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Le travail invisible est une lutte féministe, parce que le combattre, c’est combattre ce qui en est la source, à savoir, les inégalités de genre. (Shutterstock)

Le travail invisible, une lutte sans fin pour les femmes

Le travail invisible est un travail non rémunéré, ou peu, sous-valorisé au regard du travail accompli et de ce qu’il peut apporter à un proche, un organisme ou une institution.

Il est majoritairement réalisé par les femmes. Il comprend les tâches domestiques et les soins (physiques et de soutiens psychologiques) apportés à des proches (enfants, personnes à besoins particuliers, en perte d’autonomie), mais aussi les aides fournies au sein d’une entreprise familiale (exploitations agricoles, commerciales) ou pour le bien d’une organisation de travail (institutions ou autres organismes), sans reconnaissance pécuniaire ou permettant une évolution de carrière.

Quel que soit le profil professionnel des femmes, qu’elles soient mères au foyer, travailleuses autonomes, aux horaires atypiques, étudiantes, professeures d’université ou même élues, toute femme est confrontée, à un moment ou un autre de sa vie, à devoir gérer du travail invisible, comme le démontre cette récente recherche sur la conciliation famille travail études. Ce travail peut s’accomplir de manières différentes et avec des implications et conséquences variées, mais il se rejoint sur un point : il est assigné prioritairement à la sphère privée et associé à un travail domestique, affectif et/ou de soin.

Depuis 23 ans, à l’initiative de l’association féministe québécoise d’éducation et d’action sociale (Afeas), chaque premier mardi du mois d’avril est consacré à la Journée mondiale du travail invisible. Le Bureau international du Travail (BIT) estimait, en 2011, à 8 000 milliards de dollars américains la valeur annuelle du travail invisible et non rémunéré des femmes à travers le monde. Cette question m’interpelle en tant que chercheuse travaillant sur les inégalités de genre, notamment au moment de la transition à la parentalité.


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Une nouvelle forme de ségrégation

Le travail invisible est une lutte féministe, parce que le faire reconnaître, c’est combattre ce qui en est la source, à savoir, les inégalités de genre. Il ne faut cependant pas oublier les inégalités qui peuvent s’y ajouter, celles de race, d’âge, ethnoculturelles et sociales.

Si l’ancienne ségrégation des rôles sexuels entre espace familial, privé, et public, ne concerne plus aujourd’hui au Québec qu’une minorité de couples, ce principe n’a toutefois pas perdu sa force structurante. On observe toujours, en effet, une présence inégalitaire des femmes dans les divers champs d’activités professionnelles rémunérés et, dans le même temps, le maintien de leur assignation au champ familial et bénévole.

Cette assignation prend toutefois des formes nouvelles puisque les femmes « peuvent » exercer une activité professionnelle. En fait, elles exercent aujourd’hui majoritairement un emploi, même avec de jeunes enfants au Québec. Mais cette activité professionnelle reste le plus souvent secondaire, ou à tout le moins cadrée par les exigences du travail familial, voire celles de leur conjoint.

Cette assignation prioritaire des femmes au champ privé renforce aussi les inégalités de genre dans la société, en avalisant une implication moins grande des femmes dans la sphère professionnelle et publique. Lorsqu’elles s’y risquent, notamment en politique, elles se font fréquemment attaquer, voire menacer de mort, en particulier sur les réseaux sociaux.


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Cette implication professionnelle à priori plus limitée des femmes expliquerait aussi, selon certains auteurs, les écarts persistants des niveaux de salaire entre les femmes et les hommes. Ainsi, en raison d’un salaire souvent inférieur à celui des hommes, les femmes sont celles qui délaissent, plus souvent, et en particulier quand elles deviennent mères, le marché de l’emploi, ou elles adaptent leurs horaires ou leurs engagements professionnels aux besoins de leur famille. Elles doivent aussi assumer plus largement les tâches domestiques et familiales et la charge mentale qui en découle. Ce faisant, elles compromettent aussi leur niveau de revenu, leur évolution de carrière et, plus tard, le niveau de la rente de leur retraite.

La charge mentale dans l’univers domestique, encore et toujours une affaire de femmes. (Shutterstock)

L’écart salarial persistant entre les hommes et les femmes, malgré que celles-ci soient désormais plus éduquées, tient en partie à leur formation qui est encore souvent déterminée par des considérations familiales (faciliter une conciliation famille travail) : elles sont encore sous-représentées (soit moins du quart des employés) dans les domaines très bien rémunérés des sciences, de la technologie, de l’ingénierie et des mathématiques (STIM).

Des répercussions tout au long de la vie

Le travail invisible, gratuit, réalisé par les femmes, est un enjeu social majeur, car il sert également à pallier, à moindre coût, le manque de ressources dans les services de garde à la petite enfance, dans les écoles (orthopédagogues, psychoéducateurs) et dans les services de santé et de soutien aux personnes dépendantes.

La prise en charge plus fréquente par les femmes du travail non rémunéré, invisible, les conduit ainsi à être plus à risque de se retrouver en situation de précarité, de pauvreté et de dépendance économique à l’égard d’un partenaire. Elles se retrouvent aussi plus fréquemment confrontées à des problèmes de santé physique et mentale, notamment parce qu’en cherchant à concilier leurs différentes responsabilités, elles limitent le temps qu’elles peuvent consacrer à leur bien-être (sommeil, sport, activités sociales et de loisirs).

Le travail invisible est une lutte féministe, mais plus encore c’est une lutte pour réussir à bâtir une société meilleure et égalitaire pour l’ensemble des citoyennes et des citoyens du Québec.

Il s’agit d’un enjeu de société majeur, nécessitant sa reconnaissance explicite et publique. Plus globalement, il faut lutter contre les préjugés et les stéréotypes de genre, les écarts de salaire entre les femmes et les hommes, la disqualification et le harcèlement des femmes dans l’espace public, tout comme les iniquités dans le partage des responsabilités familiales.

Il faut rappeler la nécessité de déconstruire et d’abolir les mentalités patriarcales toujours à l’œuvre dans le travail productif et reproductif, en plaçant l’égalité entre les femmes et les hommes au centre des enjeux socioéconomiques.

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