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Pourquoi et comment enseigner très différemment

Physique et mathématiques. Max Pixel, CC BY

Depuis quelques années, par de nombreux billets successifs, j’ai considéré la question de ce que j’ai décidé de ne nommer désormais que « les études supérieures ». Cette petite précaution oratoire est en réalité lourde de sens, puisqu’elle est à la base de l’ensemble de mon raisonnement exposé ci-dessous. Je ne dis pas « enseignement », je ne dis pas « instruction », je ne dis pas « éducation », mais je dis « étude », en me réservant pour plus tard le soin de distinguer les connaissances et les compétences, et je me focalise sur une idée tout à fait essentielle, à savoir que, en ce qui concerne la fonction de transmission, la question de l’université (au sens large) n’est pas d’enseigner (pour les enseignants), mais d’apprendre, pour les étudiants.

Historiquement les professeurs, les préparateurs, les enseignants, les enseignants-chercheurs, les maîtres de conférence, etc. ont été au centre du dispositif universitaire, et l’on avait avec l’université un moyen un peu artisanal, un peu bricolé, d’assurer un groupe de missions parfois très disparates, où l’étude des « confirmés », notamment la recherche scientifique, était essentielle. On avait là un moyen de payer quelques « professeurs », qui pouvaient faire leur recherche, tout en pérennisant le savoir produit.

Pour le philosophe américain Charles Sanders Peirce (1839-1914) l’université est

« une association d’hommes […] dotée et privilégiée par l’État, en sorte que le peuple puisse recevoir une formation intellectuelle et que les problèmes théoriques qui surgissent au cours du développement de la civilisation puissent être résolus ».

L’augmentation considérable du nombre d’étudiants, dans les dernières décennies, a conduit à des impasses, et, surtout, à la nécessité aujourd’hui claire de rénover l’ensemble du dispositif universitaire.

Commençons par observer que, malgré quelques modes (« pédagogie inversée », etc.), les enseignants ont, pour beaucoup, voulu « enseigner » : ce qui était devenu le nom de leur profession définissait leur mission, et ces personnes, avec beaucoup de conscience professionnelle, revêtaient les habits qui leur avaient été tendus.

On comprend que l’on ait sélectionné, pour le corps professoral, des individus qui sont à la pointe de la recherche : c’est la garantie que le savoir dispensé ne sera pas périmé, qu’il sera sans cesse rénové. Pour autant, la question n’est pas de mettre un scientifique dans un amphithéâtre face à des groupes d’étudiants plus ou moins nombreux, plus ou moins attentifs. Cela, c’est le moyen, mais seul compte l’objectif : que les étudiants étudient, qu’ils apprennent, qu’ils obtiennent des connaissances et des compétences… pérennes et utiles.

Connaissances ou compétences

Avec de nombreux autres billets, j’ai montré ce que tout le monde sait, à savoir que les notions apprises en première année de licence sont souvent oubliées en troisième année pour la majorité des étudiants. (La preuve ? Je l’ai avec la majorité des étudiants qui viennent en stage et qui, en confiance, l’admettent ; d’ailleurs, souvent, ce n’est pas les années qui sont le cap de l’oubli, mais le partiel particulier où l’on teste ces acquisitions.) À quoi bon avoir appris, alors ? On sait aussi que trop souvent, les étudiants – et peut-être nous-mêmes – se limitent aux connaissances, au lieu d’aller jusqu’à l’acquisition de compétences. À quoi bon ? On sait que nos amphithéâtres contiennent une proportion d’étudiants qui viennent aussi – ou ne viennent d’ailleurs pas – se socialiser.

Amphi. nikolayhg/Pixabay

Pourquoi pas, mais j’ai une idée de l’université qui vaut mieux que ce qu’elle supporte aujourd’hui, en raison de la massification des études supérieures. Et je crois voir qu’une partie des maux de l’université découle de ce que les étudiants ne sont pas au centre du dispositif, parce que l’on veut « enseigner » et que, ce faisant, on donne trop de poids aux « enseignants ».

Je maintiens absolument que la question n’est pas d’enseigner, pour les enseignants, mais d’apprendre pour les étudiants, et je récuse absolument la terminologie d’« enseignant-chercheur, » par conséquent, en rappelant que les participes présents sont le plus souvent des inélégances linguistiques : enseignant, apprenant, sachant, actant, faisant…

Je propose très énergiquement de revenir au terme de « professeur », qui, étymologiquement, signifie « qui parle devant ». Qui parle pour dire quoi ? Voilà la bonne question, à laquelle je propose de répondre par l’aphorisme de notre bon Jean de la Fontaine : « En toute chose il faut considérer la fin ». Et pour les étudiants, la fin, ce sont des compétences qui leur donneront un métier, ces compétences qui en feront de belles personnes « capables », de bons citoyens, soucieux notamment du bien collectif, national, international, parce que ce seront de bons professionnels, responsables.

