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Enseignants-chercheurs en médecine générale : « L’obligation vaccinale est une mauvaise solution »

Vaccination d'un nourrisson (photo d'illustration). De Africa studio/Shutterstock

Le premier ministre a annoncé, le 4 juillet, son intention de rendre obligatoire onze vaccins pour la petite enfance - trois d’entre eux l’étant déjà. Il a ainsi entériné les propositions émises par la ministre de la Santé. Un texte de loi doit être présenté dans ce sens devant le Parlement à la fin de l’année.

Les universitaires de médecine générale, par la voix du Collège national des généralistes enseignants (CNGE) regroupant 8 500 médecins enseignants et maîtres de stage, prennent position contre cet élargissement de l’obligation vaccinale. Avec le conseil scientifique du CNGE, nous estimons qu’il s’agit d’une mauvaise solution, inapte à régler le problème de l’insuffisance de la couverture vaccinale en France.

En effet, l’obligation, qui peut être perçue par les citoyens comme une réaction autoritariste, risque d’être contre-productive. Cette stratégie est de nature à renforcer la défiance d’une partie de la population, en plus d’apparaître décalée par rapport aux évolutions sociétales allant dans le sens d’une plus grande autonomie des patients.

BCG facultatif, pas de recrudescence des tuberculoses

Aucun élément scientifique ne plaide en faveur d’une efficacité de l’obligation. D’autres pays européens comparables à la France ont, sans cette contrainte, des taux de couverture vaccinale équivalents ou supérieurs. Quant à l’option inverse, une levée totale de l’obligation, elle ne semble pas comporter de risque particulier. Il existe un précédent encourageant en France avec le vaccin contre la tuberculose, le BCG, rendu facultatif en 2007. Ce changement ne s’est pas accompagné d’une recrudescence des tuberculoses graves chez l’enfant.

Historiquement, la vaccination a permis des succès considérables. On peut lui attribuer l’éradication de la variole dans le monde, la quasi disparition de la poliomyélite, la régression spectaculaire du tétanos, de la diphtérie mais aussi de la rougeole et de la coqueluche, maladies infectieuses aux bilans autrefois effrayants en termes de morbidité et de mortalité.

La vaccination bénéficie d’une aura considérable dans le corps médical en France, pays de Louis Pasteur. Les médecins généralistes sont attachés de manière ultra majoritaire aux vaccinations recommandées et au respect du calendrier vaccinal. Quant aux patients, ils accordent une grande confiance à leurs médecins traitants. Un contexte plutôt favorable, a priori, à une bonne couverture vaccinale.

Le vaccin contre l’hépatite B accusé, à tort, d’effets indésirables graves

Cependant, une partie de la population manifeste depuis plusieurs années une défiance vis-à-vis des vaccins. Ce sentiment complexe trouve ses racines dans des phénomènes d’origines variées. Il y a d’abord l’héritage de la campagne de vaccination systématique contre l’hépatite B en milieu scolaire menée de 1994 à 1997. Abandonnée après de longues polémiques sur son innocuité, elle s’est soldée par un doute durable vis à vis de ce vaccin accusé, à tort, d’une pléiade d’effets indésirables graves.

Ensuite, les principes vaccinaux en vigueur sont difficilement compréhensibles car déconnectés de l’utilité réelle de chacun des vaccins. Les trois vaccins « historiques », contre le tétanos, la polio et la diphtérie, sont obligatoires. Les autres, plus récents, sont seulement recommandés alors qu’ils sont les plus importants durant la petite enfance. Il s’agit des vaccins anti pneumocoque, hémophilus, coqueluche, méningocoque et rougeole.

La campagne de vaccination contre la grippe H1N1, en 2009 et 2010, est venue elle aussi alimenter la défiance. Anxiogène et inadaptée, cette opération a déconsidéré la parole d’institutions qui avaient surestimé la gravité de l’épidémie. Enfin, la révélation de liens d’intérêts entre certains promoteurs de la vaccination et les industriels du secteur, par exemple pour le vaccin contre le papillomavirus, responsable de cancers du col de l’utérus, est venue aggraver la défiance.

