Dans un précédent article, nous expliquions en quoi consistent les systèmes de transport intelligents (ITS) et comment ils ont évolué au fil du temps, du CACS à la voiture autonome. Ce nouveau texte se concentre sur l’écosystème d’entreprises et de territoires devenus parties prenantes des évolutions observées dans le secteur de la mobilité intelligente. Au-delà des perspectives en matière d’emplois et de création d’entreprises innovantes qui permettent d’envisager ce secteur comme un nouveau vecteur de croissance, de nombreux enjeux subsistent notamment dans l’organisation des ITS sur le territoire.
En octobre 2015, à Bordeaux, le 22ᵉ Congrès mondial sur les ITS a battu tous les records d’affluence (plus de 10 000 participants), démontrant l’engouement croissant autour de cette thématique. Plus récemment, l’édition 2017 à Montréal a elle aussi attiré plus de 10 000 personnes.
À l’occasion du rassemblement de Bordeaux et à l’approche de la COP21, les parties françaises avaient largement contribué, auprès des professionnels, des médias et de leurs partenaires internationaux, à mobiliser et à inscrire les ITS dans une dynamique mondiale de lutte pour l’environnement et le climat – en atteste la signature d’un manifeste par Ségolène Royal, en compagnie de 28 ministres ou représentants d’autres pays. Mais alors que la France accueillait il y a deux ans le plus grand congrès sur les ITS, qu’en est-il réellement des actions en cours dans le pays, et peut-on considérer la France comme un acteur majeur des ITS dans le monde ?
Renforcer l’offre française
La mobilité intelligente est particulièrement porteuse d’emplois, d’innovations et de créations de nouvelles entreprises, en particulier de start-up. D’après le livre vert rédigé par le réseau Atec ITS France, ce secteur représente déjà dans le pays un marché annuel de 4,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires, comptant plus de 1 000 entreprises et 45 000 emplois directs dans le secteur privé.
Même si ces chiffres peuvent paraître légèrement optimistes, le secteur représente également des centaines de milliers d’emplois indirects dans les secteurs traditionnels de la construction et de l’exploitation d’infrastructures de transport, de la construction automobile, de la logistique, qui utilisent et déploient de plus en plus des solutions de mobilité intelligente.
Devant les nouveaux enjeux liés à l’émergence des ITS, il convient de mettre en parallèle les atouts indéniables des acteurs français. La France possède ainsi de nombreux ingénieurs de talent, des acquis technologiques et des offres industrielles, ainsi que des instituts de recherche et de formation publique reconnus. Face à ce constat, il est possible de renforcer l’offre française de mobilité intelligente. Ce renforcement apparaît nécessaire et stratégique pour maintenir une innovation adéquate et pour éviter la délocalisation hors de France des produits et des services de la mobilité intelligente.
Le cas particulier des infrastructures intelligentes
Malgré une forte avancée technologique, le succès des véhicules connectés et autonomes est étroitement lié à l’amélioration des infrastructures et de l’environnement urbain, qui lui aussi, doit être entièrement connecté, mais également à l’évolution de la réglementation.
Dans cette optique, de nombreuses firmes, dont des équipementiers automobiles, se sont lancées dans la conception de nouvelles technologies, faisant partie intégrante des ITS et des projets de villes intelligentes à travers le monde. Le marché reste dominé par l’Amérique du Nord et est estimé à environ 39 milliards de dollars en 2018.
Parmi ces innovations, on trouve des caméras, des capteurs, des logiciels et des outils de localisation, installés aussi bien sur les routes que sur les véhicules, afin de surveiller, contrôler et gérer le trafic routier en temps réel tout en échangeant des informations avec les véhicules environnants. Parmi les acteurs opérant dans ce secteur, le leader mondial des systèmes d’imageries thermiques Flir, les équipementiers français Valeo et Faurecia font face à la concurrence internationale (Magna International, Continental AG, Robert Bosch GmbH).
La stratégie de la France
La France peut s’appuyer sur une dynamique européenne soutenue, visant à promouvoir la recherche sur les ITS et à mieux définir les enjeux de l’interopérabilité (programme Horizon 2020 avec un volet spécifique dédié aux ITS dans le challenge Smart, Green and Integrated Transport). En outre, le gouvernement propose une politique locale volontaire avec un soutien de l’innovation. On peut citer par exemple la phase 2 de la Nouvelle France industrielle (NFI) qui subventionne à hauteur de 1,9 milliard d’euros des projets industriels innovants, parmi lesquels de nombreux traitant des ITS.
