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Et si les citoyens participaient aux référendums initiés par le président ?

Emmanuel Macron rencontre des élus locaux en Corse le 4 avril 2019 lors du Grand débat national.
Emmanuel Macron rencontre des élus locaux en Corse le 4 avril 2019 lors du Grand débat national. Ludovic Marin / AFP

Le premier mandat d’Emmanuel Macron, par rapport à ceux de ses prédécesseurs, a eu la particularité de voir monter une critique de la verticalité des institutions de la Ve République et de la toute-puissance présidentielle, dont a témoigné, entre autres, le mouvement des « gilets jaunes ». Cette critique s’est en quelque sorte matérialisée dans les résultats des législatives. Alors que depuis l’alignement des deux élections consécutif à la réforme de 2000, les Français avaient plutôt semblé considérer qu’il fallait donner au président venant d’être élu une majorité pour gouverner, il semble qu’ils aient voulu cette fois obtenir le résultat inverse : obliger l’hôte de l’Élysée, en lui refusant la majorité absolue à laquelle il aspirait, à composer avec les forces politiques.

Dans ce contexte, on peut aussi spéculer sur le recours au référendum présidentiel prévu par l’article 11 de la constitution, qui permet au chef de l’État, sur proposition du premier ministre (ou des assemblées), de soumettre directement au peuple un projet de loi. Le président réélu en avril pourrait être tenté d’en faire un usage minoritaire, en l’absence d’une majorité parlementaire en faveur d’un texte, un peu à la manière de Gaulle au début de la Vᵉ République, et plus encore en l’absence, amplifiée par un taux d’abstention hors-normes aux dernières élections législatives, d’une majorité dans le pays – ce qui est sans doute ici une différence avec le fondateur de la Ve République. Il s’agirait alors d’assurer une légitimité plus forte à certaines réformes difficiles.

Exclure catégoriquement la révision de la constitution par l’article 11

Il n’est pas souhaitable en revanche que l’article 11 soit utilisé pour réviser la constitution. On touche ici à un débat récurrent sous la Ve République, qui commença avec le recours à deux reprises par le général de Gaulle à cet article pour modifier le texte de 1958. La première fois, avec succès, en 1962, pour introduire l’élection directe par les Français du président de la République (le texte de 1958 prévoyait son élection par un collège d’environ 80 000 élus) ; la seconde fois en 1969, après les événements de mai 1968, pour réaliser une double réforme du Sénat et des régions censée répondre aux aspirations du mouvement de contestation.

Fatigués de Gaulle, les Français répondirent cette fois par la négative, sachant qu’un échec entraînerait la démission de l’intéressé, ce qui se produit effectivement, mettant fin à la carrière politique du grand homme.

Rappelons en effet qu’il n’y a qu’une seule procédure de révision constitutionnelle prévue par la constitution, celle de l’article 89, qui dispose qu’un texte doit être voté en termes identiques par l’Assemblée nationale et le Sénat et soit ensuite soumis au référendum sauf si le président de la République décide de le soumettre au Congrès (qui doit alors l’approuver à la majorité des 3/5).


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À l’exception des gaullistes, les partis s’étaient unanimement élevés contre l’usage de l’article 11 pour réformer la constitution en 1962. Le président du Sénat de l’époque, Gaston Monnerville, parla d’acte de forfaiture et l’Assemblée nationale vota la censure du gouvernement Pompidou, coupable d’avoir proposé le référendum au président de la République.

Les partis étaient évidemment défavorables à l’élection directe du chef de l’État, qui les dépossédait d’une prérogative. C’est ce qui explique que le général de Gaulle n’ait pas recouru à l’article 89, qui aurait supposé une approbation préalable de la réforme par le parlement. Mais les juristes condamnèrent tout autant ce qui était à leurs yeux un détournement de procédure.

Pour autant, saisi pour contrôler la constitutionnalité de la loi référendaire, le Conseil constitutionnel se déclara incompétent, estimant qu’il ne pouvait se prononcer que sur des lois votées par le parlement. Le problème qui se posait était celui du moment du contrôle de la part, en outre, d’une institution (le tout jeune Conseil constitutionnel) disposant d’une faible légitimité. Ce dernier ne s’était pas encore affirmé à l’époque comme gardien de la constitution. Le vote référendaire approuvant la réforme a ainsi été considéré comme légitimant a posteriori le recours à l’article 11.

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La protection de la constitution

Une telle pratique n’est plus du tout admissible aujourd’hui. La France est une démocratie constitutionnelle qui s’est engagée dans le respect de la prééminence du droit. Si une procédure spéciale, plus lourde que pour la loi ordinaire, est prévue pour réviser la constitution, comme c’est le cas dans la plupart des autres démocraties, cette procédure doit être respectée car elle sert précisément à empêcher que l’on ne modifie trop facilement la constitution et s’en prenne notamment à des libertés et des droits qu’elle garantit.

