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Les « forêts » de pins maritimes d’Aquitaine, des nids à incendie ?

Sol d'une forêt de pins maritimes après des incendies
En septembre 2022, sol brûlé à quelques dizaines de kilomètres de Bordeaux. Philippe LOPEZ/AFP

Cet été 2022, les feux de forêt de pins maritimes dans les Landes de Gascogne ont frappé les esprits. Dans les départements concernés de la Gironde, des Landes et du Lot-et-Garonne, les feux ont atteint des dizaines de milliers d’hectares.

Carte montrant la région naturelle des Landes de Gascogne
Carte des Landes de Gascogne. Wikimedia, CC BY-SA

Les images diffusées par les médias, les déclarations des pompiers, les constats des élus, des producteurs industriels de bois ou encore des agents de l’ONF, mais aussi les commentaires de résidents et de vacanciers ont semblé assez unanimes dans la description de la « catastrophe ».

Mais que s’est-il passé exactement ? Faut-il parler d’une « catastrophe naturelle » ou d’une « perturbation humaine » ?

Derrière ces expressions se cachent des processus écologiques et des réalités territoriales sur lesquels il faut revenir pour évaluer le poids de la gestion du territoire dans ces incendies et tenter d’esquisser une trajectoire durable pour cette région forestière.

Quand les feux se déclenchent

Les végétations brûlent sous l’effet de processus naturels, modifiés par les humains ; et certaines brûlent plus que d’autres : les Landes de Gascogne n’échappent pas à cette maxime scientifique.

Les feux se déclenchent (on parle d’« ignition ») parfois naturellement et se propagent tout aussi naturellement. L’ignition naturelle est provoquée par la foudre, un processus rarissime et peu risqué, car très souvent associée aux pluies d’orage. L’ignition est ainsi le plus souvent le fait des humains.

Reste la propagation : elle concerne la combinaison complexe du combustible (végétaux), de son hétérogénéité en qualité (inflammabilité des espèces végétales), de son abondance, de sa répartition au sol et verticale en forêt, de la continuité du combustible au niveau du territoire ; et, bien entendu, des conditions météorologiques.

On comprend aisément que l’on peut modifier certains paramètres de végétation pour réduire ou augmenter la propagation d’incendie. Il est donc possible d’agir sur le risque.

Facteurs de contrôle des feux ; à gauche, les facilitateurs (chaleur, sécheresse, boisements clairs, paysage forestier continu) ; à droite, les atténuateurs, à savoir de l’humidité, des boisements denses composés d’arbres peu inflammables et un paysage morcelé alternant des forêts des productions, des forêts naturelles peu inflammables, de l’agriculture (vignes ou fruitiers, grandes cultures, maraîchage, prairies).

Mourir, échapper ou survivre aux flammes

Un feu a des effets variés et multiples sur la biodiversité et la productivité des écosystèmes. Des organismes végétaux, animaux ou microbiens meurent, mais leur démographie peut s’en trouver stimulée.

Le biologiste Philip Grime définissait une perturbation naturelle, tel un feu, comme un processus amenant à « une destruction totale ou partielle de biomasse ». Une perturbation est aussi un évènement limité dans le temps et en étendue.

Si des individus de certaines espèces meurent, des individus de la même espèce ou d’autres espèces survivent grâce à des caractéristiques démographiques, morpho-physiologiques ou comportementales – on parle de « traits biologiques » – permettant d’échapper ou de survivre au feu.


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Cela dépendra, bien entendu, de la fréquence de la perturbation – si elle intervient trop souvent, alors ses effets pourront durer –, mais aussi de son étendue, de l’intensité (feu de cime par opposition à feu de surface), ou encore de la saison.

Les forêts tempérées chaudes, méditerranéennes par exemple, sont résilientes aux feux ; la biodiversité et l’état de l’écosystème y sont bien souvent restitués en quelques années, ou quelques décennies. Rappelons que la « résilience » désigne la capacité de réponse rapide à la perturbation en revenant à l’état d’avant cette perturbation.

Conséquences contrastées entre des feux intenses facilités par des monocultures de pins avec des émissions de carbone et une faible diversité, et des feux peu intenses dans des boisements naturels diversifiés et accumulant du carbone dans les sols.