Toutefois il s’agit moins de critiquer que de faire un constat. Par exemple, il faut constater que les étudiants confient leur avenir à l’université, à des professeurs, ce que je crois être une grande imprudence, vu la façon dont nous répondons à leur demande ; c’est aussi une paresse de leur part, parce qu’ils feraient mieux de prendre leur destin en main, au lieu de se reposer seulement sur l’université.

La solution ? Nous devons mettre les étudiants en position de responsabilité, et faire cesser le jeu qui s’apparente à la lutte des classes, opposant les bons étudiants et les salauds de professeurs, ou des étudiants paresseux et des professeurs vertueux, selon le camp où nous nous trouvons.

Les étudiants doivent apprendre, les professeurs enseigner

Cours de physique. École polytechnique -- J. Barande, CC BY-SA

Les étudiants doivent donc apprendre. Que devient alors le rôle du professeur, si ce n’est plus d’enseigner ? Je propose de bien distinguer, dans le discours professoral classique, les valeurs, les notions et concepts, les méthodes, les informations, et les anecdotes. Peut-on imaginer que toutes ces catégories soient apprises, et non transmises oralement ? Pourquoi pas…

Cela étant, les professeurs restent certainement ceux qui, dialoguant avec les étudiants, sont capables de bien identifier les connaissances et compétences utiles à des projets professionnels particuliers, afin de guider les étudiants vers l’apprentissage de ces connaissances et compétences spécifiques, personnelles ; il y a là une forme de tutorat, ce qu’avait bien identifié Pierre-Gilles de Gennes, quand il avait rénové les études à l’École supérieure de physique et de chimie de Paris. Certainement aussi, les enseignants peuvent avoir la mission de faire briller les yeux, de sorte que les études faites ensuite en autonomie soient du plaisir, et non des punitions.

Il semble utile qu’ils restent présents, disponibles pour répondre à des questions que les étudiants se posent lors des apprentissages que ces derniers font en autonomie. Parce que les professeurs ont une mission de recherche scientifique, ils sont garant de la modernité des études qui sont faites. Ce sont certainement ceux qui doivent orchestrer la transformation de connaissances en compétences. Et ils sont évidemment les garants de l’attribution de diplômes qui reconnaissent lesdites compétences.

Mais, je le répète, la question des études supérieures, ce n’est pas l’enseignement, mais l’étude, l’apprentissage. Les étudiants doivent être au centre du dispositif universitaire de façon absolue. Ils doivent être mis en situation de responsabilité parfaite. Nous devons les aider à devenir automnes, et non pas les garder sous notre coupe, parce que nous aurions un minable goût du pouvoir, une lamentable prétention au savoir… Nous devons donc réviser l’ensemble des méthodes d’étude afin de cesser de faire semblant d’assurer nos missions.

Réflexion collective

Ici, on aurait tort de penser que je critique mes collègues, car je suis moi-même l’un d’eux. Et c’est donc bien plutôt une réflexion collective que j’appelle de mes vœux. Nous avons assez joué à prétendre que l’enseignement était un art, dont les résultats ne pouvaient pas être évalués. Les expériences, dans l’enseignement du premier degré, sur l’enseignement de la lecture ont amplement monté la faillite des théories non évaluées. Nous devons évaluer quantitativement les résultats de nos dispositifs d’études supérieures, même si cela est difficile parce que le matériau est l’humain.

Bien sûr, nous pouvons continuer à privilégier le recrutement de chercheurs de talent dont l’« enseignement » sera à la fois secondaire et médiocre et la recherche excellente, mais nous ne pouvons pas alors prétendre assurer correctement la mission d’encadrement des étudiants, et nous nous mettrions dans une position fragile en poursuivant les pratiques anciennes.

MOOC. Mr_Stein, CC BY-NC-SA

Nos étudiants seraient en mesure de nous reprocher notre paresse intellectuelle, notre manque d’imagination, notre lenteur à nous réformer, à profiter du numérique pour en tirer le meilleur. Je sais parfaitement que les MOOC se développent, par exemple, mais il s’agit d’un détail. C’est l’ensemble des études supérieures que je propose de discuter aussi ouvertement que possible et sur la base de ce postulat que la question n’est pas pour des enseignants d’enseigner mais pour les étudiants d’apprendre.

Évidemment, il y a lieu de discuter d’abord ce postulat.

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