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Refonder la police : et si on osait la convention citoyenne sur la sécurité ?

Manifestants à Nantes, le 21 juin 2020 commémorant le décès de Steve Maia Canico après un contrôle policier, lors de la Fête de la musique l'année précédente. Sebastien Salom-Gomis/AFP

Service public de première ligne, la police peut-elle rester sourde au renforcement des exigences démocratiques à son égard ? Dans un contexte de crise de la démocratie représentative et de foisonnement des voix mettant en cause l’usage de la force, la participation des citoyens peut-elle aider à refonder démocratiquement les politiques de sécurité ?

Une convention citoyenne sur la sécurité au niveau national, inspirée de la récente Convention citoyenne sur le climat, et des expérimentations pratiques au niveau local pourraient aller de pair pour sortir de l’impasse.

La sécurité, chasse gardée des professionnels

S’il reste, en France, un domaine perçu comme l’apanage des professionnels et de l’État, c’est bien celui de la sécurité.

Comme les politiques de maintien de l’ordre, la sécurité se caractérise par un « splendide isolement » qui concourt à une véritable sclérose des recettes d’action publique et à une défiance croissante de la population.

Cet isolement se déploie sur plusieurs fronts.

Tout d’abord, alors que de nouveaux modèles d’action comme le community policing une politique qui vise à rapprocher la police de la population pour mieux répondre à ses attentes se sont diffusés dans le monde entier pour refonder l’usage démocratique de la force, la France a raté le tournant.

L’insularité policière est ensuite entretenue par les relations distendues qui existent en France avec le monde académique, alors que ce dernier joue dans d’autres pays comme le Canada ou les États-Unis un rôle essentiel de « passeur » de nouvelles approches, comme le montre l’exemple de la police dite communautaire, imaginée à l’origine par des chercheurs.

L’insularité renvoie enfin aux relations avec les citoyens : les enjeux de sécurité restent, en France, perçus comme « trop sensibles, importants ou sérieux pour être discutés, et plus encore décidés, avec la population ».

Une fracture profonde

Ce n’est sans doute pas un hasard si les mobilisations contre les violences policières ont rencontré un tel succès en France, témoignant d’une fracture profonde entre l’institution policière et des franges croissantes de la population.

Graffiti sur les murs d’Easton, Angleterre. Kirsty Hall/Flickr, CC BY-NC-ND

Le sentiment d’injustice et le rejet de l’opacité policière se sont cristallisés suite à la mort de Georges Floyd aux États-Unis en mai 2020 et aux mobilisations planétaires qui en ont découlé. En France, l’affaire fait écho à la mort d’Adama Traoré en 2016 et aux violences policières visant les minorités visibles.

La participation citoyenne, pour quoi faire et comment ?

A l’heure où l’expérimentation démocratique a le vent en poupe, la récente Convention citoyenne sur le climat pourrait servir de source d’inspiration pour faire avancer la délibération collective sur ces questions sensibles.

Les travaux sur la démocratie participative ont montré la plus-value de l’expertise profane et de l’intelligence collective pour « agir dans un monde incertain ».

Plusieurs expérimentations de conférences citoyennes « hybrides » sur les rapports police/population en région Auvergne-Rhône-Alpes et dans l’Yonne confirment que les habitants, du fait non seulement de leur expertise en tant qu’utilisateurs du service public, mais aussi de leur qualité de citoyen, ont des choses pertinentes à dire sur la sécurité.

Le risque d’instrumentalisation

Une critique récurrente à l’égard des dispositifs délibératifs est cependant qu’ils se limitent souvent à un rôle purement consultatif, au risque d’instrumentaliser la parole des citoyens.

C’est dans ce cadre limité qu’a par exemple eu lieu une « conférence des citoyens » organisée par le Ministère de l’Intérieur pour contribuer à l’écriture du Livre blanc de la sécurité intérieure en janvier 2020.

Le chantier « police-population » devrait figurer dans les priorités du nouveau ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, ici en visite à Calais le 12 juillet. Denis Charlet/AFP

Cet exercice diversement apprécié par les participants n’a débouché sur rien de concret, le Livre blanc n’ayant fait à ce jour l’objet d’aucune présentation officielle.

Apprendre et débattre

Une expérimentation plus ambitieuse se donnerait les moyens d’être suivie par une commission parlementaire, et plus encore par des décisions réglementaires et législatives voire un référendum permettant la mise en œuvre des propositions.

Des citoyens « profanes » choisis par tirage au sort débattraient, pendant plusieurs mois, des arguments d’intervenants aux profils, idées et approches diversifiés : experts, représentants de la police et de la gendarmerie, associations et organismes de défense des droits, chercheurs, etc.

Un tel processus, transparent et délibératif, permettrait de proposer une série de mesures visant à renouveler la « boîte à outils » de l’action publique.