Les effets variés du feu sur la biodiversité

Cette résilience au feu des arbres tempérés chauds ou méditerranéens (comme le pin maritime des Landes) tient à leurs traits biologiques. Mais l’ensemble de l’écosystème est lui aussi concerné.

Un feu consume les matières organiques et produit massivement des cendres, notamment du phosphore qui est une nourriture essentielle des arbres, pouvant manquer en l’absence de feu. Les feux libèrent du carbone vers l’atmosphère – sous forme de gaz, tel du CO₂ – mais aussi vers le sol sous forme de charbon de bois, matière organique mal brûlée.

Dans un monde idéal où une forêt succède à la forêt brûlée, le CO2 émis vers l’atmosphère sera réabsorbé par les plantes grâce à la magie de la photosynthèse. Le bilan pourrait être à l’équilibre, sous réserve que les feux ne soient pas trop fréquents ou intenses en consumant les matières organiques du sol. Les charbons de bois sont par exemple une chance pour l’écosystème, en stockant durablement du carbone et en protégeant les bactéries nitrifiantes du sol, utiles aux plantes contre certaines toxines.

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Un feu de forêt a ainsi des effets divers pour la biodiversité et l’environnement. Pour les humains, un feu peu sévère pourra être avantageux en améliorant les lits de semences de plantules, en augmentant la productivité des forêts ou en préservant le risque de grands feux par brûlage des sous-bois.

Mais il sera qualifié de désastre en cas de feu très sévère par destruction de ressources sylvicoles, d’infrastructures ou encore de pertes indirectes d’emplois.

Des choix historiques

Au XIXe siècle, des initiatives locales puis des politiques impériales ont dicté la nécessité de planter du pin maritime dans le Sud-Ouest de la France pour protéger le territoire contre le mouvement des dunes à proximité de la côte, et pour valoriser des sols très infertiles après drainage du plateau landais.

Il s’agissait de susciter une économie rurale dans une région appauvrie par des siècles de pastoralisme et soumise à un exode. La forêt originelle, dominée par des chênes, a été substituée depuis l’Antiquité par des landes de bruyères et d’herbes peu productives pour le bétail.

Il n’existe ainsi pas de forêt naturelle de pins maritimes dans les Landes, hormis peut-être quelques petits boisements sur de vieilles dunes. Le pin maritime est peu gourmand ; il pousse vite, et valorise des sols sableux et pauvres, secs l’été ou engorgés l’hiver. Bien que natif d’Aquitaine, ce pin est à la limite nord de son aire naturelle qui s’étend jusqu’au Maroc. C’est avant tout un Méditerranéen, naturellement beaucoup plus répandu au sud.

Le choix de cet arbre comme essence de reboisement était évident ; c’était le seul arbre natif pouvant former une sylviculture productive sur ces sols peu fertiles dans le contexte du climat du XIXe s. L’expérience s’est avérée être une réussite jusqu’à nos jours, en atteste son étendue en Aquitaine (avec près de 80 0000 hectares) et la filière industrielle « pin maritime » puissante et diversifiée.

Boisement de production de pin avec sous-bois inflammable de bruyères et d’ajoncs ; trace de gemmage traditionnel avec scarification du pin et godet pour la récolte de la résine.

La sylviculture des Landes

Le pin maritime est exploité pour son bois, mais aussi historiquement pour sa résine par la pratique dite du « gemmage », qui consiste à scarifier les arbres pour en extraire la résine. La forêt de pin maritime est désormais destinée à l’exploitation par coupe rase (tous les arbres d’une parcelle sont coupés, laissant le sol à nu).

La coupe et le gemmage constituent deux perturbations. Comme le feu, la coupe rase exporte de la matière pour la production de bois d’œuvre ou de papier, générant des émissions de gaz dans l’atmosphère. Après coupe, le boisement est replanté ou semé, en sélectionnant les semenciers ou géniteurs, le plus souvent dans des vergers à graines, des lieux de sélection des plus beaux individus en termes sylvicoles pour la production.

Ce sont donc des conduites de cultures de filières agricoles, comme pour du maïs ou du colza.

Une plantation de pins maritimes procède d’un ensemble de mécanismes de sélection, de conduites de cultures avec préparation du sol (30 cm) et du sous-sol (50 cm), l’utilisation d’intrants pour la nutrition des plantes ou le désherbage, et aussi des produits biocides pour lutter contre les parasites et ravageurs de cultures, comme des insectes ou des vers nématodes.

