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Le laboratoire créatif

Lire pour guérir

Jaredd Craig/Unsplash

Cette chronique est dans la droite ligne et se nourrit des recherches et rencontres publiées sur mon site Les cahiers de l’imaginaire.

Dans un entretien d’Alain Finkielkraut avec Philippe Lançon et Antoine Compagnon, P, l’une des victimes de l’attentat de Charlie Hebdo, explique comment la lecture a été pour lui un remède.

À l’hôpital, durant son long et éprouvant séjour, il a décidé de consacrer son temps à la lecture et à la relecture d’un épisode de la mort de la grand-mère dans le troisième tome de La Recherche du temps perdu, Le Côté de Guermantes de Marcel Proust.

L’œuvre de Proust, tout d’abord, l’a accompagné tout au long de son adolescence. Constitué à la fois de tragique, de comique et de tendresse, le passage qui décrit la mort de la grand-mère du narrateur créait en quelque sorte un effet miroir sur ce qu’il était lui-même en train de vivre à l’hôpital.

Mise en perspective

La lecture de Proust le consolait et, en même temps, en dépit ou en raison même de sa rudesse, le renseignait sur la connaissance profonde de la maladie décrite dans le passage en question.

Philippe Lançon cite le passage suivant :

« Pour une grande part, la souffrance est une sorte de besoin de l’organisme de prendre conscience d’un état nouveau qui l’inquiète, de rendre la sensibilité adéquate à cet état. »

Ces sensations féroces obligent le malade à considérer sa situation de l’extérieur, afin de pouvoir comprendre ce qu’il est en train de vivre.

L’agonie de la grand-mère de Proust est racontée de manière clinique. Mais il y a plus que cela. Un an après son décès, Proust, à l’hôtel de Balbec, est soudainement assailli par le souvenir de sa grand-mère qui avait fréquenté ce lieu :

« Ma poitrine s’enfla, remplie d’une présence inconnue, divine, des sanglots me secouèrent, des larmes ruisselèrent de mes yeux. L’être qui venait à mon secours, qui me sauvait de la sécheresse de l’âme, c’était celui qui, plusieurs années auparavant, dans un moment de détresse et de solitude identique, dans un moment où je n’avais plus rien de moi, était entré, et qui m’avait rendu à moi-même. »

La culture, la littérature en l’occurrence, et les histoires qu’elle nous raconte, façonnent notre mémoire, à l’instar du réel. Elle nous aide à nous construire, nous sert ensuite de référence dans les moments charnières de notre existence.

Le cas de Philippe Lançon est un cas extrême. D’autres exemples moins saisissants illustrent l’importance du récit écrit, comme le résume Guy de Maupassant :

« Car c’est par l’écriture toujours qu’on pénètre le mieux les gens. La parole éblouit et trompe, parce qu’elle est mimée par le visage, parce qu’on la voit sortir des lèvres, et que les lèvres plaisent et que les yeux séduisent. Mais que les mots noirs sur le papier blanc, c’est l’âme toute nue. »

Lire pour Guérir, Les Cahiers de l’imaginaire. Annie Spratt/Unsplash

Gestion des émotions

Les contes, par exemple, peuvent aider les enfants à surmonter leur anxiété.

Une étude a été menée au Canada auprès d’enfants âgés de 9 à 12 ans souffrant de troubles d’anxiété. L’originalité de l’étude tient au fait qu’elle tire parti de livres d’histoires qui n’ont pas été spécifiquement conçus à cet effet. Il s’agit des livres de la collection « Dominique » des éditions du Boréal.

Chaque atelier comprend la lecture d’une histoire décrivant de jeunes personnages qui développent des stratégies pour gérer plus efficacement des situations de stress.

Les résultats de l’étude notent une amélioration significative des aptitudes des enfants à faire face aux situations génératrices de stress, une diminution des symptômes de peur et d’anxiété et une reconnaissance par les enfants eux-mêmes de cette efficacité. Plus encourageant encore, ces bénéfices se sont maintenus tout au long de la période de suivi qui a duré neuf mois.

Ce projet vise à développer de nouvelles approches de prévention, car un nombre important d’enfants (de 2 à 8 %) souffrent d’anxiété. Un enfant anxieux éprouvera plus de difficultés dans ses relations, aura tendance à s’isoler et risquera de se sentir rejeté par ses camarades.

Les livres peuvent être des outils pour aider les enfants à mieux contrôler leurs émotions et à gérer des situations anxiogènes en s’identifiant aux personnages des histoires qui leur sont racontées. En groupe, dans le cadre d’ateliers de lecture, cet effet peut être décuplé lorsque les enfants partagent avec d’autres leurs perceptions et leurs opinions concernant les situations génératrices de stress.

La combinaison texte-image facilite l’intégration et l’apprentissage, en particulier lorsque la lecture est réalisée dans un environnement rassurant.

Clés pour l’avenir

Nous construisons notre réalité à partir des histoires que nous nous racontons ou qui nous sont racontées.

D’ailleurs cette méthode est très efficace, je l’utilise à la Nouvelle École de Créativité dans le programme « Ma vie telle que je l’imagine ». Nous devrions avoir recours aux histoires non seulement avec les enfants, mais également avec les adultes.

En entreprise, cela favoriserait à la fois le bien-être au travail et la créativité. C’est aussi une excellente façon pour apprendre à anticiper l’avenir et prendre de meilleures décisions. La lecture aide à faire des liens que nous ne ferions pas autrement.

Il est plus difficile d’entreprendre de nouveaux projets et d’accepter une part de risques dans certains domaines de nos vies si nous n’avons pas un socle de stabilité dans d’autres domaines. Si votre vie familiale est stable, que vous avez une bonne relation avec vos proches, si le clan est soudé, il sera plus facile de tenter une aventure professionnelle, par exemple.

Un enfant anxieux risque de devenir un adulte anxieux qui aura beaucoup plus de mal à mener des projets à terme et à relever de nouveaux défis. Ses peurs risquent de le tétaniser, de l’enfermer dans une vie qui le maintiendra en deçà de son potentiel. Son anxiété réduira sa tolérance aux risques.

Consciemment ou non, individuellement ou en groupe, nous tissons une toile complexe de correspondances entre des situations réelles et fictives afin de comprendre le monde qui nous entoure.

L’exercice de cette semaine vous propose de vous inspirer de ces pratiques pour résoudre un problème. Cliquez ici, si vous souhaitez réinventer vos séances de brainstorming et trouver des idées ingénieuses qui ne vous seraient pas venues autrement.

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