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Vins en péril: dans le Bordelais, l’arrachage est une fausse bonne solution

Feuille de vigne jaunie par la maladie de l'esca
La maladie de l’esca sur une parcelle peut causer plusieurs dizaines de milliers d’euros de pertes économiques. Bauer Karl/Wikimedia commons, CC BY-SA

Le 1er mars dernier, le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau a annoncé un plan de soutien aux viticulteurs bordelais qui souhaiteraient arracher des pieds de vigne de leurs domaines. Le gouvernement a promis d’indemniser les candidats à hauteur de 6000 euros par hectare arraché. Ce plan pourrait aujourd’hui s’étendre à d’autres régions. Cette solution vise notamment à répondre au problème de surplus de production, évalué à un million d’hectolitres, que rencontre la filière depuis plusieurs années.

Pour répondre à ce problème de surproduction, les vignerons de la région ont proposé d’arracher 10 % du vignoble, ce qui représente environ 10 000 à 15 000 hectares de vignes. Le 17 avril 2023, le Conseil Interprofessionnel des vins de Bordeaux (CIVB) a ainsi donné l’approbation du plan d’arrachage en accordant un financement total de 57 millions d’euros.

Les raisons principales avancées pour ces ultimes solutions sont d’une part, d’éviter l’effondrement des prix mais aussi, d’autre part, d’éviter un potentiel problème sanitaire. Le vignoble fait en effet face à un phénomène de dépérissement, défini comme une baisse de la productivité et une mort prématurée des ceps de vigne. Depuis plus de 10 ans, on assiste à des pertes annuelles de rendement estimées à 4,6 hectolitres/hectares par an en France. En 2021, on a enregistré une baisse de la production de 19 % par rapport à l’année 2020 et de 14 % par rapport à la moyenne des productions des cinq dernières années.

Plus de 2 % de hausses des prix

Dans un travail doctoral récent, nous montrons que la maladie de l’esca causée par des champignons sur une parcelle d’une densité initiale de 4500 ceps/hectares et pour un rendement limité de 65 hectolitres/hectares dans les vignobles d’Entre-Deux-Mer) peut engendrer une perte de rendement cumulée sur 40 ans de 1 410 hl/ha, soit une perte économique de 91 690 euros/ha (pour un prix du vin Entre-deux-Mers de 38,89 euros/hl).

N’est-il pas, dès lors, préférable de laisser les maladies du bois de la vigne réduire ce surplus, sans recours aux aides à l’arrachage ? Bien que chaque domaine ait ses spécificités, les effets négatifs du dépérissement sur le volume produit pourraient globalement constituer une sorte d’aubaine pour les viticulteurs dans le contrôle de la production. Autrement dit, la recherche d’un moyen de lutte contre la baisse des rendements pour les viticulteurs serait totalement contre-productive.

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Les conclusions de nos travaux permettent d’affirmer le contraire : la solution d’arrachage n’est pas la plus efficace sur le long terme pour la filière viticole française. En effet, les résultats montrent qu’une baisse de la récolte de 1 % induira une hausse du prix du vin français en moyenne de 0,201 %.

En effet, l’arrachage réduira le volume de récolte, ce qui augmentera à terme le prix du vin. Cette hausse du prix pourrait impacter négativement la compétitivité-prix des entreprises viticoles françaises. Selon nos estimations, arracher 10 % de la récolte de la région induirait une hausse du prix d’environ 2,01 % en moyenne. L’effet devrait être un peu plus élevé pour ces vins d’entrée de gamme de Bordeaux avec une hausse de 2,85 % du prix.

Curetage et complantation

En outre, la lutte contre le dépérissement reste primordiale pour la préservation de la qualité des vins produits. En effet, ce phénomène n’a pas que des effets négatifs sur le rendement produit et la longévité des parcelles. Le dépérissement impacte également la qualité des baies, la teneur en sucre, l’acidité et la teneur en composés phénoliques. On note qu’à partir de 5 % de raisin touché par la maladie de l’esca, la qualité du vin produit est sensiblement impactée.

Pourtant, comme le montrent nos recherches, certaines pratiques curatives telles que le curetage (creuser le tronc pour éliminer les parties malades de la vigne) et la complantation (mélange de cépages dans un terroir) permettraient de limiter les pertes en termes de rentabilité économique de l’exploitation. Par exemple, si le viticulteur décide de mettre en œuvre la pratique du curetage, on estime une réduction des pertes économiques de 35 204 euros/ha dans l’exemple précédent.

Une étude sur la maladie du bois de l’esca, publiée en 2019, avait d’ailleurs montré que le curetage permettait à la vigne de reprendre ses propriétés physiologiques et de ramener dans le long terme la qualité des baies à leur niveau normal.

La lutte contre le dépérissement de la vigne dans toutes les régions françaises et dans la région de Bordeaux en particulier apparaît donc comme une nécessité pour le suivi et le maintien de la compétitivité-prix et hors-prix des entreprises viticoles. Le développement et la mise en œuvre de politiques de filière permettraient en parallèle d’accroître la demande de vin français pour les entrées de gamme. Cela permettrait de maintenir la qualité du vin produit tout en répondant à la demande extérieure qui ne cesse d’augmenter.


Jean-Marie Cardebat, professeur d’économie à l’université de Bordeaux, a supervisé la rédaction de cet article.


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