La France, la plus méfiante parmi 67 pays

Les mouvements anti vaccinaux se sont nourris des erreurs précédemment citées, faisant basculer dans le doute une part croissante de la population au cours des quinze dernières années. Aujourd’hui, la France est le pays où le doute sur la vaccination est le plus important au monde, selon l’étude portant sur 67 pays publiée en 2016.

Cette situation aboutit à une couverture vaccinale que les autorités sanitaires estiment insuffisante. Pour obtenir un effet protecteur généralisé à l’échelle d’un pays, l’objectif - validé par la communauté scientifique - est de vacciner plus de 95 % de la population cible.

Examinons les chiffres les plus récents, ceux de 2015. En France, ils sont de 98,9 % pour la primovaccination obligatoire anti tétanos, diphtérie, polio et de 96,7 % pour le rappel. Ils sont équivalents pour la coqueluche, 98,6 % et 96,3 %. Ils sont moins importants pour le vaccin anti pneumocoque, avec une population vaccinée à 91,4 %, et à 90,5 % pour le vaccin anti rougeole/rubéole/oreillons. Mais ces vaccins sont plus récents et leur taux de couverture croît d’année en année en dépit du contexte difficile énoncé plus haut - même si cette croissance est maintenant très lente.

La dramatisation autour de l’enjeu d’une couverture supérieure à 95 % de la population peut sembler surprenante. Le premier ministre a évoqué, dans son discours de politique générale, la situation de la rougeole, considérant celle-ci comme inadmissible. Il faut préciser que l’épidémie de rougeole a été à l’origine ces dix dernières années, en moyenne, d’un cas de décès par an sur toute la France. De plus, la majorité des victimes étaient des enfants souffrant déjà d’un déficit immunitaire contre indiquant de fait cette vaccination - qui, par ailleurs, ne protège pas parfaitement les enfants vaccinés.

Un rapport bénéfices risques favorable pour l’ensemble des vaccins de la petite enfance

Les vaccins conseillés dans la petite enfance ont tous un rapport favorable entre leurs bénéfices et leurs inconvénients, même si celui-ci s’avère plus ou moins élevé selon le vaccin. Les données actuelles de la science plaident clairement pour l’utilisation de l’ensemble d’entre eux. Ils permettent d’éviter des évolutions plus sévères, plus ou moins fréquentes selon les maladies ciblées, ou la ré-émergence de maladies gravissimes disparues en France. Ainsi, notre prise de position contre l’obligation vaccinale ne tient pas à un jugement négatif sur le fond (l’utilité des vaccins) mais sur la méthode (la coercition).

Le premier ministre, donc, a déclaré vouloir rendre obligatoire onze vaccins pour les enfants de moins de deux ans. Sa proposition s’appuie sur l’avis du Comité d’orientation chargé de rédiger la synthèse de la concertation citoyenne qui s’est tenue sur la vaccination l’an dernier. A ce stade, il paraît utile de rappeler que ce n’est pas l’extension de l’obligation vaccinale mais au contraire, sa levée qui avait été privilégiée par le jury réunissant des professionnels de santé et par la moitié du jury des citoyens, comme indiqué dans le rapport.

Mais pourquoi donc, au fond, les citoyens acceptent-ils les vaccinations ? Pour deux raisons principales, selon une synthèse internationale récente : parce que celles-ci figurent dans les recommandations officielles, et parce qu’elles leur sont conseillées par un professionnel de santé. C’est donc la confiance des citoyens envers les autorités de santé qu’il faut se préoccuper de rétablir. On manque d’une politique publique d’ensemble en faveur des vaccinations, en particulier d’une campagne d’information et d’incitation pour les vaccins de la petite enfance. Les médecins se retrouvent en effet bien seuls au moment de les proposer aux parents… C’est une explication, pour partie, à la faible couverture des vaccins recommandés ces dernières années, comme le vaccin anti méningocoque C.

Rétablir la confiance par la contrainte ?

La ministre de la Santé manifeste maintenant la volonté de promouvoir la vaccination et nous saluons cet engagement. Cependant, il est pour le moins paradoxal de prétendre rétablir la confiance de la population par la contrainte. D’autant que le citoyen a pris au fil des ans une place croissante dans la gestion de sa propre santé, encouragé par le principe d’autonomie inscrit dans la loi de 2002 relative aux droits des patients. La décision partagée entre médecin et patient, comme la démarche de soins centrée sur le patient, sont maintenant largement promues dans la littérature scientifique et par la Haute autorité de santé (HAS).

