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Deux travailleurs de la construction gardent leurs distances pendant leur pause déjeuner à Montréal, le 20 avril 2020. Mais le lien social perdure. La Presse Canadienne/Paul Chiasson

Distanciation physique, oui, sociale, non. Voici comment renforcer les liens durant la pandémie

En temps de crise, nos liens sociaux permettent non seulement de réduire les effets d’un évènement, mais également de se rétablir plus rapidement. La Covid-19 ne fait pas exception, même si les directives de distanciation physique nous amènent à transformer nos rapports sociaux : on ne peut plus se réunir, se prendre dans les bras, pleurer ensemble.

Comme le recommande l’Organisation mondiale de la santé (OMS) depuis la fin mars et le suggère des experts comme Daniel P. Aldrich, professeur spécialisé dans l’étude de l’impact des liens sociaux pour la résilience post-désastre, il ne faut plus parler de distanciation sociale, mais bien de distanciation physique, tout en restant connectés socialement.

De nombreuses recherches démontrent que les liens sociaux permettent d’augmenter notre résilience individuelle et collective. Lors de la vague de chaleur à Chicago en 1995, l’ouragan Katrina en 2005 ou la triple catastrophe (tremblement de terre, tsunami et incident nucléaire) au Japon en 2011, des études ont démontré que le capital social a été un facteur permettant d’atténuer les effets des crises à court et moyen terme. Nos liens sociaux jouent un rôle majeur pour limiter le nombre de morts, appuyer la reconstruction ou atténuer les dommages psychologiques des crises. Plus le capital social individuel et collectif est élevé et plus vite les communautés se remettent.

Depuis plus d’un an, notre équipe du Cité-ID LivingLab sur la Gouvernance de la résilience urbaine, rattaché à l’École nationale d’administration publique (ENAP), a réalisé trois projets de recherches-actions. Il s’agissait de déterminer comment l’utilisation stratégique du concept de capital social par des organisations communautaires et citoyennes peut soutenir, de manière proactive, la résilience des communautés sur la base d’un renforcement des liens sociaux. Face à la crise actuelle, nous observons comment ces liens sociaux se déploient.

Des voyageurs gardent leurs distances dans une rame de métro à Montréal, le 22 avril. La distanciation physique dans les transports publics. La Presse Canadienne/Paul Chiasson

Connecter, relier les citoyens

Ces liens se manifestent sous plusieurs formes :

  • en connectant des personnes d’une même communauté ou d’un réseau social proche comme les liens familiaux (bonding),

  • en connectant des individus appartenant à des groupes et réseaux différents et plus éloignés comme les liens communautaires ou intergénérationnels (bridging),

  • en reliant les citoyens aux institutions ou individus en position d’autorité comme notre sentiment de confiance envers les directives des autorités publiques (linking).

C’est la combinaison des trois types de liens, ainsi que la matérialisation de normes partagées telles que la confiance et la réciprocité, qui permettent d’augmenter notre résilience. À l’instar d’autres villes, Montréal considère d’ailleurs le capital social des citoyens comme un élément essentiel au sein de la Stratégie montréalaise pour une ville résiliente adoptée en 2018.

Comment cela se traduit-il dans le cadre d’une pandémie comme le Covid-19 ? Alors que la distanciation physique devient impérative pour affronter l’épidémie, aplatir la courbe des contaminations et ne pas saturer les services de santé, nos liens sociaux sont-ils à risque ?

Le capital social en temps de pandémie

Depuis le début de la pandémie de Covid-19, notre équipe de recherche note un grand nombre de signes confirmant l’importance du capital social en temps d’épidémie, et la transformation de celui-ci, à travers les médias sociaux, les médias et les conférences de presse.

Au Québec et ailleurs au Canada, de nombreuses initiatives s’organisent à l’échelle de quartiers pour venir en aide aux personnes dans le besoin. À Montréal, des groupes d’entraide Facebook ont été mis en place dans au moins 12 des 19 arrondissements. Des groupes similaires existent à Québec et dans des plus petites municipalités. Ils s’organisent par d’autres moyens pour rejoindre des personnes qui n’auraient pas accès à Internet.

Des gens font la queue pour l’ouverture du don hebdomadaire de nourriture au Réseau d’entraide de Verdun à Montréal, le 20 avril. La Presse Canadienne/Paul Chiasson

Ce mouvement spontané, typique des situations de crise, a ensuite été formalisé avec le lancement d’une plateforme de bénévolat par le gouvernement. À l’international, on observe des initiatives similaires. Ces initiatives constituent des exemples d’entraide et de liens de type bridging où les citoyens créent des liens au-delà de leur groupe d’appartenance.

À l’opposé, le phénomène de « dénonciation » excessif est susceptible de miner nos liens sociaux. Alors que la population ressent le besoin de prendre des mesures de protection, les gouvernements doivent appeler les citoyens à adopter une attitude bienveillante plutôt qu’agressive en n’utilisant la dénonciation que dans des cas flagrants de non-respect des consignes sanitaires.

Le capital social de type bonding se manifeste également pour réduire l’isolement, sous la forme d’aide à notre réseau proche ou d’appels aux personnes de notre communauté. En effet, la demande faite aux personnes de plus de 70 ans de ne pas sortir de chez eux comporte le risque de renforcer l’isolement social et les effets négatifs sociaux de la pandémie.

Affiche placardée sur les portes dans le quartier Milton-Parc à Montréal.

Si l’État est le premier à devoir organiser la réponse aux crises, les citoyens ne sont jamais de simples spectateurs. Nos pouvoirs publics agissent comme moteurs de liens sociaux dans cette crise et appellent directement les citoyens à s’engager. Ces appels à l’entraide, au bénévolat et à téléphoner aux personnes pouvant souffrir d’isolement ont été relayés en conférence de presse par les premiers ministres. L’appel lancé aux influenceurs des réseaux sociaux d’expliquer aux jeunes l’importance de la distanciation physique constitue une manifestation innovatrice ou l’État, acteur traditionnel du linking s’appuie sur des personnes tierces auxquels les jeunes ont confiance.

Vers une plus grande résilience urbaine

Les organisations communautaires et citoyennes devraient également être mobilisées de manière proactive par l’État, car elles sont souvent porteuses du développement du capital social. L’État aurait intérêt à s’appuyer sur ces organisations, pendant, après et avant les crises pour contribuer à développer des liens sociaux à l’intérieur des communautés dans un objectif de résilience.

Atelier de préparation à l’urgence réalisée par un groupe citoyen, Transition NDG, à l’hiver 2019 incluant la notion de capital social avec des résidents du quartier Notre-Dame-de-Grâce à Montréal auquel participe le Cité-ID dans le cadre d’une recherche-action.

Les liens sociaux se sont transformés avec la pandémie. Cet élan d’entraide devra perdurer par la suite, car il s’agit d’une opportunité de renforcer les trois types de liens qui nous unissent et d’ancrer nos liens sociaux comme moteur de notre résilience dans les mois à venir et en prévision des prochaines crises.

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