Les échecs des organisations internationales sont souvent liés aux manques de compétences interculturelles des employés et des managers.
Ainsi, selon Evalde Mutabazi, professeur à l’EM Lyon, la compétence interculturelle constitue bien un « défi majeur », d’autant qu’il n’existe pas de profil standard de cadres ou de managers avec des compétences identiques. Si ceux-ci avaient les mêmes valeurs, les mêmes croyances et les mêmes aspirations managériales, les dysfonctionnements organisationnels seraient beaucoup plus rares, les négociations avec les partenaires étrangers simplifiées, la mise en place des équipes multiculturelles facilitées.
Effectivement, le concept de « compétence interculturelle » s’avère en lui-même bien difficile à définir et souvent difficilement mesurable comme le rappelle Anne Bartel-Radic, professeure des universités en sciences de gestion à Sciences Po Grenoble. De fait, on associe souvent la compétence interculturelle aux caractéristiques distinctes des individus, telles que la motivation (affective, émotion), le savoir (cognitif), ou encore les compétences (comportementales et organisationnelles). Aussi, l’acquisition des compétences interculturelles permettrait d’éviter les malentendus et les pièges liés à un environnement où des cultures différentes sont rassemblées.
Acquérir une compétence interculturelle
Certes, l’influence de l’environnement familial et le fait, par exemple, d’avoir des parents biculturels contribuent notablement à l’acquisition de compétences interculturelles pour l’individu : « si on a été élevé de sorte à toujours garder l’esprit ouvert, on le fera naturellement », répond ainsi un interviewé dans une étude de terrain que j’ai publiée avec Dounia Benhaida.
Mais on constate que l’environnement familial n’est pas nécessairement crucial, puisque des individus non issus de parents biculturels peuvent avoir acquis une sensibilité culturelle dans le cadre de leurs études, de leurs voyages ou bien au cours d’expériences professionnelles diverses. « Pendant mes études, j’ai effectué des stages en Allemagne, j’ai appris de nouvelles méthodes de travail et la façon d’appréhender les choses différemment », explique un autre interviewé. « Pour ma part, j’ai travaillé avec un manager de nationalité différente qui utilisait des méthodes de management différentes, en cherchant à construire une relation basée sur la confiance et une communication plus directe », témoigne encore un ancien expatrié.
Les travaux de Yih-teen Lee, professeur à l’IESE Business School de Barcelona, confirment d’ailleurs que les expatriés peuvent démontrer une meilleure adaptation culturelle que les biculturels, ainsi qu’une communication plus efficace au contact des différentes cultures.
On constate enfin que l’acquisition de cette compétence est également liée aux « ressources matérielles » qui l’accompagnent (scolarité, facilité de mobilité internationale, accès aux différents supports linguistiques, stages dans un environnement multiculturel, etc.). L’apprentissage et la maîtrise d’une langue étrangère facilitent notamment l’apprentissage interculturel, ce qui pose plus largement la question de la structuration globale d’une société et de ses institutions.
La volonté d’apprendre
Il est toutefois intéressant de noter que l’effort des individus en apprentissage interculturel semble être peu abordé en littérature scientifique. Pourtant, l’acquisition et le développement de la compétence interculturelle demandent de la motivation : « Quand on veut, on peut », commente un interviewé.
Il est important de « vouloir interagir avec les différences culturelles » au départ. Les individus doivent fournir des efforts notamment au sein des équipes multiculturelles afin de comprendre et s’adapter aux autres cultures nationales présentes, comme le soulignent plusieurs témoignages que nous avons recueillis : « lorsqu’on est confronté à quelque chose de nouveau, il faut savoir l’apprécier et l’accepter. Ne pas être effrayé par le changement ou l’inconnu. Par la suite, l’expérience permet de relativiser et d’être plus sage le moment venu. » ; ou encore, « si on apprend à mieux connaître ce qui nous effraie ou déplaît, on peut être amené à l’apprécier ».
Le comportemental joue ainsi un grand rôle dans les compétences. La plupart des auteurs mettent en évidence les cinq traits centraux (les « big five », comme le note Anne Bartel-Radic) : ouverture à l’expérience ; caractère consciencieux ; extraversion ; caractère agréable ; et stabilité émotionnelle.
Les personnes interviewées soulignent surtout en complément de ces cinq traits : ouverture d’esprit, flexibilité, tolérance à l’ambiguïté, curiosité, patience, accepter la différence et aller vers les autres. Et si on ne sait pas comment : « accepter de se faire aider ».
Un manager ouvert d’esprit ne suffit pas
L’ouverture à l’autre peut faciliter le travail du manager dans la gestion de son équipe. En effet, sur le plan organisationnel, le manager est le premier acteur hiérarchique à être confronté au management d’équipes multiculturelles. Même doté de sensibilité et de compétences interculturelles, il lui sera difficile d’assumer son rôle si son équipe ne contient pas de personnes ayant ces compétences. Celui-ci aura donc besoin d’outils de la part de l’organisation qui lui permettront de gérer son équipe multiculturelle.
Dès lors, les managers, peuvent avoir besoin de moyens, notamment financiers, afin d’être accompagnés dans leur rôle au quotidien (par exemple, formations en management interculturel, en animation d’équipe). Ils pourront également avoir besoin de moyens de pilotage de leur équipe dans un souci de performance organisationnel, de fidélisation et de motivation des collaborateurs pour en assurer la pérennité.
Même les référents culturels pouvant être extrêmement différents selon les cultures, ils peuvent lors de leur application dans un contexte professionnel entraîner des incompréhensions en termes de gestion du temps, définition des tâches, prise de risque, degré d’autonomie, de hiérarchie, d’attitudes individuelles en opposition aux attitudes collectives ou encore en termes de communication directe ou indirecte, etc.
Voilà d’où vient la difficulté d’un manager international aujourd’hui, car aucun manager ne peut apprendre tout sur les cultures et groupes ethniques existants mais l’intérêt réel porté à l’individu et à ses origines prouve de la compréhension de sa part. Selon Lena Zander, professeur à la Uppsala University en Suède, et ses collègues, le manager de demain doit devenir « un médiateur » et « un rassembleur » avec intelligence culturelle importante. Au-delà d’un manager idéal « hybride » qui est capable « d’absorber » plusieurs cultures, de plus en plus d’auteurs mettent en avant le caractère flexible du manager qui lui permet d’éviter les chocs culturels et de s’adapter dans des cultures différentes.
L’apprentissage et l’adaptabilité comme mode d’ajustement des managers, que ce soit dans des équipes multiculturelles ou projets internationaux, caractérisent aujourd’hui les managers que l’on appelle par ailleurs « globaux ». Ils devraient être capables de motiver et d’inspirer, de coacher et de s’intéresser réellement aux membres de leurs équipes, à plus forte raison de pouvoir devenir des « agents de liaison ». Ce type de manager est capable d’identifier les différences culturelles et de créer des synergies entre elles alors qu’un médiateur facilite la communication intra-équipe et sait résoudre les conflits interculturels en construisant les ponts entre les langues et les cultures.