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Aux États-Unis, neuf initiatives entrepreneuriales se solderaient aujourd’hui par un échec. Doug Coldwell/Wikimedia commons, CC BY-SA

Pourquoi tant de start-up adoptent-elles la même philosophie de développement ?

Les jeunes start-up ont le dos au mur. Les statistiques de 2023 révèlent notamment que neuf initiatives américaines sur dix se solderaient par un échec et que seuls 9 % d’entre elles franchissent le cap des dix ans. Les fondateurs et fondatrices s’adonnent donc à un jeu risqué, mais tout le monde joue-t-il selon les mêmes règles ? Notre recherche a en tout cas démontré que les personnes, structures et systèmes qui évoluent autour des start-up tendent à donner de l’ampleur à une philosophie connue sous le nom de « lean start-up ».

Le lean start-up désigne une approche formalisée en 2012 par l’entrepreneur américain Eric Ries dans son ouvrage The lean start-up : How Today’s Entrepreneurs Use Continuous Innovation to Create Radically Successful Businesses. Elle encourage les start-up à développer leur modèle commercial de façon itérative, c’est-à-dire pas à pas et à partir de l’existant, afin de leur permettre de prendre une décision rapide : « pivoter », en changeant de stratégie, ou persévérer.

Visiblement, l’écosystème entrepreneurial, qui se compose, entre autres, d’incubateurs, d’institutions d’enseignement supérieur, d’organismes non gouvernementaux (ONG), d’agences web, de fournisseurs de services, de mentors, d’investisseurs et de clients, pousse les jeunes start-up à internaliser et à adopter la philosophie du lean start-up.

Entendre la même histoire en boucle

Au début, nous cherchions à comprendre comment les jeunes start-up gèrent et orientent leur entreprise. Sur quelles données appuient-elles leurs décisions ? Comment motivent-elles leur personnel, le cas échéant ? Comment poussent-elles leur organisation à aller de l’avant ?

Nous avons rapidement remarqué que toutes les personnes avec qui nous échangions, indépendamment du type d’entreprise ou de marché, à Berlin, Munich ou Paris, nous faisaient les mêmes réponses : les termes utilisés, tels que « produit minimum viable » ou « faire pivoter le modèle commercial » apparaissaient, de surcroît, caractéristiques de la philosophie du lean start-up.

En substance, cette approche va à l’encontre de la philosophie plus traditionnelle qui promeut le développement, puis l’exécution d’un business plan clairement défini dès le départ. Comme l’a dit un jour le boxeur Mike Tyson :

« On a tous un plan, jusqu’à ce qu’on prenne son premier uppercut. »

Née dans la Silicon Valley à la fin des années 2000, la philosophie du lean start-up se caractérise par une nature expérimentale et itérative, à savoir bâtir quelque chose, mesurer son succès et en tirer des leçons. L’objectif ? Créer un modèle commercial qui conçoit et vend des produits ou services via un cycle de développement le plus court possible.

Au lieu de se concentrer sur des business plans prédéfinis, cette philosophie, qui incite à « créer, mesurer et apprendre », encourage les start-up à développer des systèmes de contrôle de gestion qui les aident à structurer un processus d’apprentissage flexible et à l’accélérer. Le but est de rassembler des données principalement centrées sur les clients et de promouvoir la responsabilité, la collaboration et la transparence au sein du personnel, ainsi que dans la prise de décisions.

« Créer, mesurer, apprendre »

Afin de contribuer à la documentation, nous avons volontairement étudié les start-up qui en étaient encore aux prémices de leur développement et, pour des raisons pratiques, nous nous sommes concentrés sur la région du Grand-Paris.

Les start-up avaient, en moyenne, deux ans. Pour en apprendre plus sur leurs systèmes de gestion, notre approche principale a consisté en une série d’entretiens avec des fondateurs-gérants et fondatrices-gérantes, puis avec des acteurs et actrices de l’écosystème et enfin, avec des maîtres-penseurs et maîtres-penseuses de la philosophie du lean start-up.

