kalanick, a démissionné en 2017 après qu’une enquête interne ait mis en lumière le très grand nombre de cas de harcèlement sexuel survenus sous sa direction.
La culture d’entreprise peut ainsi créer un climat qui favorise le harcèlement, y compris le harcèlement sexuel, si les dirigeants se montrent passifs, évitent de prendre des décisions et n’interviennent pas lorsqu’ils font face à un comportement inapproprié, à moins que de graves problèmes ne surviennent. Un ton de « laissez-faire » montre qu’un comportement inapproprié est toléré et légitime et qu’il ne sera ni puni, ni corrigé. Les agresseurs sont encouragés, les victimes réduites au silence. Les témoins savent ce qui se passe, mais ne font rien.
Ce problème est exacerbé en cas de leadership hostile, caractérisé par un comportement agressif qui crée un climat de peur et de silence. Les comportements problématiques favorisés par le ton de la direction peuvent prendre diverses formes et comprennent les délits d’initié, la communication d’informations inexactes et la gestion du résultat.
En revanche, le ton de la direction peut favoriser une culture saine lorsque les chefs d’entreprise sont des modèles de conduite sur le plan moral.
Ainsi, les dirigeantes d’entreprises canadiennes que j’ai interviewées mettent souvent l’accent sur l’importance d’un leadership axé sur l’attention et l’empathie.
L’une d’entre elles parle de ce que les gens valorisent, soulignant qu’ils « ne vont pas suivre des actes illégaux ou autres gestes semblables. La paix fondée sur la confiance et l’intégrité se transforme alors en réussites ». Elle explique que la confiance requiert « une pensée intégrative », qui « vient de l’écoute et de l’ouverture ».
Ton de la direction : prêcher par l’exemple
Idéalement, les chefs d’entreprise doivent se montrer attentifs envers leurs communautés, se comporter de façon responsable et poser comme des modèles de bonne conduite. Ils connaissent le poids moral de leurs paroles et de leurs actes.
Pour y parvenir, il faut s’y prendre tôt. Les leaders sont le produit de leur culture sociétale. L’éducation joue un rôle essentiel si on veut avoir conscience de nos paroles et actes, de la façon dont ils résonnent chez les autres et de leur impact sur eux.
Proches des bureaux de direction, les conseils d’administration ont la responsabilité de surveiller les chefs d’entreprise ; ils doivent agir de façon proactive avant qu’une crise n’éclate.
Pour ce faire, ils doivent définir les limites d’un comportement approprié ou inapproprié en s’interrogeant sur les attentes, les priorités ainsi que la façon dont doit agir et parler un chef d’entreprise. Ils doivent déterminer ce qui se passe si les limites fixées ne sont pas respectées.
Les membres d’un conseil d’administration doivent utiliser cette information lors du processus de recrutement afin d’identifier les leaders qui répondent aux attentes de l’entreprise et, par la suite, de les encadrer et de les évaluer de façon exhaustive et régulière.