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Aux États-Unis, la féroce concurrence entre les cabinets d’avocats favorise la mixité

Un homme et une femme d'affaires se serrent la main.
Les efforts en matière de diversité des genres se concentrent encore aujourd’hui généralement au bas de l’organigramme. Amtec Photos/Flickr, CC BY-SA

Dans les cabinets d’avocats américains, les efforts visant à favoriser la diversité des genres ne sont pas seulement motivés par un désir d’équité, mais aussi par la nécessité de détourner certains clients des cabinets adverses.

En effet, si les femmes sont bien représentées dans les hauts rangs des clients des cabinets concurrents, les cabinets d’avocats augmentent à leur tour la part de femmes dans leurs rangs. Mais lorsque la mixité professionnelle est moins susceptible d’attirer des clients, les cabinets d’avocats réduisent leurs efforts en matière de parité interne.

On observe que les femmes sont de plus en plus présentes aux postes de direction des entreprises, une tendance que beaucoup considèrent comme une compensation des discriminations passées et un pas de plus vers l’égalité des sexes.

Mais quelle que soit l’importance que les cabinets accordent au changement social, il n’en reste pas moins qu’une guerre commerciale acharnée les oppose à leurs concurrents. C’est le cas notamment des grands cabinets d’affaires américains, dont la survie et la prospérité reposent sur une liste de clients importants ayant des besoins récurrents de leurs services, ce qui implique souvent de détourner d’autres clients de leurs avocats actuels.

Comme le révèle notre étude (menée avec Lionel Paolella de l’université de Cambridge) portant sur 167 grands cabinets d’avocats américains et 1 400 acheteurs de services juridiques, ces deux motivations ne s’opposent pas forcément. Au contraire, la concurrence commerciale peut réellement inciter les cabinets d’avocats à renforcer la représentation des femmes dans leurs rangs si leurs prospects en font de même.

Cependant, cette féminisation liée à la concurrence n’est pas si positive pour les femmes, car les efforts déployés par les cabinets d’avocats pour renforcer la parité faiblissent dès que les possibilités d’attirer de nouveaux acheteurs de services juridiques s’amenuisent. Le même phénomène se produit lorsque les cabinets misent sur la diversité raciale et non sexuelle.

La motivation à faire bien n’est pas suffisante

Dans les faits, ce qui motive les efforts en matière de diversité professionnelle va donc au-delà d’un simple engagement de rééquilibrer le pouvoir en faveur de population sous-représentées aux postes clés. Les avocats et les cabinets juridiques, après tout, sont soumis aux mêmes pressions que les autres entreprises.

Par ailleurs, les efforts en matière de diversité des genres se concentrent souvent au bas de l’organigramme. Les cabinets disposent de comités de la diversité qui influencent leurs pratiques de recrutement, et au moment d’embaucher de nouveaux collaborateurs issus des facultés de droit, la répartition est relativement égale entre les hommes et les femmes.

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Mais là où le bât blesse, c’est lorsque cette proportion n’est pas maintenue dans le reste de l’organisation, notamment au niveau des principaux associés. En effet, on constate une chute de la diversité, avec 50 % de femmes collaboratrices contre moins de 20 % de femmes associées. Nous avons aussi observé que la diversité professionnelle au sein des cabinets d’avocats progresse beaucoup moins vite que chez leurs clients.

On peut donc se demander pourquoi les cabinets d’avocats ne comptent davantage de femmes à leur tête. Est-ce un choix stratégique ? Est-ce motivé par le marché ? Si tel est le cas, quel est l’impact de ce changement ?

Des perspectives portées par la concurrence

Le secteur juridique constitue un bon indicateur de la façon dont les entreprises répondent aux attentes de diversité professionnelle de leurs clients et de l’avantage concurrentiel qu’elles en retirent. Les revenus et la réputation des cabinets d’avocats dépendent des acheteurs de leurs services. Or, bien que les clients choisissent un cabinet plutôt qu’un autre en fonction de plusieurs critères (expertise dans leur secteur ou références), la diversité des genres fait de plus en plus partie de leurs exigences.

Il y a quelques années, des entreprises de premier plan avaient même publié ensemble un « Appel à l’action » pour signifier aux cabinets d’avocats qu’elles orienteraient leurs dépenses vers les cabinets qui prennent la diversité au sérieux.

Nous avons donc émis l’hypothèse que la mixité est effectivement aiguillonnée, au moins en partie, par la concurrence. Un cabinet d’avocats qui veut inciter un gros client d’un concurrent à le délaisser pour se tourner vers lui à la place observera le nombre de femmes à des postes à responsabilité chez ce client potentiel et essaiera de se rapprocher de ce taux de mixité afin de le rejoindre sur ce plan. Mais si la parité est moins respectée chez ce client potentiel, la pression en matière de mixité sera moindre. Perçue sous cet angle, la diversité des genres devient à la fois stratégique et cruciale.

Nous avons également réfléchi aux autres facteurs susceptibles d’inciter les cabinets d’avocats à accroître ou non leur diversité. Les avantages de la diversité pour les organisations ont fait l’objet de nombreuses publications. Au lieu d’essayer de ressembler à leurs clients, par exemple, il pourrait sembler pertinent, du point de vue des ressources humaines, de favoriser l’égalité hommes-femmes pour disposer d’un meilleur vivier de talents, avec des connaissances et des approches plus variées, ainsi que davantage de compétences. Mais si cette stratégie était le principal moteur, la diversité interne ne serait pas aussi fortement influencée par celle des clients.

En effet, nous avons constaté que plus les clients des cabinets adverses manifestent leur parti pris pour la diversité, plus les cabinets juridiques essaient de s’aligner sur les préférences des clients. L’un des principaux facteurs de diversification est donc la concurrence. C’est ce qui compte vraiment, plus que le développement du capital humain (on peut pourtant penser que ces cabinets comptent d’excellents juristes !).

Aussi, si la principale motivation de la diversité professionnelle était essentiellement sociétale, l’effet de la concurrence ne serait pas aussi marqué. Il faut dire que, pour obtenir un avantage concurrentiel, il faut essayer d’arracher des clients à d’autres cabinets, généralement les plus proches et les plus puissants. Donc la réponse doit être forte.

Que conclure de ces constats ?

L’un des points clés de cette étude est que nous démontrons empiriquement un lien étroit entre la diversité des genres et la concurrence, et l’alignement sur les préférences des clients de ses rivaux. Il s’agit d’une manœuvre stratégique à laquelle il a été fait allusion dans certaines publications passées, mais qui n’avait jamais vraiment été démontrée jusqu’à présent.

Les dirigeants envisagent la diversité des genres comme un levier d’amélioration de leur position sur le marché parmi d’autres. Au-delà des connaissances, les compétences et les capacités de chacun, les responsables doivent constituer un capital humain et un vivier de talents tels qu’ils leur confèrent un atout sur le marché. La volonté de disposer d’un vivier de collaborateurs reflétant la société ou les valeurs de la société est plutôt une bonne chose.

Les recherches sur le lien entre la concurrence et l’égalité hommes-femmes devront être approfondies. À ce stade, nous ne savons pas si ce lien existe aussi en dehors des services professionnels, ni dans quelle mesure il s’appliquerait, par exemple, au secteur industriel, où la responsabilité sociale des entreprises s’oriente peut-être davantage vers la transition vers les énergies renouvelables ou la lutte contre les discriminations.

Quoi qu’il en soit, cet article démontre que la concurrence entre prestataires de services aux entreprises, secteur traditionnellement masculin, accroît la féminisation des postes à responsabilité – et ce en réponse à la féminisation des états majors de leurs clients.

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