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Médecins scolaires, un rôle trop méconnu ?

En novembre 2020, séance autour des gestes barrières animée par un médecin dans une école parisienne. Anne-Christine Poujoulat/AFP

Alors que la parole se libère autour de l’inceste, Emmanuel Macron s’est exprimé fin janvier sur les réseaux sociaux pour assurer les victimes de son soutien et a déclaré que des rendez-vous de dépistage et de prévention seraient mis en place au primaire et au collège, dans le cadre des visites médicales obligatoires.

Cette annonce renvoie cependant à une difficulté de terrain : la pénurie de médecins scolaires, pointée à nouveau par un rapport de la Cour des comptes en avril 2020. Un tiers des postes de médecins seraient vacants dans l’Éducation nationale, de sorte que ces professionnels n’ont assuré que 18 % des visites prévues pour la sixième année des élèves en 2018, contre 26 % en 2013.

Dans cette période particulière où chaque jour sont évoqués à l’envi les mots pandémie, fermeture de classes, enseignement à distance, décrochage, mal-être, il est important de revenir sur le rôle de ces professionnels qui se trouvent en première ligne face aux enjeux actuels de santé publique et de société.

Ce sont des médecins le plus souvent spécialisés en médecine générale, mais aussi en pédiatrie, santé publique ou toute autre spécialité. De fait, la médecine scolaire n’est pas, en France pas plus qu’ailleurs, une spécialité reconnue en tant que telle et donc enseignée dans les facultés de médecine. Ou à peine.

Notamment depuis un an, dans le cadre de la réforme du troisième cycle des études médicales, des internes en médecine volontaires peuvent faire une « formation spécialisée transversale » santé scolaire, qui pourrait, à terme, ouvrir la voie à une spécialisation. Mais le chemin est long et parsemé d’obstacles.

S’il existe dans de nombreux pays une santé ou une médecine scolaire, il n’y a pas toujours de médecins dont l’exercice est exclusivement dévolu au milieu scolaire. C’est le cas des médecins de l’éducation nationale en France : ils sont recrutés par concours et, après une année pendant laquelle ils sont en alternance en formation à l’École des hautes études en santé publique (EHESP) et en poste sur leur secteur d’activité, ils deviennent fonctionnaires d’État, à l’éducation nationale donc.

De nombreuses missions

À ce jour, un peu moins de 1 000 équivalents temps pleins sont occupés sur les 1 500 postes de médecins de l’éducation nationale ouverts. En appliquant une simple règle de trois, sur une base statutaire de 1607 heures par an et par médecin, rapportée à 12 352 200 d’élèves, en France, chaque élève disposerait d’un peu moins de 8 minutes de temps de médecin scolaire par année de scolarité.

Pour réducteur qu’apparaisse ce calcul, il illustre une certaine pénurie, comme le fait la fourchette traditionnellement donnée au nombre d’élèves par médecin (entre 9 000 et 30 000). Et ceci d’autant plus que les missions des médecins de l’éducation nationale sont nombreuses. Elles peuvent être synthétisées en trois grands blocs.

D’une part, une approche individuelle de la santé des élèves avec des bilans obligatoires : visite médicale lors de la sixième année, destinée à dépister des troubles qui pourraient entraver l’entrée dans les apprentissages des enfants en grande section de maternelle. Mais aussi visite d’aptitude dérogatoire aux travaux réglementés interdits aux mineurs, pour les élèves de moins de 18 ans orientés en lycée professionnel. En outre à tout moment dans la scolarité, les médecins scolaires peuvent intervenir pour des élèves à besoins particuliers (situation de handicap ou maladie chronique notamment) ou pour des situations préoccupantes (relevant du registre de la protection de l’enfance essentiellement).

D’autre part, les médecins de l’éducation nationale approchent la santé des élèves de façon collective : éducation à la santé, surveillance de l’environnement scolaire, formation des personnels aux caractéristiques de la santé de l’enfant et de l’adolescent, recueil des données sur la santé des élèves voire participation à des recherches concernant de ces publics.

Enfin, ils sont aussi partie prenante dans la gestion des situations d’urgence sanitaire : survenue d’événements graves ou de maladies transmissibles dans la communauté scolaire. La crise actuelle illustre bien le bénéfice spécifique qui pourrait être attendu de ce corps de professionnel.

On mesure l’amplitude des compétences requises tout autant que l’ampleur de la tache…

Approche collective

L’exercice en milieu scolaire attire majoritairement des femmes (96 % en 2018), qui ont fait le choix d’une carrière au service de l’enfance et de l’adolescence, dans une approche non curative. Les motivations les plus souvent avancées sont la volonté d’un exercice en équipe avec d’autres professionnels de l’enfance de l’adolescence et de l’éducation, mais aussi l’envie d’avoir une approche collective de la santé.

Le médecin scolaire n’est en effet pas là pour voir de jeunes patients qu’il traiterait individuellement à l’école, suivant un modèle d’exercice libéral. Il s’agit bien de considérer l’école comme un milieu de vie favorable à la santé et comme l’opportunité de lutter contre les inégalités sociales de santé. D’où l’importance de permettre à chacun de ces professionnels de changer de paradigmes : de l’individuel au collectif, du curatif au préventif, du soin à la promotion de la santé, comme en témoigne la liste de leurs missions et le programme de leur formation.

La formation délivrée aux médecins de l’éducation nationale vise donc directement à leur permettre de remplir au mieux ces missions en intégrant notamment des thématiques prioritaires de l’éducation nationale ou de santé publique selon l’actualité, en prenant en compte l’évolution du profil des promotions reçues au concours et de leurs besoins et en leur donnant l’opportunité de s’outiller en promotion de la santé.

Notons que les rapports et expertises concernant la santé scolaire se sont multipliés ces dernières années témoignant d’une double préoccupation : celle de la santé des jeunes et de leur bien-être à l’école pour commencer, mais aussi celle des conditions de leur développement et leur prise en compte au sein de l’éducation nationale, notamment par des acteurs spécialisés.

Tensions actuelles

La palette de leurs missions et leurs compétences spécifiques confortent le rôle de première ligne que ces professionnels de santé pourraient jouer dans la lutte contre la pandémie à Covid-19. Et ce, au-delà de leur contribution actuelle, dictée par le biomédical et l’infectiologie (contact tracing, vaccination, tests de dépistage, gestion des urgences…). On pense ici en particulier aux conséquences directes ou indirectes de cette pathologie de mieux en mieux identifiées sur la santé physique et mentale des élèves, notamment les plus vulnérables (porteurs de maladies chroniques ou de handicaps, issus de familles économiquement fragilisées par la crise, décrocheurs…).

Mais le corps des médecins de l’éducation nationale ne peut relever ces défis de manière isolée et cloisonnée, ce qui est pourtant la règle, accentuée par une gestion séparée de chacun des métiers santé et sociaux présents au sein de cette administration (médecins, psychologues, infirmiers et assistants de service social) et une articulation pas toujours fluide avec le corps enseignant. Il est pourtant essentiel de développer une approche collaborative et complémentaire entre les différents acteurs de la santé des élèves, dans une logique de service et d’approche par milieu de vie, ici l’école, qui pourrait passer par des temps de formation partagés à développer.

On mesure bien la tension entre l’ampleur de la tâche et la réalité des effectifs disponibles, entre l’empilement des missions et la possibilité de prioriser ; qui pourrait éviter la perte de sens et permettre de gagner en efficience, au service du bien-être et de la santé de tous les élèves aujourd’hui et demain ; en optimisant les 8 petites minutes de médecin scolaire de chaque élève de notre pays…

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