En plus des subventions publiques visant essentiellement le développement des ITS à l’échelle locale, les acteurs français de l’ITS peuvent s’appuyer sur un réseau dédié, via l’association Atec ITS France, qui a pour objectif de les regrouper et de les coordonner.
Enfin, le nouveau gouvernement français a lancé les Assises de la mobilité le 19 septembre 2017. Ces assises sont l’un des principaux chantiers de la ministre des Transports, Élisabeth Borne, et du ministre de la Transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot. Tous les acteurs privés et publics seront autour de la table où sera notamment évoqué le devenir des ITS en France.
Les ITS dans les territoires en France
On note depuis quelques années une augmentation importante des initiatives locales (agglomérations, bassins de mobilité, régions) prônant le changement des habitudes de mobilité et les ITS. De grands projets sont en train de voir le jour, alliant des acteurs publics et privés, et favorisant la création de start-up. Les grandes métropoles peuvent ainsi être vues comme des laboratoires à taille réelle. On peut citer des exemples de projet ou de réalisation :
Optimod’Lyon, un projet de trois ans visant à optimiser la mobilité durable en centre-ville de Lyon. Grâce à ce projet, plus de 70 capteurs sans fil ont, par exemple, été installés sous le bitume à des endroits stratégiques. Cela apporte une connaissance plus fine des trafics pour informer les usagers et réguler le trafic en temps réel. Le projet comprend aussi trois autres volets, comme l’optimisation de la disponibilité des places de stationnement ou la création d’un GPS urbain multimodal sur smartphone.
La Communauté d’agglomération Grenoble-Alpes métropole s’est dotée d’un centre de gestion multimodale centralisée des déplacements. Ce projet vise une diminution de la part de la voiture au profit de moyens de transports alternatifs.
SCOOP@Breizh, le prédéploiement en Bretagne d’un dispositif innovant qui entre dans le champ de la voiture communicante. Près de 3 000 véhicules ont été équipés en 2016 de ce système qui permettra d’informer en temps réel les usagers de la route, d’améliorer la sécurité routière et de faciliter les déplacements. ITS Bretagne est gestionnaire du projet pour les collectivités bretonnes.
Au niveau national, les actions publiques de développement des ITS se concentrent autour de quatre régions très actives. Les acteurs se partagent entre académiques, instituts de recherche, pôles de compétitivité, centres de certification, etc.
Des limites au déploiement
Un premier frein à mentionner pourrait être l’hétérogénéité du déploiement dans les territoires. Certaines régions et agglomérations sont clairement en avance et il devient difficile de coordonner les différents demandeurs ou acteurs autour d’une politique commune. L’intégration des innovations dans le secteur des ITS exige également des expérimentations de terrain, que les acteurs du marché ne peuvent pas toujours conduire sans l’appui des pouvoirs publics.
L’accès aux données (et leur tarification) constitue également un élément-clé du développement des ITS, notamment pour des problèmes de confidentialité. En effet, un véhicule connecté (et donc son conducteur) peut par définition être localisé à tout moment. Il faudra peut-être établir un cadre de référence national, voire européen.
Les ITS sont aujourd’hui à la croisée des chemins car les défis sont nombreux et dépassent largement le cadre des innovations technologiques ou la relation conducteur-véhicule-infrastructure. La capacité à optimiser les données de masse liées aux déplacements des populations tout en minimisant les risques d’accidents et l’empreinte carbone imposent des améliorations dans la gestion des big data.
En outre, la principale contrainte sera sûrement systémique. En effet, dans les années à venir, les ITS auront à gérer un système complexe mêlant véhicule traditionnel, véhicule connecté et véhicule autonome. Il devra en outre être optimisé sous contraintes économiques (coûts du système), sécuritaires (réduction de l’accidentologie), énergétiques (réduction de la consommation), environnementales (réduction de son empreinte carbone) et pratiques (paiement, accessibilité, etc.).
En attendant, les ITS sont porteurs d’un nouveau modèle économique pour des services liés à la mobilité. En matière technologique, les opportunités sont nombreuses et le champ des innovations est vaste : dématérialisation, capteurs, infrastructures, services, etc. L’autre moteur des ITS est la connexion à la multitude (via plateformes Internet, réseaux sociaux, applications mobiles). Il s’agit de services à faible intensité capitalistique générant rapidement des modifications ou optimisations des comportements de mobilité.
Lyes Aissaoui, étudiant à IFP School et à AgroParisTech, est co-auteur de cet article.