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Photo d’un pangolin
Comme d’autres mammifères, les pangolins peuvent être infectés par les coronavirus. Shutterstock/Erik Sulidra

Un coronavirus de pangolin décime des souris « humanisées » : que faut-il savoir ?

Une publication mise en ligne début janvier 2024 sur le site BioRχiv (prononcé, à l’anglo-saxonne, « bioarchive ») a fait couler beaucoup d’encre. Il faut dire que l’histoire qu’elle raconte est particulièrement intrigante.

Intitulée « Lethal Infection of Human ACE2-Transgenic Mice Caused by SARS-CoV-2-related Pangolin coronavirus GX_P2V(short_3UTR) », elle implique des souris, des pangolins, ainsi qu’un virus qui est le cousin d’une vieille connaissance, le coronavirus SARS-CoV-2.

Dans cet article scientifique non encore évalué par les pairs (c’est un point important à souligner), des chercheurs de l’université de technologie chimique de Pékin relatent les résultats de leurs expérimentations. Ces dernières ont consisté à infecter, avec un virus dérivant d’un coronavirus initialement isolé chez des pangolins, des souris « humanisées ».

Résultat : une semaine plus tard, 100 % des rongeurs étaient morts, le virus ayant envahi non seulement leurs poumons, mais aussi leurs cerveaux. Comment interpréter ces résultats ? Faut-il s’en inquiéter ? Décryptage.

Retour en arrière

Pour bien comprendre le contexte dans lequel ont été menées ces expérimentations, il nous faut revenir quelques années en arrière. En 2020, précisément.

À cette époque, des équipes de recherche chinoises publiaient des séquences de génomes de coronavirus de pangolins. Celles-ci provenaient de virus isolés à partir d’échantillons prélevés entre 2017 et 2019, sur des animaux saisis lors d’opérations anti-contrebande. Avant cette découverte, on ne connaissait pas de coronavirus de pangolins. Toutefois, le fait d’avoir trouvé des coronavirus chez les pangolins n’est pas étonnant, puisque ces virus infectent les mammifères.

Deux souches distinctes avaient alors été isolées par les équipes chinoises, après infection de cellules en culture : la souche pCoV-GD01 (à partir d’un prélèvement effectué en 2019) et la souche GX-P2V (prélèvement daté de 2017).

À la suite de la découverte des deux coronavirus de pangolin, d’autres travaux ont été menés pour les caractériser : séquençage complet de leur génome, infection de différentes lignées cellulaires, infections d’animaux humanisés. Il a ainsi été découvert que les génomes de ces deux virus présentent des homologies importantes avec celui du SARS-CoV-2.

Rappelons que si le pangolin a un temps figuré sur la liste des suspects pouvant avoir servi d’intermédiaire entre le réservoir naturel du SARS-CoV-2 (encore inconnu, même si les chauves-souris sont soupçonnées) et l’être humain, il a ensuite été disculpé. En effet, des virus de séquences beaucoup plus proches ont été identifiés chez certaines chauves-souris (en particulier le coronavirus RaTG13, isolé chez le rhinolophe Rhinolophus affinis, que l’on trouve notamment dans le sud-ouest de la Chine, à plus de 1 500 km de Wuhan, où se sont probablement produites les premières infections par le SARS-CoV-2).

Les conclusions des études menées sur les souches pCoV-GD01 et GX-P2V ont été publiées entre 2020 et 2023, après révision par les pairs. Autrement dit, des scientifiques, experts du domaine, mais n’ayant pas participé à ces travaux, ont analysé ces résultats et la façon dont ils ont été obtenus, et les ont jugés dignes de confiance.

Il faut à nouveau souligner que la nouvelle étude n’a pas encore subi ce processus d’évaluation, qui est le parcours habituel de toute publication scientifique « sérieuse ».

Une nouvelle étude qui doit encore être vérifiée

Les travaux publiés en janvier 2024 sont pour l’instant ce que l’on appelle, dans le jargon de l’édition scientifique, un « preprint » : elle n’a pas encore été évaluée par les pairs. Ce n’est pas anormal, car BioRχiv, le site où elle a été déposée, est justement destiné à héberger de telles publications. Elles peuvent, après y avoir été uploadées, faire l’objet de commentaires.

Cette façon de procéder permet de faire circuler plus rapidement les informations auprès de spécialistes, qui peuvent les commenter, et parfois aussi servir à établir l’antériorité d’une découverte.

Cependant, les informations qui figurent dans des preprints (quel que soit le site qui les héberge) ne doivent pas être considérées comme totalement fiables avant d’avoir passé une évaluation par les pairs, et d’avoir été publiée dans une revue à comité de lecture.

Quelles sont, justement, les informations contenues dans cette nouvelle étude ?

Des virus de pangolin mutés, certes, mais pas intentionnellement

Au cours des précédents travaux, publiés en 2020 et 2023, les virus de pangolins qui avaient été isolés ont été cultivés sur des cellules, en laboratoire.

