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Universités : vers un déclin de l’empire américain ?

Campagne présidentielle américaine, le 1er novembre 2020, jeunes supporters assistant à un meeting de Trump en Caroline du Nord. Brendan Smialowski / AFP

Qualifiée tour à tour de tragédie, de contre-révolution, d’effondrement de la démocratie, la récente occupation du Capitole par les supporters de Donald Trump en réaction aux résultats des élections présidentielles a été vue comme le révélateur d’un malaise plus ancien et profond.

L’opinion publique mondiale semble découvrir la rupture définitive entre d’un côté des élites éclairées, cosmopolites et mondialisées, et de l’autre des classes moyennes et populaires réactionnaires : la face lumineuse et la face obscure de l’Amérique.

On en a tenu pour responsables tour à tour les populismes, les médias, l’économie capitaliste, le néolibéralisme. Et si les racines de la fracture étaient aussi à rechercher du côté du système éducatif ?

L’ère des « rankings »

Revenons un peu en arrière. Profitant de la mondialisation des moyens de communication et d’information, quelques universités américaines, plus particulièrement les huit prestigieux établissements de recherche privés du Nord-Est, connus sous l’appellation de Ivy League, se sont progressivement imposées dans le pays et à l’international.

Aux États-Unis, elles ont distancié celles qui étaient autrefois les grandes universités publiques d’État (California-Berkeley ou Michigan) dans la capacité à attirer et recruter les meilleurs professeurs, atout fondamental pour assurer l’excellence de leur production scientifique et sa valorisation.

Internationalement, avec l’avènement en 2003 des « rankings », ces divers systèmes qui comparent et classent les universités d’un pays à l’autre, les États-Unis ont non seulement occupé invariablement les premières places mais ils ont été érigés en modèle pour toutes les autres.

De la Corée du Sud à la Chine, du Chili à la France, les pouvoirs publics n’ont eu de cesse d’inciter leurs universités à suivre les standards définis par cette toute petite partie de l’enseignement supérieur américain : compétition, primauté de la recherche sur la formation, différenciation des frais de scolarité, part grandissante de la philanthropie dans le financement, indicateurs de performance, pour n’en citer que quelques-uns.

Par-delà leur multiplicité et leur très grande diversité, les établissements américains ont réussi à attirer durablement une part conséquente de la mobilité étudiante mondiale. Dans un marché dominé par les pays anglophones, les États-Unis détiennent la première place quant au nombre d’étudiants internationaux accueillis, loin devant le Royaume-Uni, l’Australie et le Canada, à savoir 18 % de l’effectif mondial, 22 % de la mobilité en provenance de la zone OCDE et, plus important encore, 26 % de l’effectif total de doctorants en mobilité internationale.

Le tournant de la pandémie ?

Certes, le pays a été, comme les autres, affecté par la crise liée à la pandémie de Covid-19. En 2020, le nombre total d’étudiants étrangers inscrits dans ses universités, y compris en ligne depuis chez eux, a diminué de 16 %. En un an, d’après l’agence IIE, les nouvelles inscriptions d’étudiants internationaux ont baissé de 43 %.


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La chute conjoncturelle est spectaculaire, mais une tendance à la baisse de la mobilité internationale entrante avait déjà été constatée depuis 2017, bien avant le déclenchement de la crise sanitaire. Les données publiées dans le rapport annuel Open Doors montrent une diminution continue, allant de 0,9 % à 6,6 % par an, selon le niveau et le type de mobilité (diplômante ou non).

La gestion de la pandémie a ajouté une difficulté supplémentaire à des candidats internationaux qui se heurtaient déjà pour beaucoup, depuis l’arrivée de Donald Trump à la présidence, à des interdictions de voyager, des décrets discriminatoires et une rhétorique officielle souvent xénophobe de la part de l’administration américaine.

Vue du campus de Harvard (Cambridge, Massachusetts), membre de la prestigieuse Ivy League. Cette université a attaqué en justice en juillet 2020 la décision du gouvernement Trump ne pas autoriser les étudiants étrangers à rester sur le sol américain en cas de poursuite de l’enseignement en ligne. Maddie Meyer/AFP

Le déclin de la mobilité internationale est assurément une tendance de fond qui s’impose lentement mais sûrement dans le paysage de l’enseignement supérieur mondial. D’autres indicateurs nous alertent toutefois sur la situation des universités américaines.

Car les étudiants internationaux ne sont pas les seuls à montrer des signes de désaffection. En hausse ininterrompue depuis la fin de la seconde guerre mondiale avec la création des programmes d’aide du gouvernement fédéral, le taux d’accès à l’enseignement supérieur des jeunes Américains connaît depuis 2008 une baisse importante, avec un rythme annuel de -2,6 %.