Quelques pistes de thématiques en prise avec les mobilisations actuelles et avec les propositions issues de la conférence citoyenne de consensus de Vaulx-en-Velin peuvent être envisagées à ce stade.

Des pistes concrètes

De nombreuses enquêtes ont montré qu’une réflexion sur les « styles de police » et les modes d’action était nécessaire.

La France se singularise de certains de ses voisins européens par le recours fréquent aux contrôles d’identité, qui sont au cœur de nombreuses controverses.

Que produisent réellement les contrôles d’identité ? Quelle efficacité pénale – 97 % des contrôles ne se concluent par aucune suite judiciaire – et quelles discriminations ces contrôles génèrent-ils, en sus de nourrir la peur et la défiance à l’égard de la police ? Une question que pourrait soulever une telle convention citoyenne serait ainsi celle du maintien ou non des contrôles d’identité, au-delà de la systématisation de l’enregistrement des contrôles par les caméras piétons annoncée le 14 juillet 2020 par le président de la République.

Des techniques à discuter

La question des techniques d’intervention et de leurs effets (clé d’étranglement, placage ventral, etc.) mérite aussi d’être explorée collectivement en faisant appel à des expertises pluralistes (policiers, chercheurs, associations, etc.) et en explorant les pratiques d’autres pays comme la Grande-Bretagne.

Alors que dans le domaine du maintien de l’ordre le ministère de l’Intérieur travaille à l’élaboration d’une doctrine qui viendrait préciser les principes de la gestion des foules, les relations police-population ne font pas, à ce jour, l’objet d’une telle réflexion.

La confiance des citoyens envers la police est pourtant une condition d’efficacité de celle-ci : en effet, le fait de percevoir ou non les manières de faire des policiers comme justes joue sur la propension à obéir à la loi et à coopérer avec la police

Plus de transparence

La transparence de l’action publique et la reddition de comptes méritent également d’être travaillées.

Certains services de police étrangers comme la police de Montréal ou de Toronto diffusent régulièrement le nombre de blessés et de tués au cours d’interventions policières, des données relatives à l’usage des armes, le nombre de plaintes visant des policiers ou encore le taux de poursuites, ce qui permet aux citoyens, aux chercheurs ou aux médias d’exercer une vigilance quant à l’usage de la force et à sa conformité aux règles déontologiques et professionnelles.

Des policiers s’agenouillent à Montréal, Canada, le 7 juin 2020, lors d’une manifestation contre les violences policières. Martin Ouellet-Diotte/AFP

Or, en France, l’accès à des données exhaustives demeure au bon vouloir des institutions, ce qui contribue à entretenir la défiance.

Et si on commençait par expérimenter au niveau local ?

Pour nourrir la réflexion collective, la convention citoyenne pourrait aller de pair avec des expérimentations au niveau local impliquant tous les acteurs de la sécurité : forces de police, maires, associations, citoyens, etc.

Le droit à l’expérimentation, constitutionnalisé depuis 2003, vise à favoriser l’innovation à partir des collectivités territoriales en s’appuyant sur des évaluations scientifiques rigoureuses.

Les élus locaux ne s’en sont guère saisis jusqu’à présent relevait la Gazette des communes en 2016.

L’expérimentation constitue pourtant un gage d’efficacité et « un vecteur d’adhésion : en effet, elle permet de dissiper les craintes et de lever les réticences que suscite toute perspective de changement ».

C’est ce que suggère par exemple l’expérimentation en cours du dispositif « Territoires zéro chômeur de longue durée ». Cette expérimentation propose de partir des compétences des chômeurs de longue durée sur un territoire pour développer une offre d’activités socialement utiles mais non couvertes par l’économie locale.

Penser à des modes d’action alternatifs

S’agissant de la sécurité, l’expérimentation de modes d’action alternatifs comme la médiation, la prévention, le dialogue police-population, le partenariat interinstitutionnel ou encore la désescalade pourrait être menée dans des communes volontaires et suivie sur chaque territoire par des groupes de citoyens tirés au sort, ainsi que par des chercheurs.

Ces expérimentations doivent pouvoir être évaluées localement et nationalement en concertation entre forces de sécurité, élus, citoyens et associations.

Ce circuit démocratique à front renversé misant sur l’intelligence collective et les capacités d’innovation de nouveaux exécutifs municipaux volontaristes permettrait de territorialiser davantage les politiques de sécurité, voire de préfigurer l’avènement d’une VIᵉ République incluant une chambre tirée au sort, dotée d’un réel pouvoir législatif.


Les travaux sur la recherche participative entre policiers et citoyens ont fait l’objet d’un prix de la Fondation de France. Premier réseau de philanthropie en France, la Fondation de France réunit depuis 50 ans et sur tous les territoires, des donateurs, des fondateurs, des bénévoles et des acteurs de terrain.

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