L’entrée en vigueur progressive de la nouvelle directive européenne sur la responsabilité sociale des entreprises en janvier prochain, dénommée Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD), entraîne un effort de normalisation et de réflexion des entreprises concernant leurs politiques de Responsabilité sociétale et environnementale (RSE), qui mesure leur performance extrafinancière.
Si l’essentiel de l’attention se porte sur les European sustainability reporting standards (ESRS), qui précisent les normes et indicateurs de reporting, de nature environnementale, il n’en existe pas moins un volet social. Tel est notamment le cas de l’ESRS S1 qui aborde la question de la main-d’œuvre de l’entreprise à travers notamment les questions de rémunération mais aussi de formation.
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Il faut noter que ces obligations de reporting rejoignent la préoccupation actuelle des Directeurs des ressources humaines (RH) qui déclarent, à 91 %, y voir un élément d’attractivité pour les candidats. Ainsi, au-delà de l’obligation qui est faite aux entreprises de procéder à la divulgation des données concernant la RSE, la CSRD constitue une opportunité pour les entreprises d’explorer le lien entre ces politiques et leurs performances, notamment financières.
Dans un article académique, publié en 2019 dans la revue Journal of Business Ethics, nous explorions cette relation en nous interrogeant sur le lien entre les politiques en ressources humaines (RH) orientées RSE et la performance financière des entreprises.
Une relation équivoque
Il existe de nombreux travaux qui essaient d’établir une relation entre les principales pratiques RH, tels que le recrutement, la formation, les systèmes de motivation ou d’incitation financière et la création de valeur pour une entreprise. Certaines recherches se sont attelées à établir un lien, plus étroit, avec la performance économique. À cet égard, nombreuses sont les études qui ont établi une relation positive. Autrement dit, des investissements consacrés à la politique RH en général, à la formation, au partage des profits et à la sécurité de l’emploi en particulier, se traduisent par une meilleure performance financière. Cependant, ces résultats sont contestés par d’autres études notamment en ce qui concerne les systèmes de participation et d’incitation financière, ou encore les programmes de formation.
Le constat est à peu près identique si l’on s’intéresse plus précisément aux politiques RH dans leur dimension RSE. Au cours de la dernière décennie, plusieurs études ont exploré la relation entre les politiques RH-RSE et la performance financière de l’entreprise.
Le premier constat est que beaucoup de ces recherches ont approché la performance de manière indirecte : impact de ces politiques sur la capacité à recruter et à retenir les salariés, engagement au sein de l’organisation, performance dans l’accomplissement des tâches ou encore accroissement de la productivité à la suite de votes promouvant la RSE en assemblée générale. Cependant, les très rares recherches qui se sont intéressées à l’impact sur la performance financière aboutissent à des conclusions divergentes, montrant une relation négative ou positive.
Une relation non linéaire
Notre recherche a eu pour objet de dépasser cet apparent paradoxe. Ainsi, nous suggérons que les résultats contradictoires de ces différents travaux peuvent s’expliquer, non pas, par la nature de la relation, qui serait positive ou négative, mais par la forme que celle-ci peut prendre.
En effet, en l’absence de relation linéaire entre les politiques RH-RSE et la performance financière, les résultats à priori divergents, que l’on trouve dans la littérature, seraient possiblement cohérents entre eux. Dans cette perspective, il a été montré que la performance économique d’une entreprise est forte lorsque le niveau d’engagement RSE est très fort, ou au contraire, très faible. Ainsi, la relation entre le niveau d’engagement RSE d’une entreprise et sa performance économique suivrait une relation en U.
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Afin de tester cette hypothèse de non-linéarité de la relation, nous avons utilisé les données de la société Vigeo, concernant 591 entreprises cotées, de 17 pays européens, portant sur 36 secteurs différents, sur la période 2008-2011. Nos résultats suggèrent qu’effectivement, la relation entre les politiques RH-RSE et la performance financière n’est pas linéaire.
En revanche, et à rebours des études précédentes, la forme de celle-ci n’est pas une courbe en U, mais en U inversé. Cela signifie que l’absence ou la faiblesse de politique RH-RSE se traduit par une faible performance financière et qu’à l’inverse, une politique RH-RSE ambitieuse ne s’avère pas profitable économiquement.
Réputation « positive »
Comment expliquer ce résultat ? Nous suggérons que plusieurs éléments y concourent. Tout d’abord, conformément aux études que nous avons évoquées précédemment, l’absence de politiques ambitieuses RH se traduit par une difficulté à attirer les « meilleurs » et à les conserver. L’entreprise paierait alors le coût de son manque d’investissements et d’ambition.
En revanche, comment expliquer que des investissements forts se traduisent par une diminution de la performance financière ? On peut avancer que ces politiques sont onéreuses et imposent des coûts de coordination et de mise en œuvre.
De surcroît, il est probable qu’au-delà d’un certain niveau d’investissement, l’entreprise acquiert une réputation « positive » sur le marché. En ce cas, s’il fait sens de maintenir l’effort des politiques RH-RSE déjà mises en place, il n’est peut-être pas pertinent de l’accroître car cela ne modifiera plus la perception que les parties prenantes peuvent avoir de l’entreprise.
Notre recherche ne permet pas en l’état de définir, opérationnellement, le niveau optimum auquel les politiques RH-RSE doivent se hisser. Il nous semble que cela relève avant tout de choix à opérer par le management de l’entreprise en termes de politique sociale : en clair, est-il préférable de risquer l’inefficience ou peut-on prendre le pari de diminuer la performance financière au profit des salariés, qui, de plus en plus, constituent un avantage concurrentiel déterminant ?