La sylviculture des landes est donc une culture agricole comme une autre, si ce n’est que la rotation est de 30 à 50 ans.

Cette culture fait vivre une partie du territoire, alimente un tissu économique local où même des industriels étrangers investissent compte tenu de la rentabilité de la filière, tel le canadien Tembec dont l’usine de Tartas a été rachetée en 2017 par l’États-unien Rayonier.

Comme dans toutes filières de production, des techniciens de cabinets d’expertises techniques conseillent les propriétaires, ou l’ONF quand il s’agit des forêts communales. L’ONF gère aussi au nom de l’État les forêts domaniales, pour l’essentiel le long du littoral dunaire sensible d’Aquitaine.

Il existe ici une articulation complexe, aux intérêts multiples, entre les exploitants de pin maritime propriétaires fonciers, les conseillers techniques, les investisseurs, les industriels de la filière, les populations locales bénéficiant d’emplois directs et indirects, les communautés territoriales et les pouvoirs publics.

Sous-bois de forêt naturelle mixte (à gauche) avec chêne-liège, chêne sessile, châtaignier, pin maritime, etc. ; en haut à droite, jeune plantation de pin maritime ; en bas à droite, plantation de pin au sous-bois inflammable de bruyères et d’ajoncs.

L’homogénéité paysagère de la pinède

Outre cette économie, la sylviculture des Landes maintient une atmosphère unique en France, celle d’un territoire couvert de pins maritimes. Personne n’y est insensible, même s’il s’agit d’un ensemble monotone et linéaire, à très faible biodiversité.

Cette homogénéité paysagère frappe le regard du voyageur et se révèle dans les images aériennes. Or, ce vaste territoire forestier inflammable nécessite d’être morcelé et hétérogène. Et pas seulement par l’alternance de boisement d’âges différents : il faut de vieilles forêts dont la canopée dense réduit le sous-bois inflammable tout en maintenant de l’humidité.

L’uniformisation des plantations de pins implique des risques de propagation du feu que seule une gestion raisonnée du territoire permet de limiter.

Cela implique non seulement la création de vastes coupe-feux entretenus, mais aussi l’alternance de peuplements de nature différente en composition d’espèces. Des forêts plus naturelles, mixtes de chênes sessiles ou de chênes-lièges, et d’autres espèces feuillues moins inflammables sont requises en alternance avec des plantations de pin pour réduire le risque de propagation et l’intensité des feux, mais aussi pour retrouver une biodiversité aujourd’hui érodée et fragmentée.

En outre une forêt de feuillus est moins chaude qu’une forêt de pin, préserve le carbone dans son sol et peut produire aussi une ressource ligneuse de qualité supérieure. Cela n’exclut pas le risque de feu, ni même l’utilisation raisonnée du feu contrôlé en saison plus humide, pour dégager les sous-bois, favoriser la régénération en préparant le lit de semences et en stimulant la productivité par production de cendres et de charbon.

Pour une planification durable du territoire forestier

Répétons-le : les plantations de pins maritimes des Landes de Gascogne ne constituent pas une forêt naturelle, mais bien un vaste territoire sylvicole industriel hautement inflammable.

Ici, les feux ne sont donc pas une catastrophe d’origine écologique, mais bien humaine et intensifiée par la météorologie. Au XXIe siècle, il nous faudra composer avec les feux, le climat plus chaud et parfois plus sec favorisant les incendies.

Certains proposent de manipuler les forêts en privilégiant des espèces natives d’arbres peu inflammables afin de réduire les risques ; d’autres préconisent de penser le territoire comme un lieu partagé entre traditions et modernités.


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Le modèle de la forêt de pins maritimes des Landes de Gascogne, économiquement déterminant pour cette région au XIXe siècle, est aujourd’hui à repenser, ce territoire, de plus en plus peuplé et partagé, étant source d’ignition ; la forêt homogène (propagation) de pins maritimes (inflammables) ne doit plus être l’unique option.

Évitons ainsi d’étendre plus au nord la culture du pin maritime vers des climats qui sont devenus favorables non seulement à sa productivité… mais aussi aux incendies.

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