Les start-up étudiées avaient toutes structuré leur entreprise sur le même cycle : « créer, mesurer, apprendre ». Cette approche leur permettait d’obtenir rapidement des informations sur le potentiel succès (ou échec) de leur modèle commercial. Elle les encourageait également à exploiter des données centrées sur les clients, plutôt que financières. Pour une entreprise numérique, par exemple, cela se traduisait par une focalisation sur les taux de clics de leur site Internet, le temps de rétention et l’utilisation d’outils comme ceux de Google Analytics afin de mieux comprendre les interactions en ligne des clients.


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Nous avons également retrouvé des valeurs de la philosophie du lean start-up intégrées d’office aux entreprises que nous avons étudiées. Ces start-up aspiraient à davantage de transparence et de responsabilités pour leurs actions. Elles cherchaient également à collaborer un maximum avec les autres (au sein de leur incubateur ou à travers l’écosystème en général).

Nous étions impatients de découvrir pourquoi la philosophie du lean start-up était devenue aussi prédominante. Quels facteurs poussaient vers cette approche ?

Nous nous sommes donc tournés vers l’écosystème entrepreneurial, autrement dit, tout ce qui entoure et affecte les start-up, des incubateurs et investisseurs aux espaces de locaux partagés et flexibles, en passant par les autres structures de soutien.

Si nous savions déjà que l’écosystème entrepreneurial joue un rôle clé dans le développement des start-up, son influence sur leurs pratiques de gestion demeurait plus obscure. Nous avons ainsi enquêté au sein de l’écosystème parisien (comme l’incubateur HEC, à Station F) et avons également triangulé nos découvertes dans les écosystèmes similaires en Allemagne.

Suivre les règles

Nous avons identifié trois mécanismes principaux qui poussent les start-up à adopter la philosophie du lean start-up. En effet, les jeunes entreprises semblent encouragées à suivre certaines règles si elles souhaitent trouver leur place dans un écosystème.

Un exemple de règle est que les start-up ont généralement besoin du soutien des incubateurs pour grandir. Ces plates-formes spécialisées aident les structures les plus jeunes à survivre aux aspects les plus difficiles du lancement. Or, dans leurs processus de sélection, les incubateurs exigent un produit minimum viable (MVP) et demandent à constater un certain succès auprès des clients (la soi-disant « traction »). Des concepts qui, eux-mêmes, sont inspirés de la philosophie du lean start-up.

Par exemple, une start-up œuvrant à la création d’un produit numérique devra présenter à un incubateur son site Internet initial et une preuve qu’il a connu suffisamment d’activité, telle que des commentaires positifs de clients existants ou une liste de clients potentiels ayant signalé une demande pour la proposition commerciale.

De cette façon, la start-up se retrouve déjà engagée sur la voie du lean start-up. Les incubateurs recommandent en effet des logiciels et systèmes gratuits imprégnés des autres principes clés de la philosophie du lean start-up, comme des outils pour mesurer les indicateurs clés de performance (ou KPI, key performance indicator, en anglais), lesquels favorisent encore ces idées, au point qu’il devient difficile d’y échapper.

Adhérer à la norme

Ensuite, nous avons identifié des valeurs, normes et obligations perçues qui sont communiquées aux start-up lors des premières étapes de leur développement, parfois même avant que le fondateur ou la fondatrice ait créé son entreprise. Les termes tendance qui illustrent l’approche du lean start-up, tels que « pivot », « agilité de développement » ou « KPI », sont omniprésents, des cours d’enseignement aux ouvrages d’affaires en vogue, en passant par le mentorat et les évènements destinés à promouvoir le réseau.

Très rapidement, le vocabulaire du lean start-up en vient à faire partie du langage quotidien des personnes qui pénètrent dans l’écosystème entrepreneurial.

Enfin, il existe un certain degré de compréhension partagée constamment échangée entre les acteurs de l’écosystème. Il s’agit de pratiques influentes et considérées comme acquises, comme l’échange de pair-à-pair, ou le partage d’expérience, de la part de fondateurs et fondatrices qui ont connu le succès, sur les débuts de leurs start-up.

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