Au Canada et dans le monde, les consommateurs intègrent de plus en plus de produits dits « végan » dans leur alimentation – un marché qui a atteint plus de 27 milliards de dollars américains en 2023.
Ce terme, qui se traduit par « végétalien » en français, fait référence à des aliments exempts d’ingrédients d’origine animale (viande, volaille, œufs, lait, poisson, fruits de mer).
Ainsi, en plus d’être potentiellement perçus comme plus sains par certains, ils présentent une alternative intéressante pour les consommateurs soucieux des enjeux liés à l’environnement, au développement durable, et au bien-être des animaux.
Or, un autre type de consommateur peut se tourner vers ces produits, pour des raisons totalement différentes : les personnes allergiques à des protéines d’origine animale, comme le lait de vache et les œufs.
Notre groupe de recherche, leader en analyse de risques liés aux allergènes alimentaires au Canada, s’est donc posé les deux questions suivantes :
Est-ce que les consommateurs vivant avec une allergie à des protéines d’origine animale considèrent les produits « végans » comme sécuritaires ?
Et, le cas échéant, est-ce qu’ils le sont réellement ?
Quel intérêt pour les consommateurs allergiques ?
Pour la communauté allergique, les réponses à ces questions sont primordiales, car le risque de souffrir d’une réaction potentiellement sévère (anaphylaxie) en dépend.
Les allergies alimentaires touchent environ 6 % des Canadiens, dont 0,8 % spécifiquement aux œufs et 1,1 % au lait.
Malgré des résultats prometteurs obtenus avec différentes formes d’immunothérapie ou de désensibilisation à un allergène, la stratégie la plus efficace pour éviter des réactions allergiques demeure de s’abstenir de consommer des aliments qui pourraient contenir des allergènes.
Lors de l’achat d’aliments préemballés, les consommateurs allergiques se fient donc aux déclarations dans la liste d’ingrédients pour identifier les aliments sécuritaires. Les autorités réglementaires responsables de la qualité et de l’innocuité des aliments reconnaissent l’importance d’une déclaration d’ingrédients exacte pour les consommateurs allergiques. Et l’énumération de chaque allergène volontairement ajouté à la formulation d’un aliment préemballé est obligatoire.
Cependant, une lacune réglementaire existe en ce qui concerne les ingrédients potentiellement présents de façon involontaire – par exemple, en raison d’un contact croisé pendant la transformation de l’aliment. Ces ingrédients sont généralement déclarés avec des mentions « peut contenir », utilisées (ou plutôt surutilisées) de façon volontaire et aléatoire par les transformateurs alimentaires.
Par ailleurs, le terme « végan » (ou « végétalien ») n’est ni standardisé ni défini dans la réglementation canadienne. En fait, l’Agence canadienne d’inspection des aliments note que, en ce qui concerne l’utilisation du terme « végétalien »,
Les compagnies peuvent appliquer des normes ou des critères additionnels qui tiennent compte d’éléments autres que les ingrédients qui composent l’aliment.
Cependant, des détails ou des exemples en lien avec ces éléments ne sont pas disponibles. Ce manque de définition réglementaire précise empêche la mise en place d’exigences en termes de conformité.
Or, la plupart des rappels de produits commercialisés comme « végan » sont dus à la présence d’ingrédients d’origine animale non déclarés, notamment le lait et les œufs.
Qu’en disent les consommateurs allergiques ?
Dans ce contexte, et dans le cadre d’un sondage auprès de consommateurs allergiques mené en collaboration avec Allergies alimentaires Canada, nous avons demandé aux participants qui indiquaient être allergiques (ou être parents d’un enfant allergique) aux œufs ou au lait s’ils achetaient des produits commercialisés comme « végan ».
Parmi les 337 répondants, 72 % ont déclaré inclure ces produits dans leurs achats « parfois/en fonction de la situation », 14 % « toujours », et 14 % « jamais ».
Ces résultats suggèrent que, effectivement, ces consommateurs considèrent l’allégation « végan » comme un indicateur de l’absence de protéines d’origine animale – absence qui, rappelons-le n’est soutenue par aucune exigence ou définition réglementaire.
Ces habitudes de consommation pourraient donc mettre les personnes allergiques aux œufs et/ou au lait à risque, car l’absence de ces ingrédients n’est pas assurée.
Une campagne d’éducation visant à clarifier que le terme « végan » est un indicateur des préférences et non des risques alimentaires s’avère donc importante parmi cette communauté.
Les produits « végan » contiennent-ils des ingrédients d’origine animale ?
Or, le fait que 86 % des répondants achètent des produits « végan » laisse entendre que l’incidence de réactions allergiques liée à ces aliments est potentiellement rare.
Nous avons donc analysé le contenu en protéines d’œuf et de lait de produits « végan » et « à base de plantes » commercialisés au Québec.
Au total, 124 produits ont été analysés pour détecter la présence de protéines d’œuf (64) et/ou de lait (87).
Les protéines d’œuf n’ont été détectées dans aucun échantillon, mais cinq échantillons contenaient des protéines de lait : quatre tablettes de chocolat noir commercialisées comme « certifiées végan » et un gâteau aux châtaignes de marque de supermarché.
Ces cinq produits déclaraient la présence potentielle de lait avec un avertissement « peut contenir : lait ».
Les concentrations de protéines de lait quantifiées dans ces produits, combinées aux quantités de l’aliment qui seraient consommées en une seule fois, ont été utilisées pour calculer une dose d’exposition, en milligrammes de protéines de l’allergène. La probabilité que ces doses suscitent une réaction chez les populations allergiques concernées a été estimée grâce à des modèles de corrélation. Nos résultats montrent que les doses calculées pourraient susciter des réactions chez 6 % des consommateurs allergiques au lait, pour les tablettes de chocolat, et 1 %, pour le gâteau.
Comment les consommateurs allergiques peuvent-ils se protéger ?
Bien que ce niveau de risque puisse être perçu comme faible, il est susceptible de varier sans préavis. Et ce, tant qu’il n’est pas soutenu par des exigences réglementaires.
En fait, plutôt que de l’attribuer à la présence d’une allégation « végan » ou « à base de plantes », ce niveau de risque reflète fort probablement les bonnes pratiques de gestion d’allergènes caractéristiques du secteur de transformation nord-américain.
Ainsi, même si une mention « peut contenir : lait » semble contradictoire dans un produit « végan » ou « à base de plantes », les personnes allergiques au lait doivent l’interpréter comme une indication que ce produit pose un risque pour leur santé.