Au fil de ces cultures successives, leur génome a subi des mutations, dont certaines d’entre elles se sont avérées conférer un avantage aux virus qui les possédaient. Ces mutants ont donc prospéré, transmettant leurs mutations à leur descendance.

Ce phénomène naturel se produit classiquement lorsque l’on cultive des virus in vitro, quels qu’ils soient : il a notamment déjà été observé dans le cas du VIH ou du virus de l’hépatite C, par exemple. Plusieurs mutants de sélection ont été obtenus de cette façon, mais l’un d’entre eux nous intéresse tout particulièrement.

Baptisé GX-P2V(3’UTR), il a la particularité de posséder un génome amputé de 104 nucléotides, les « briques » constitutives de l’ARN dont est fait le génome des coronavirus. Ce morceau manquant est normalement situé dans la région non codante située à l’une de ses extrémités (3’UTR).

Autre particularité de ce mutant : les auteurs ont découvert que lorsqu’ils l’utilisaient pour infecter des souris, la totalité des animaux malades mourrait en 7 à 8 jours. Chez les animaux morts, une quantité importante d’ARN viral a été retrouvée dans les poumons et le cerveau. D’après les auteurs, ce sont probablement les atteintes cérébrales qui ont tué les rongeurs.

Or, les souris infectées n’étaient pas n’importe quelles souris, mais des souris dites « humanisées ». Autrement dit, des souris génétiquement modifiées pour produire, à la surface de leurs cellules, le récepteur ACE2 humain. Celui-là même qui permet au coronavirus SARS-CoV-2 à l’origine de la pandémie de 2020 de reconnaître les cellules humaines et de les infecter…

Modèle en 3D du coronavirus SARS-CoV-2
Sur ce modèle en 3D du coronavirus SARS-CoV-2, la protéine Spike qui permet au virus de pénétrer dans les cellules humaines en s’arrimant au récepteur ACE2 est représentée en rouge. NIH

Lorsque les chercheurs ont analysé plus avant le génome de GX-P2V(3’UTR), ils ont constaté la présence de mutations dans les gènes ORF1ab, S et N. ORF1ab est une partie du génome conservée chez les coronavirus, qui permet de produire des protéines indispensables au cycle de vie de ces virus. Le gène S code quant à lui pour la protéine Spike (la « clé » qui permet au coronavirus d’entrer dans les cellules qu’il infecte, en interagissant avec un récepteur situé à leur surface). Enfin, le gène N sert à produire la protéine de la nucléocapside, qui est associée au matériel génétique du virus et le protège. Cette dernière protéine est habituellement très immunogène (capable d’induire une réponse immunitaire).

Que faut-il retenir de ces travaux ?

Rappelons à nouveau que cette étude est en cours de relecture par les pairs, et que les remarques des membres du comité de lecture ne sont à ce jour pas connues.

Si l’on se cantonne aux informations contenues dans le preprint, l’équipe chinoise semble avoir caractérisé un coronavirus de pangolin capable d’infecter des cellules humanisées chez la souris, avec pour conséquences des lésions pulmonaires et surtout cérébrales sévères. Une capacité qui n’est pas fréquente chez les coronavirus.

Toutefois, il faut souligner que cette étude comporte plusieurs limites.

La première, et pas la moindre, est que ces résultats sont en contradiction avec les résultats d’une autre étude, publiée précédemment par une équipe chinoise (dans une revue à comité de lecture, donc ayant passé l’évaluation par les pairs). Ces travaux démontraient que le mutant GX-P2V(3’UTR) était responsable d’infections peu graves chez des souris humanisées.

Il est pour l’instant compliqué d’expliquer cette contradiction, car les souris infectées dans la nouvelle étude semblent différentes de celles utilisées dans d’autres études. Produites par une société chinoise (Beijing SpePharm Biotechnology Company), on ne connaît pas bien leurs particularités. C’est une des remarques que pourraient faire aux auteurs les relecteurs : pourquoi n’avoir pas utilisé les souris habituellement employées en recherche animale ?

Souris de laboratoire dans leurs cages d’élevage (photo d’illustration)
Toutes les souris modèles ne réagissent pas de la même façon à l’infection par un coronavirus. Shutterstock / Vasiliy Koval

Il pourrait également être intéressant de savoir comment ces souris humanisées réagiraient à une infection par le SARS-CoV-2 (aussi sévèrement ? Plus ou moins sévèrement ?). Aucune comparaison n’est présentée dans l’étude.

Par ailleurs, ce travail porte sur un mutant de sélection, pas sur un virus naturel. Les mutants de sélection apparaissent lors de la culture de virus in vitro, en l’absence de la pression du système immunitaire de l’hôte. On ne sait donc pas comment ce virus se comporterait s’il était confronté à la pression naturelle du système immunitaire humain.

