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Vue d'un bureau avec des personnes assises, en train d'échanger
Les formations pour combattre les préjugés et accroître la diversité se multiplient dans les entreprises. Mais les effets réels de ces initiatives et leur efficacité sont peu évalués. (Shutterstock)

Les formations antiracistes et pro-diversité au travail fonctionnent-elles ? Voici ce qu’en dit la science

En juillet 2023, Richard Bilkszto s’enlève la vie. Il est alors directeur scolaire à Toronto. Son avocate affirme qu’il a commis ce geste ultime à la suite d’une formation EDI (Équité, Diversité, Inclusion) portant essentiellement sur l’anti-racisme. La formatrice l’a pris à partie lors d’une session en 2021. Les échanges ont eu un tel impact qu’il a dû quitter pour un congé maladie.

Bien sûr, le suicide d’un homme ne peut être attribué qu’à un seul facteur, encore moins à une formation. Mais, quel qu’en soit le motif profond, le suicide de Richard Bilkszto a eu l’effet d’une sonnette d’alarme. À sa suite, en effet, un nombre croissant de personnes ont interrogé les initiatives EDI.

En février 2024, Murielle Chatelier, présidente de l’Association des Québécois unis contre le racialisme (AQUR), affirme par exemple dans une lettre d’opinion que les formations EDI sont inefficaces et que la littérature scientifique le démontre.

Une médecine sociale généralisée

Ces formations sont pourtant répandues dans plusieurs organisations, privées et publiques. Au Canada, le gouvernement soutient le recours à ces formations, notamment comme levier de croissance pour les organisations. Les études sur le sujet sont nombreuses et nous avons maintenant suffisamment de recul pour énoncer quelques tendances.

En tant que professeur dans une École de gestion à l’Université du Québec à Trois-Rivières, je m’intéresse aux questions morales et d’éthique appliquée en misant essentiellement sur la pensée critique. Une telle démarche permet de mieux saisir un phénomène en l’observant sous plusieurs angles. C’est ici l’objectif.

Les formations EDI ciblent certains grands thèmes comme les biais implicites, le privilège blanc et les micro-agressions. Le thème du racisme systémique revient aussi régulièrement. Une médecine généralisée devrait donc être appliquée puisque le racisme est présent en plusieurs endroits.

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Des statistiques démontrent qu’au Canada, 60 % des professionnels en ressources humaines gèrent des initiatives EDI au sein de leur organisation. Mais une minorité seulement prend le temps de mesurer les effets de ces initiatives et leur efficacité. Parmi les professionnels qui appliquent de telles mesures, soit 22 %, moins de la moitié ont effectivement constaté un succès pour ces initiatives. D’ailleurs, les formations demeurent l’initiative la plus populaire, devançant la mise sur pied de comités EDI, la publication d’offres d’emploi inclusives et la formalisation de l’équité quant aux salaires.

Des centaines d’études apportent des résultats contradictoires

La recherche sur le sujet de l’EDI n’est pas nouvelle. Des centaines d’études ont été menées, aux États-Unis notamment. Des chercheurs ont entrepris de les rassembler via une méta-analyse, une méthode quantitative permettant le regroupement d’études portant sur un même sujet pour en dégager certaines conclusions.

Celle des chercheuses en psychologie Patricia Devine et Tory Ash, de l’Université Wisconsin - Madison, parue en 2022, regroupe 250 études. Les chercheuses rappellent que les formations ont pris naissance à la suite du mouvement de défense des droits civiques dans les années 60 et 70. Tranquillement, elles ont pris une ampleur telle qu’on estime que les organisations, chez nos voisins du sud seulement, investissent plus de huit milliards par année pour les offrir.

Mais la question demeure : existe-t-il un retour sur investissements qui en vaut la peine ?

