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Un enfant dessine sur le sol avec une craie.
Même si le Québec fait figure de proue en Amérique du Nord pour la générosité de sa politique familiale, le réseau de services de garde fait face à plusieurs défis. Shutterstock

Services de garde : les failles du «modèle» québécois

La disponibilité et la qualité des services de garde font l’objet de beaucoup d’attention médiatique depuis quelques jours. Alors que la ministre des Finances, Chrystia Freeland, a vanté les mérites du modèle québécois dans le dernier budget fédéral, le ministre québécois de la Famille, Mathieu Lacombe, tente de son côté de pallier les failles du réseau.

L’investissement de 64 millions $ annoncé le 26 avril, de concert avec Jean Boulet, le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, est un pas dans la bonne direction pour répondre aux besoins de main-d’œuvre dans le réseau de services de garde à la petite enfance.

Or même si le Québec fait figure de proue en Amérique du Nord pour la générosité de sa politique familiale, le réseau de services de garde fait face à plusieurs défis.

En tant que sociologue et chercheuse postdoctorale, je m’intéresse aux leçons que les autres provinces devraient retenir de l’expérience québécoise dans un contexte d’évolution et de transformation de la politique familiale québécoise.

Trois enjeux criants au Québec

Trois enjeux sont particulièrement criants au Québec, soit ceux de la disponibilité des places – plus de 50 000 enfants seraient inscrits sur la liste d’attente – de la qualité des services offerts et de l’attraction et de la rétention de la main – d’œuvre.

Ces enjeux sont fortement interreliés ; le manque de main-d’œuvre a une incidence sur le nombre de places disponibles et sur la qualité des services. Par exemple, au printemps 2020, le gouvernement Legault a assoupli les règles d’embauche dans les services de garde par décret ministériel. Depuis, une seule éducatrice sur trois doit avoir un diplôme collégial en éducation à l’enfance dans un CPE ou une garderie, alors que ce ratio était de deux travailleuses sur trois auparavant.

La vice-première ministre et ministre des Finances, Chrystia Freeland, répond à une question pendant la période de questions à la Chambre des communes, à Ottawa, le mardi 20 avril 2021. LA PRESSE CANADIENNE/Adrian Wyld

Pour faire face à ces défis, en mars 2021, le gouvernement a mis en place des allègements administratifs pour la construction des centres de la petite enfance.

L’annonce de l’investissement de 64 millions $ survient un mois plus tard. Cet investissement vise surtout à mettre en place des mesures phares – comme une formation rémunérée en alternance travail-études – pour augmenter le nombre d’éducatrices dans le réseau chaque année.

Les places liées aux conditions de travail

Les différentes initiatives du gouvernement pour pallier les écueils du réseau de services de garde s’adressent d’abord et avant tout aux femmes. C’est le travail souvent mal rétribué de ces femmes qui permet aux mères d’enfants d’âge préscolaire d’occuper un emploi à leur tour.

Le ministre québécois de la Famille, Mathieu Lacombe, prend la parole lors d’une conférence de presse sur la pandémie de Covid-19, le lundi 27 avril 2020 à l’Assemblée nationale. LA PRESSE CANADIENNE/Jacques Boissinot

La pandémie a révélé toute l’importance du travail effectué par les éducatrices en services de garde pour le bon fonctionnement de la société – le personnel médical ayant besoin de confier ses enfants à un service de garde pour œuvrer en première ligne.

Paradoxalement, ce travail a reçu très peu de reconnaissance et les éducatrices n’ont pas eu droit, à l’instar du personnel médical déployé pour lutter contre la crise sanitaire, aux primes offertes par le gouvernement au printemps 2020. Depuis, de nombreuses éducatrices ont quitté le milieu et des milliers de places en garderie familiale se sont évaporées.


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On peut donc se réjouir de l’octroi de 5 millions de dollars, dans l’enveloppe globale, pour la valorisation et la promotion du métier d’éducatrice. Cela dit, des questions demeurent : comment convaincre des jeunes de s’inscrire dans une technique d’éducation à l’enfance, sans accentuer la ghettoïsation des femmes dans un secteur d’emploi mal payé ? Peut-on attirer une main-d’œuvre de qualité en évitant d’aborder la question de la rémunération ? Comment permettre le développement de places rapidement en améliorant la qualité des soins envers les enfants, et en évitant de créer différentes classes d’éducatrices, avec et sans le diplôme d’études collégiales ?

Remettre les CPE au cœur de l’offre de services

La solution à plusieurs défis et enjeux auxquels le réseau de services de garde fait face n’est pourtant pas si complexe. Il faut revenir à l’essence de la politique familiale québécoise de 1997. Le gouvernement Legault semble en être conscient ; c’est pour cette raison que le tarif d’une place en services de garde, modulé selon le revenu familial entre 2015 et 2019, est désormais le même pour toutes les familles.

Il faut par ailleurs rappeler que les « centres de la petite enfance » (CPE) ne sont pas des « garderies ». Si les CPE sont à but non lucratif, l’objectif premier des garderies est la recherche du profit. La confusion entre les différents types de service de garde provient du fait que certaines garderies offrent des services au prix courant, alors que d’autres offrent des places subventionnées, au même coût que dans les CPE. Il devient alors difficile pour les parents de savoir si leur enfant fréquente un CPE ou une garderie.


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Or, non seulement les CPE offrent des services de qualité dans une plus grande proportion, mais les garderies font l’objet d’une part disproportionnée des plaintes formulées dans le réseau des services de garde. Il faudra donc éviter que la pression actuelle sur le système amène le gouvernement à prendre quelques « raccourcis », en favorisant la création, souvent plus rapide, de places en garderies, plutôt que dans les CPE.

Il faudra également que les assouplissements sur l’application du Règlement sur les services de garde éducatifs, qui prévoit un ratio de deux éducatrices qualifiées sur trois, soient temporaires, et qu’ils ne s’étirent pas au-delà de la période de pénurie de main-d’œuvre.

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