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Expliquer pour mieux agir

Une gauche se meurt, vive la gauche !

Des militants de Nuit debout aux côtés des intermittents du spectacle au théâtre de l’Odéon, à Paris, le 25 avril. Philippe Lopez/AFP

Dans certaines familles, les prétendants à l’héritage se disputent la succession d’un mourant qui respire encore : l’image s’impose ici, pour qui considère la gauche française, dont la décomposition est avancée, mais qui pourtant existe encore.

La curée qui s’annonce

Au sommet, le chef de l’État est un cadavre politique en sursis. Il ne peut pas ne pas se représenter à la prochaine élection présidentielle, ce serait admettre son échec de façon irrémédiable ; or s’il est candidat à sa propre succession, les sondages lui promettent qu’il sera battu sur un score déshonorant.

En dessous, c’est carrément la curée qui s’annonce, sur fond de décomposition accélérée du Parti socialiste, où les départs de militants se démultiplient. Effectivement, que faire dans un tel parti, dont la direction veut croire encore au caractère « naturel » d’une candidature de François Hollande tout en disant vouloir une primaire ouverte, pour en réalité mieux la torpiller ?

Emmanuel Macron a déjà affiché clairement ses ambitions, et fourbit ses armes tout en clamant sa fidélité au chef de l’État – qui le croit ? Manuel Valls vient de réunir ses soutiens pour voir comment se préparer, lui aussi. Les amis de Martine Aubry ne sont pas passifs, même si leur tête de file a clairement indiqué qu’elle ne serait pas candidate – ils réfléchissent en fait surtout aux élections législatives qui suivront la présidentielle, et pour lesquelles, comme tous les membres du PS, ils ont bien raison de s’inquiéter. Benoit Hamon et Arnaud Montebourg se préparent eux aussi, et Jean-Luc Mélenchon est en campagne.

Chez les Verts ? EELV était déjà en bien mauvaise forme quand François Hollande lui a porté le coup de grâce avec le remaniement récent faisant bonne place non pas aux orientations de l’écologie politique, mais à des dirigeants du parti qui se sont discrédités en même temps qu’ils discréditaient leur propre formation. Daniel Cohn-Bendit, tenant désormais pour impossible la primaire à gauche qu’il a appelée de ses vœux pendant trois mois, souhaite une candidature de Nicolas Hulot, en faveur de qui circule une pétition – des dizaines de milliers des signatures ont déjà été recueillies pour l’inviter à se présenter lui aussi, ce à quoi il se prépare à l’évidence.

Démultiplication des initiatives citoyennes

Ainsi, dans les décombres des appareils, des candidats à la présidentielle s’échauffent, ou se lancent – et nous n’avons ici que signalé certains d’entre eux. Cette curée est révélatrice de la mort d’une gauche.

En même temps, un autre phénomène retient nécessairement l’attention : la démultiplication des initiatives citoyennes. La crise du pouvoir, sa droitisation, aussi bien identitaire (avec le discours de la guerre, les mesures d’exception, l’état d’urgence, la déchéance de nationalité) qu’économique (avec la première version de la loi El Khomri et les orientations d’Emmanuel Macron comme de Manuel Valls en la matière) a libéré un immense désir de prendre la parole, de débattre, d’exprimer des idées, de mettre fin à l’arrogance de tous ceux qui, dans la bulle médiatico-médiatique, disent d’en haut aux citoyens comment et quand penser.

En attestent les diverses initiatives pour des primaires à gauche, ou au centre, surtout lorsqu’elles s’accompagnent de l’organisation de rencontres où l’on discute du fond ; le succès de films comme « Demain » ; et bien sûr le mouvement « Nuit debout », dont les faiblesses ou les fautes ne doivent pas masquer l’essentiel : la naissance en France d’une contestation démocratique, à forte charge culturelle, tournée vers l’avenir et non pas vers le passé comme dans les diverses pensées réactionnaires ou déclinistes qui plaisent tant aux médias. Tout ceci donne l’image de fortes attentes bien en peine, en tous cas aujourd’hui, de déboucher sur des perspectives politiques.

Des univers disjoints

Le discrédit du pouvoir et de son parti est sans retour en arrière possible. La curée a commencé et ne risque pas de s’arrêter de sitôt, ne serait-ce que parce que François Hollande n’a pas le choix : il doit mobiliser ce qui reste du PS pour essayer de maintenir contre toute évidence l’image d’un homme capable d’incarner la gauche – ce qui interdit à son parti la moindre relance, la moindre initiative novatrice.

Et l’agitation politicienne que suscite la perspective de la prochaine présidentielle s’opère loin de la mobilisation citoyenne et intellectuelle née dans le même contexte. Les deux univers sont disjoints, sauf à la marge, quand Jean-Luc Mélenchon ou Olivier Besancenot espèrent pouvoir récupérer Nuit debout. Manuel Valls a parlé de deux gauches « irréconciliables », évoquant deux types d’orientations : il y a surtout en réalité un espace fracturé, dans lequel les demandes politiques sont fort éloignées de l’offre, et le débat citoyen sans lien avec la vie partisane.

Place de la République, Paris. Elliott Verdier / AFP

Pour qu’une articulation soit possible autrement que sur un mode gauchiste, il faudrait ou bien qu’un grand parti puisse légitimement assurer le traitement politique des attentes et des idées qui surgissent au sein de la société civile, ou bien que de celle-ci jaillisse une expression politique, comme Podemos en Espagne – même s’il ne faut pas pousser trop loin la comparaison entre Nuit debout et les Indignados.

Le moment approche

Il est vrai que la critique de la forme-parti elle-même est vive au sein de la mobilisation citoyenne actuelle. Mais il n’est pas exclu que de la décomposition du PS et d’EELV, et avec d’autres que des orphelins de ces partis, naisse une organisation politique qui saurait éviter les travers du passé, se doter de principes de fonctionnement démocratiques et neufs, réfléchir à une vision ouverte de l’avenir, s’alimenter de ce qu’apporte le mouvement de la société, comme celui des idées, redonner vie au projet européen, afficher des valeurs comme celles de la solidarité, et les transcrire concrètement, par exemple à propos des migrants.

Ne rêvons pas d’un leader providentiel, surgi d’on ne sait où, et qui saurait à lui seul, avec un programme éventuellement, redonner dynamisme et pertinence à la politique : une telle rêverie entérine un autre aspect du bourbier dans lequel est enfoncé notre pays, le présidentialisme actuel, et le système qui fait de la fonction présidentielle l’alpha et l’oméga de toute notre vie politique, son horizon. Nous avons besoin de profonds changements institutionnels, d’une VIe République peut-être, qui faciliteraient la reconstruction d’un système politique.

Un cycle s’achève. La gauche semble revenue ou presque à la fin des années 60, avant le Congrès d’Epinay (1971), qui a inauguré un processus dont l’aboutissement fut l’élection de François Mitterrand en 1981. Elle touche le fond, s’il s’agit de ses formes organisées, et ce ne sont pas les misérables propositions lancées actuellement par le gouvernement ou le PS, les « Hé oh, la gauche » de Stéphane le Foll ou la « Belle alliance populaire » de Jean-Christophe Cambadélis pour soutenir François Hollande qui l’aideront à se relancer.

Le moment approche, où il faudra bien construire. Cela ne se fera qu’à l’écoute des mouvements et débats citoyens qui commencent à s’exprimer, et avec eux.

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