Une exception à ces principes gravés dans la loi pourrait toutefois se justifier s’il existait une crise sanitaire ou un risque épidémiologique important. Ce qui n’est pas le cas. D’autres situations sanitaires pourtant bien plus dangereuses n’entraînent pas, et ce à juste titre, une posture aussi autoritaire que l’obligation vaccinale. Un exemple ? Plus de 25 000 personnes en France sont porteuses du virus du SIDA sans le savoir. Elles peuvent donc éventuellement contaminer d’autres personnes, notamment par voie sexuelle. Pourtant, les autorités sanitaires n’envisagent pas de mettre en place un dépistage obligatoire du VIH pour toute la population, ni une injonction de soins pour les personnes concernées.

Un autre exemple ? Près de 80 000 morts par an sont liés au tabagisme, avec une nocivité reconnue pour l’entourage des fumeurs notamment les jeunes enfants. Là non plus, l’urgence n’a pas conduit les autorités à imposer l’arrêt définitif et généralisé de la consommation de tabac. On le comprend, car de telles mesures seraient synonymes de la fin du libre arbitre des citoyens. Elles seraient considérées, avec raison, comme une dérive répressive sous couvert de santé publique.

La mort subite, l’autisme, les allergies risquent d’être attribués aux vaccins

Les effets contre-productifs d’un élargissement de l’obligation vaccinale sont prévisibles. Les maladies et les accidents qui surviennent ou se révèlent habituellement entre 0 et 2 ans, par exemple la mort subite, l’autisme, les allergies ou les maladie rares, risquent d’être attribués aux vaccins. Et quand une affaire sera portée en justice, au niveau français ou au niveau européen, la jurisprudence permet de prédire que l’Etat (toujours solvable) sera condamné en dépit de l’absence de lien de cause à effet, induisant toujours plus de confusion dans l’esprit des citoyens.

Aux yeux des médecins généralistes universitaires, il paraît logique de lever l’obligation vaccinale pour mettre fin à un héritage historique qui n’a plus de légitimité. La vaccination entrerait ainsi dans le droit commun de la santé. La vaccination étant une priorité de santé publique, il serait souhaitable d’organiser une grande campagne d’information associée à une formation des professionnels de santé. Mesures qui ont montré, avec les antibiotiques en 2012, qu’elles pouvaient induire un réel changement de comportement. Il nous semble que cette voie est celle de la raison et du progrès.

L’obligation ne peut que renforcer les postures anti vaccination. L’annonce des intentions du gouvernement entraîne déjà réactions et pétitions de mouvements anti vaccins qui profitent de cette erreur tactique pour donner plus d’importance à leurs croisades idéologiques. Demain, si l’obligation doit entrer en vigueur, certains parents chercheront à la contourner par tous les moyens. Les médecins de premier recours, bien souvent des généralistes, seront mis en position difficile avec des demandes de certificats de contre-indication ou de mention de vaccinations dans les carnets de santé alors que celles-ci n’ont pas été réalisées.

Des familles préféreront sortir leur progéniture du système scolaire classique

Les directeurs d’établissement scolaires se trouveront eux aussi sous la pression de parents demandant des exemption de vaccination pour que leurs enfants puissent être inscrits à l’école. Certaines familles préféreront sortir leur progéniture du système scolaire classique pour échapper à l’obligation vaccinale. Est-ce que cette obligation dont les bénéfices sont, au mieux, hypothétiques vaut vraiment tous ces risques ?

Obtenir une bonne couverture vaccinale est un objectif important. Il mérite mieux que l’affrontement annoncé d’une vision dirigiste et paternaliste de la santé avec les thèses complotistes anti vaccinales. Dans une vision éthique et progressiste, l’information délivrée par les tutelles et les professionnels devrait être cohérente. Elle devrait s’appuyer sur une évaluation scientifique indépendante des bénéfices et risques de chaque vaccin, qui reste à produire. C’est à cette condition que nous pourrons, ensemble, convaincre l’immense majorité des citoyens du bien fondé d’une politique vaccinale protectrice de la santé de chacun.

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