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Témoignage : Le jumelage interculturel, un dispositif pour lutter contre les préjugés

A l'Université du Québec à Montréal, plus de 12000 étudiants ont déjà bénéficié d'un dispositif de jumelage. Shutterstock

L’ouverture sur le monde et le dialogue interculturel sont essentiels à la formation des jeunes. Mais en ces temps de pandémie, où les déplacements internationaux sont fortement réduits, et où certaines universités refusent même l’accueil des étudiant·e·s participant au programme Erasmus, comment maintenir des échanges ? Le jumelage interculturel, dispositif de formation initié à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) dans les années 2000, offre des réponses à ce défi.

Parti du constat que les étudiant·e·s de diverses origines ne se rencontrent pas sur le campus universitaire, le jumelage interculturel a d’abord proposé des échanges entre des étudiant·e·s immigrant·e·s apprenant le français à l’École de langues de l’UQAM pour s’intégrer au Québec et des étudiant·e·s participant à une sensibilisation aux préjugés, à la discrimination et au racisme dans leur formation.

Plus de 12 000 étudiant·e·s ont ainsi bénéficié de ce dispositif et réalisé ensemble une activité en lien avec leur formation. Le jumelage interculturel est soutenu par l’institution à travers le personnel qui l’organise, l’anime et l’évalue. C’est ce leadership transformateur qui est vecteur de changement social et qui garantit une bonne gestion des échanges.

Jumelage interculturel, bande-annonce.

Au fil des ans, le jumelage interculturel a été adapté aux besoins d’étudiant·e·s de divers programmes universitaires (travail social, sociologie, communication, psychologie, orientation de carrière, apprentissage des langues), de différentes institutions (scolaires et post-secondaires, centres communautaires), mais aussi de formations professionnelles comme celles des futurs policiers et policières. Ces échanges personnalisés peuvent se faire en présentiel ou à distance.

Un dispositif adapté à des publics variés

Parmi les nombreuses expériences de jumelage interculturel, celle concernant la formation des policiers et policières nous paraît pouvoir apporter des réponses aux problèmes de racisme et de violences policières qui ont suscité de multiples manifestations à travers le monde ces derniers mois.

Inspiré du travail de l’UQAM, le Cegep de Maisonneuve (collège d’études post-secondaires situé à Montréal) a organisé un jumelage interculturel dans le cadre d’un cours de sociologie donné à de futurs policiers et policières. Cela leur a permis de rencontrer des étudiant·e·s en francisation du Centre Yves-Thériault de la Commission scolaire de Montréal. Les enseignant·e·s, responsables en travail social, conseillers et conseillères pédagogiques des deux institutions ont découpé leur jumelage interculturel en trois séances avec l’objectif de sensibiliser leurs étudiant·e·s aux problèmes de communication dus aux préjugés que les personnes de la police ont à l’égard des immigrant·e·s et réciproquement. De quoi nouer de vrais échanges, au-delà des chiffres sur les violences policières et le racisme.

Projet de JI des étudiants en Techniques policières avec de nouveaux arrivants (Collège de Maisonneuve).

En 2019, la formule du jumelage interculturel a été retenue pour des étudiant·e·s de psychologie de Côte d’Ivoire et de France. Bien que les universités incitent leurs étudiant·e·s à s’inscrire dans des programmes de mobilité internationale en lien avec leur curriculum de formation, elles sont cependant moins nombreuses à proposer des dispositifs visant à réduire les préjugés nationaux et ethno-raciaux.

Deux promotions d’étudiant·e·s ayant peu d’expérience internationale, inscrites en master de psychologie du travail, l’une à l’Université Félix Houphouët-Boigny à Abidjan, l’autre à l’Université de Lorraine à Metz, ont ainsi pu travailler ensemble. Les enseignants des deux pays se sont coordonnés pour leur permettre de réaliser en commun des entretiens de professionnels issus de leurs formations respectives.

Les étudiant·e·s d’Abidjan à l’écran face aux étudiant·e·s de Metz, à l’occasion des présentations par visioconférence. Shutterstock

Ce jumelage interculturel a fait prendre conscience des préjugés respectifs. La communication à distance ne semble pas avoir altéré les émotions. Provoquant de la surprise au début, elle a souvent contribué au plaisir et au désir de transformer cette relation virtuelle en véritable rencontre.

Une réflexion est en cours à l’Université de Lorraine pour étendre le dispositif à un plus grand nombre d’étudiant·e·s. Les restrictions en termes de mobilité internationale liées aux conditions sanitaires actuelles pourraient accélérer sa mise en œuvre dès cette rentrée.

Un dispositif prometteur

En présentiel, comme à distance, le jumelage interculturel constitue un des outils que les chargé·e·s de mission égalité-diversité en France et les référent·e·s EDI au Québec peuvent facilement mobiliser pour combattre les préjugés et les discriminations.

À distance, le jumelage interculturel invite à la rencontre et permet de s’y préparer tout en conservant les atouts du présentiel. Il permet aussi de se faire une meilleure idée des réalités du pays vers lequel l’étudiant·e pourrait voyager et poursuivre ses études. Le dispositif peut contribuer d’une part au développement d’une mobilité internationale des étudiant·e·s des pays du Nord vers ceux du Sud et d’autre part à la réduction de la fuite des cerveaux du Sud, inversant ou rééquilibrant les flux actuels.

Notons que le jumelage interculturel peut s’adapter à des situations hybrides. Par exemple, récemment à cause du confinement, des jumelages débutés en présentiel se sont poursuivis et achevés à distance. Et cette réorganisation entre rencontres directes et dialogue à distance permet aussi de répondre aux besoins de mieux réguler les déplacements pour réduire l’empreinte carbone et protéger l’environnement.

Le jumelage interculturel est un dispositif prometteur qui répond aux enjeux de la responsabilité sociétale des universités à un moment où nos sociétés doivent relever d’importants défis, celui d’une nouvelle géographie des mobilités liée à la pandémie, comme celui du racisme qui, pour l’académicien Dany Laferrière, n’est rien d’autre qu’un virus.

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