À l’automne 2020, l’enseignement supérieur américain a inscrit environ 400 000 étudiants de moins par rapport à l’année précédente. Parmi les causes souvent invoquées, la dette liée au système de prêts étudiants et à l’inflation des frais de scolarité semble être la plus probable.

La baisse est inégalement répartie. Elle frappe davantage les collèges communautaires, qui forment souvent la plus grande proportion d’étudiants traditionnellement sous-représentés : les minorités ethniques et les milieux à faible revenu.

Inégalités sociales

Ce sont donc les étudiants les plus vulnérables qui s’inscrivent de moins en moins à l’université. L’inscription aux établissements à but lucratif au contraire se porte bien, devenant, avec une augmentation de plus de 5 %, la seule composante de l’enseignement supérieur à bénéficier d’une croissance des inscriptions, tous cycles confondus.

La composition du corps étudiant américain avait évolué depuis les années 1970 vers une plus grande représentation des étudiants d’âge non traditionnel, des minorités ethniques, des anciens combattants et des femmes, notamment grâce à l’ouverture des institutions d’élite unisexes. Par ailleurs, le discours en faveur de campus plus inclusifs n’a jamais été aussi répandu et médiatisé.

Pourtant, les statistiques sur les inscriptions envoient des signaux inquiétants. Selon le think tank progressiste Center for American Progress, la baisse des inscriptions au cours de la dernière décennie serait plus importante pour certains groupes, notamment les noirs et surtout, parmi les blancs, les étudiants d’origine rurale.

De même, le décrochage au cours du premier cycle du supérieur ne cesse d’augmenter depuis 30 ans, lui aussi de façon inégale : en 2017, le taux d’abandon était de plus de 60 % dans les collèges communautaires contre 40 % dans les universités.

Plus généralement, l’université américaine assure la formation d’un pourcentage d’une classe d’âge légèrement inférieure mais comparable à la moyenne des pays de la zone OCDE. D’après le National Center for Education Statistics (NCES), 25 % des jeunes de 20 à 29 ans étaient inscrits dans l’enseignement supérieur aux États-Unis contre 28 % de moyenne dans la zone OCDE et 40 % ou plus dans des pays tels que le Danemark, l’Australie ou la Finlande.

Un système dysfonctionnel ?

Les inégalités d’accès semblent en passe de s’accroître, notamment pour les étudiants américains, de plus en plus nombreux à ne pas s’inscrire dans le supérieur, à décrocher et ne pas poursuivre au-delà du premier cycle.

La notoriété internationale des universités de recherche cache en effet une autre réalité moins connue qui est la baisse du nombre de candidats américains dans les programmes doctoraux, aujourd’hui trustés par des étudiants chinois, indiens ou d’autres pays étrangers.

En 2015, environ 55 % des doctorants en mathématiques, en informatique et en sciences de l’ingénieur étaient étrangers. La part des doctorants non américains était de 16 % en sciences humaines, 18 % en gestion, mais de 64 % en sciences informatiques.

L’explication fréquemment donnée par les établissements est la forte employabilité des jeunes diplômés américains qui n’auraient pas besoin d’un master ni d’un doctorat. Pour certains étudiants, toutefois, le prix de la poursuite des études est tout simplement trop élevé alors qu’ils ont déjà accumulé une dette importante pour financer le premier cycle.

Aux États-Unis, le fardeau de la dette étudiante (France 24, juillet 2019).

Ainsi, lorsque le professeur de la Columbia University Andrew Delbanco rappelle que « sur le long terme, la seule force qui peut sauver la démocratie est une citoyenneté instruite – les citoyens, qui en savent assez pour résister au genre de mensonges et d’incitations cachés par l’actuel président et ses supporters », il ne fait qu’alerter sur les limites actuelles de son système.

Son appel à une relance de l’étude des humanités – victimes de la crise économique et des coupes budgétaires induites dans de nombreuses universités – revient à se demander en effet si l’université américaine continue de remplir sa fonction originelle et essentielle qui est de préparer les jeunes à devenir des citoyens éclairés et à permettre ainsi l’exercice de la démocratie.

De nombreux politistes américains avaient déjà identifié la corrélation entre l’électorat « blanc » de Trump et les diplômes obtenus, en expliquant que le faible niveau d’études pouvait correspondre à des situations économiques fragiles et précaires, à des revenus moindres et à un sentiment de déclassement social. Ces analyses semblent aujourd’hui plus convaincantes que jamais.

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