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Pacification ou émancipation ? Comment réconcilier les deux laïcités

La Marianne de la Place de la République, à Paris. Coyau/Wikimedia

La loi de 1905 comprend, pour l’essentiel, des articles concernant la liberté religieuse (article 1 : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes, sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public ») et la neutralité de l’État, c’est-à-dire l’indépendance du politique par rapport au religieux (article 2 : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte »).

Par la liberté des Églises et par l’autonomie du politique par rapport au religieux, il s’agit d’établir la paix religieuse. La laïcité est donc, en tout premier lieu, une pacification des esprits par la loi. Elle privilégie l’idée de l’inaliénabilité de la liberté de conscience, la neutralité de l’État impliquant son incompétence dans le domaine de la religion. On a donc pu écrire, à juste titre, que la laïcité instituée par la loi de 1905 est d’abstention.

Néanmoins, la pacification, si elle est son objectif premier (dans un contexte bien différent du nôtre), n’est pas le seul. La loi exprime également l’idée d’émancipation par la raison. Elle a donc constitutivement partie liée avec la philosophie des Lumières. Si l’on privilégie le premier aspect, le principe de laïcité est compris comme un principe fondamentalement juridique. Si l’on privilégie le second, il acquiert une portée politique, et les contours de son application deviennent sujets à controverse. L’affrontement entre ces deux dimensions – pacification et émancipation – est ainsi à la source de la division de la gauche.

La laïcité conçue comme un rempart

Tous les protagonistes s’accordent, du moins on peut le supposer, sur le droit, permis par la laïcité, et offert à tous les citoyens, d’invoquer la liberté de conscience. C’est ce droit qui garantit l’existence même d’une communauté politique. Or, en raison de l’accroissement, entre 1905 et aujourd’hui, de la diversité culturelle, le risque du communautarisme, c’est-à-dire ici de l’éclatement de l’unité du droit, a conduit à un raidissement des positions dont on voit assez mal les conditions d’un dépassement.

La dimension d’émancipation est aujourd’hui prioritairement revendiquée par ceux qui souhaitent faire de l’État le protecteur ultime face aux emprises communautaires. Dans cette conception, la laïcité sert de surplomb à toutes les formes d’appartenance.

Ses partisans ont pu ainsi voir dans l’interdiction du foulard islamique à l’école une manière d’approfondir la visée d’une éducation civique universelle, de lutter contre les croyances incompatibles avec la pensée libre et la citoyenneté éclairée. La religion serait un archaïsme et le développement de l’autonomie devrait permettre, en particulier grâce à la science, de se libérer de la croyance. On notera que l’on trouve, dès 1972, dans le programme commun de la gauche, cette vision d’une laïcité englobante et supposée libératrice.

Le rejet d’une laïcité combattante

Face à eux, les partisans d’une laïcité de pacification s’inquiètent du rôle que l’on fait jouer à la loi en interdisant le port des signes religieux à l’école. Si l’autonomie des jeunes filles le portant est mise en cause et leurs motivations soupçonnées, on décide que la loi a le droit d’interdire un comportement qu’elle soupçonne ne pas être librement choisi. Elle se propose ainsi de protéger les individus contre leurs propres erreurs.

Ils soulignent, en outre, les risques sur les libertés publiques de la prohibition d’un comportement interprété comme le signe d’un asservissement ou comme une pression sur les tiers (les jeunes filles non voilées). Si le simple fait que l’exercice d’une liberté représente un inconvénient pour les tiers en autorisait la suppression, nous ne vivrions plus dans une société libérale.

Enfin, l’interdiction par la loi ne risque-t-elle pas de renforcer la conscience identitaire des musulmans et de rendre plus difficile l’intégration ? Les contraintes législatives, dans la mesure où elles contredisent l’objectif d’auto-émancipation, ne menacent-elles plus qu’elles ne protègent les idéaux laïques ?

Quoi qu’il en soit, ce n’est certainement pas par la répression que l’on convaincra ceux qui adoptent ces comportements de les abandonner pour se convertir à la raison. On a tout lieu de craindre que l’effet inverse ne se produise et que les croyants ne soient confortés dans leur foi lorsqu’ils constatent que ceux qui ne la partagent pas veulent se protéger par la force contre le risque d’y être exposés.

Le souci de l’autre

Certaines récupérations politiques, au-delà des cercles de gauche, doivent nous alerter également sur le risque de voir la laïcité devenir une identité de substitution, une sorte de religion civile hostile à l’expression de l’appartenance religieuse dans la sphère publique. Il est consternant que des idéologies d’exclusion profondément anti-républicaines se réclament sans vergogne de la République, alors qu’au fond elles représentent une forme singulière de communautarisme. La crainte est donc que s’impose l’idée d’une différence fondamentale entre « nous » et des populations, essentiellement définies comme musulmanes, accusées de se tenir à l’écart des références communes de la société française.

Alors que faire ? Introduire dans notre précieuse tradition laïque une dose de tolérance, entendue ici comme un état d’esprit hospitalier à la différence. Il semblerait que, depuis un temps bien trop long, nous ayons perdu le goût de l’autre et, plus encore, le souci de l’autre. Le redécouvrir est la condition minimale pour que la laïcité retrouve ses vertus originelles, pacifier et émanciper, c’est-à-dire qu’elle cesse ostensiblement de servir de marqueur identitaire.


A paraître en 2018, « Comment peut-on être cosmopolite ? », Le Bord de l’eau.

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