De plus, les infections ont été menées sur des souris humanisées exprimant le récepteur ACE2 humain, ce qui ne constitue pas un modèle naturel non plus. Naturellement, en effet, les souris expriment un récepteur ACE2 qui n’est pas reconnu par le SARS-CoV-2, elles ne sont donc pas infectées par ce virus. En humanisant les souris, on force leur organisme à exprimer le récepteur ACE2 humain (hACE2) : les rongeurs deviennent donc sensibles au SARS-CoV-2. Cependant, la répartition d’hACE2 sur leurs tissus ou la quantité de récepteurs exprimés sont probablement surestimées par rapport à ce qu’on observe chez les êtres humains.

Enfin, les modèles animaux sont utilisés de longue date pour tenter de comprendre les maladies, pour tester des vaccins, des médicaments, etc. Mais même si la maladie développée par l’animal ressemble à celle observée chez les humains, le modèle n’est jamais directement transposable. Au cours des infections virales par exemple, les protéines virales interagissent avec les structures cellulaires, qui sont spécifiques des espèces. Les résultats obtenus dans un modèle animal doivent donc toujours être considérés avec précaution.

Les questions que pose cette étude

Au-delà des questions purement « biologiques » qui persistent concernant les spécificités et la dangerosité potentielle de ce virus GX-P2V « raccourci », ces travaux sont l’occasion de revenir sur un débat qui continue d’agiter la communauté scientifique : celle des expériences de « gain de fonction », qui consistent à manipuler des virus pour les rendre intentionnellement plus virulents.

Précisons que dans le cas présent, cette étude visait à caractériser les propriétés d’un virus mutant obtenu incidemment en laboratoire : celui-ci n’a pas été produit suite à une manipulation intentionnelle.

Les expériences de gain de fonction consistent à faire évoluer le virus étudié de façon artificielle afin de lui conférer de nouvelles propriétés. Il peut s’agir par exemple de la capacité à infecter une nouvelle espèce hôte qu’il n’infectait pas auparavant. L’idée est ensuite d’analyser les modifications qui lui ont permis d’acquérir ces nouvelles capacités.

Pour y parvenir, on peut soit introduire de nouveaux gènes dans le génome du virus, en le modifiant grâce à des outils d’édition génétique (comme la technologie CRISPR), soit en le cultivant dans certaines conditions (avec des médicaments antiviraux, pour faire émerger des virus mutants résistants, par exemple), soit en le cultivant simplement sur des cellules, pendant plusieurs générations, et en sélectionnant les virus présentant la caractéristique que l’on veut étudier (une virulence accrue, par exemple ; on « accélère » et on oriente en quelque sorte l’évolution naturelle).

En 2014, une équipe américaine avait déjà déclenché la polémique en construisant un virus de la grippe chimère mi-grippe aviaire, mi-grippe espagnole. La communauté scientifique s’était alors mobilisée par interdire ces expériences.

La controverse existe toujours parmi les scientifiques au sujet de ce type d’expérimentations. Certains considèrent qu’elles sont indispensables pour faire progresser la connaissance, mieux comprendre les dangers que pose l’évolution de certains virus, et permettre le développement de vaccins ou de médicaments. D’autres affirment que ce genre de travaux devraient être interdits, car ils représentent un risque trop important pour l’humanité : nous ne sommes jamais à l’abri d’une erreur de manipulation qui pourrait entraîner la dissémination d’un virus ainsi modifié.

Un scénario qui, rappelons-le, ne peut être complètement écarté dans le cas de l’émergence du SARS-CoV-2, même si aucune preuve solide n’a pu jusqu’à présent étayer la thèse d’un accident de laboratoire. Depuis son émergence en 2019, la question de la biosécurité des laboratoires de virologie et des infrastructures destinées à étudier les virus les plus dangereux, notamment en Chine, reste d’actualité. L’Organisation mondiale de la Santé en a la charge, cependant ses experts continuent à rencontrer des difficultés pour rassembler toutes les informations nécessaires à l’élucidation des origines SARS-CoV-2, informations que nous n’avons toujours pas.

Pour conclure, soulignons qu’en France, ainsi qu’en Europe et aux États-Unis, les expériences de gain de fonction sur le coronavirus SARS-CoV-2 sont interdites. Toutefois, les travaux présentés dans la publication discutée ici ne seraient probablement pas tombés sous le coup de cette interdiction, car le virus muté ne l’a pas été intentionnellement.

L’évaluation de ces résultats par les pairs, ainsi que d’éventuelles réplications de ces travaux, permettront de déterminer s’il y a vraiment lieu de surveiller plus étroitement le variant GX-P2V(3’UTR).

Une chose est certaine : la question de la circulation des virus entre les espèces et des risques d’émergence virale reste plus que jamais posée, en particulier à notre époque, alors que les échanges globalisés se conjuguent à de profondes modifications environnementales. Rappelons que plus des deux tiers des émergences épidémiques trouvent leur origine dans le passage d’un agent pathogène de l’animal à l’être humain

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