Les résultats des différentes études sont souvent contradictoires. Cette réalité amène les chercheuses à souligner qu’il leur est impossible de déterminer les meilleures pratiques à adopter. Des recherches montrent, par exemple, un effet positif tout de suite après la formation, mais qui s’estompe avec le temps.

Prenons le cas de cette formation sur le traitement des Autochtones dans une grande organisation publique australienne. Les stéréotypes négatifs ont bien diminué dès la formation terminée, mais trois mois plus tard, la situation pré-formation prévalait.

De plus, il n’est pas possible de tirer une conclusion sur les initiatives visant la promotion de la diversité et leur capacité à favoriser l’inclusion. C’est également le cas concernant le recrutement, la rétention et le sentiment d’appartenance des employés faisant partie de groupes minoritaires.

Une autre méta-analyse répertorie 418 études menées avant les recherches rassemblées par Devine et Ash. On y apprend que les effets sont minces sur la réduction des préjugés. Rien ne permet de soutenir « l’enthousiasme » des formations visant la réduction des préjugés implicites, soutiennent les chercheurs. La question des biais implicites — ces attitudes, stéréotypes, préjugés que nous avons sans en être conscients —, motive souvent le désir de sensibiliser les employés. Mais les tentatives pour limiter ou éliminer ces biais produisent peu d’effets.

Une troisième méta-analyse indique qu’il n’est pas possible de pointer ce qui fonctionne ou non en matière de réduction des préjugés dans le monde réel. Malgré les centaines d’études menées à ce jour, la méta-analyse conclut qu’il est nécessaire de poursuivre le travail de recherche.

Un effet contraire

Se peut-il que les formations produisent l’effet contraire à celui recherché ? Les professeurs Frank Dobbin, du département de sociologie d’Harvard, et Alexandra Kalev, du département de sociologie et d’anthropologie de l’Université de Tel-Aviv, rappellent que les actions visant à réduire les stéréotypes tendent plutôt à les renforcer.

Demander à quelqu’un de réfléchir à ses stéréotypes peut avoir comme effet de les faire remonter à la surface alors qu’ils étaient enfouis. Les initiatives visant la diversité peuvent aussi rendre les employés « aveugles » aux cas réels de discrimination. Comme s’il s’installait une sorte de sur-confiance reposant sur l’impression que le milieu de travail est nécessairement épargné par les biais implicites.

Il est également démontré que les employés blancs, avec ces messages prônant le multiculturalisme, peuvent se sentir exclus, supportant moins les initiatives EDI. Les messages en faveur de la diversité provoqueraient une impression de traitement défavorable par rapport aux groupes minoritaires. Les formateurs rapportent régulièrement des comportements d’hostilité et de résistance de la part de cette catégorie d’employés. Il apparaît qu’avoir une approche inclusive en démontrant que tous les groupes comptent, incluant le majoritaire, a un effet positif.

Les formations revêtent souvent un caractère obligatoire pour les employés. Dobbin et Kalev font cet autre rappel : généralement, les individus réagissent négativement aux efforts qui sont faits pour les contrôler. La recherche d’autonomie rend dérangeante la tentative de contrôle des pensées et du comportement. Les risques de moins bien performer dans son travail sont présents lorsque cette perception du manque d’autonomie est manifeste.

En perte de vitesse

Au moment de l’affaire George Floyd en 2020, et de la montée de Black Lives Matter, des entreprises ont pris la décision d’accorder une grande priorité aux initiatives EDI. On mentionnait alors qu’elles comptaient investir plus de 50 milliards $ pour les soutenir. Un récent rapport révèle cependant que cette priorité a chuté au bas de la liste.

Avec tout ceci en tête, et bien que les initiatives EDI soient souvent mises en branle avec de bonnes intentions, on peut se demander s’il est judicieux de les prôner avec insistance. Surtout, est-il justifié de contraindre des employés à se soumettre à des formations obligatoires ? Ne devraient-elles pas plutôt être facultatives ?

La question se pose.

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