L’hypothèse d’un recours à l’article 11 pour réformer la constitution a ressurgi dans le débat public lors de la dernière campagne présidentielle après que certains candidats, notamment d’extrême droite, aient annoncé qu’ils pourraient l’envisager. À juste titre, la plupart des juristes ont estimé que la jurisprudence du Conseil constitutionnel depuis 2000 indiquait que celui-ci pourrait bloquer un tel usage. En effet, à l’occasion du référendum sur la révision de l’article 6 de la constitution, relatif à la durée du mandat présidentiel (passage du septennat au quinquennat), correctement engagé dans le cadre de la procédure de l’article 89, le Conseil constitutionnel a accepté de contrôler les actes préparatoires à l’organisation d’un référendum, dans le cadre des compétences qu’il tient de l’article 60 de la constitution.

Traité européen 2005 : la France se prononce contre lors du referendum.

Cinq ans plus tard, il était amené à se prononcer sur la constitutionnalité du décret convoquant le référendum sur le projet de loi de ratification du Traité constitutionnel européen, qui intervenait cette fois dans le cadre de l’article 11. Interrogé notamment sur la conformité du Traité à la Charte de l’environnement, qui venait juste d’être insérée dans la constitution, il ne s’est pas clairement déclaré incompétent et a même considéré qu’« en tout état de cause » le traité n’était pas contraire à la Charte. Ce qui montre que, bien que restant très évasif sur l’étendue de sa compétence, il pourrait à l’occasion de ce contrôle des actes préparatoires à tout référendum, considérer que la procédure normale de révision de la constitution n’est pas respectée.

On ne saurait pour autant conclure de cette jurisprudence que le président de la République est désormais contrôlé dans son usage de l’article 11 et ne pourrait plus l’utiliser pour réformer la constitution. Seule une révision de cet article faisant apparaître explicitement l’interdiction de réviser la constitution par son biais et introduisant un véritable contrôle préventif par le Conseil constitutionnel de conformité du projet de loi au cadre formel et matériel prévu par la constitution peut offrir une telle garantie.

Il reste qu’une révision constitutionnelle se doit de passer par l’article 89, qui requiert a minima une approbation parlementaire de la majorité des membres de chaque Chambre. Dans le contexte actuel d’absence de majorité et de polarisation extrême des forces politiques, les chances d’aboutissement d’une réforme de l’article 11 apparaissent donc minces. Rappelons que sous la législature précédente, bien que doté d’une majorité écrasante à l’Assemblée nationale, Emmanuel Macron n’avait pu mener à bien ses deux projets successifs de réforme institutionnelle faute d’un soutien du Sénat.


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Mieux associer les citoyens au référendum présidentiel ?

Le véritable enjeu de ce quinquennat est plutôt un usage rénové, impliquant plus les citoyens, du référendum présidentiel. Celui-ci s’est vu souvent reproché, à juste titre, son caractère trop personnalisé et le glissement d’enjeu qui en résulte.

Cela est évidemment dû au fait que le président est le seul à pouvoir, selon les termes de l’article 11, décider d’organiser un référendum, qui plus est, exclusivement sur un projet de loi. Une réforme de l’objet du référendum présidentiel ne devrait sans doute pas se limiter à écarter les révisions constitutionnelles de son champ. Elle devrait, a contrario, élargir cet objet en permettant qu’il ne porte pas seulement sur des projets de loi mais aussi sur des propositions de loi d’initiative citoyenne, telles que celles émanant d’assemblées de citoyens tirés au sort, à l’égard desquelles l’actuel président a montré son intérêt en organisant la Convention citoyenne sur le climat.

Actuellement le chef d’État n’a d’autre choix que de reprendre à son compte une proposition législative d’une telle assemblée pour pouvoir la soumettre au peuple par l’article 11, ce qui est propice au glissement d’enjeu sur sa personne.

Convention citoyenne pour le climat, portraits, France 3.

En Islande, ou une convention de citoyens tirés au sort a élaboré un projet de réforme de la constitution en 2010, dont les principales propositions ont ensuite été reprises par un comité de réforme de la constitution élu en 2011, le gouvernement a soumis les principaux points de ce projet (sous forme de questions générales) au vote consultatif des citoyens. De même en Irlande, les amendements de la constitution préconisés par la « Convention constitutionnelle » (composée de citoyens tirés au sort et d’élus) en 2012, puis par l’« Assemblée de citoyens » (exclusivement composée de citoyens tirés au sort) en 2016, qui furent soumis au référendum et aboutirent notamment à la légalisation du mariage entre personnes du même sexe et de l’avortement, avaient été approuvés au préalable par le parlement mais apparaissaient bien comme émanant de ces assemblées. Les expériences de ce type ont tendu à se multiplier ces dernières années et comportent de plus en plus souvent des référendums).

Ici aussi cependant, il est illusoire de croire que le parlement en fonction puisse approuver une révision. Un éventuel référendum sur une proposition formulée par une assemblée tirée au sort, ou comportant des citoyens tirés au sort, devra se présenter formellement comme un référendum sur un projet de loi de l’exécutif.

De nouvelles expérimentations citoyennes ?

En l’absence d’une réforme de l’article 11, on peut néanmoins suggérer qu’un éventuel recours à un référendum législatif par le président de la République s’accompagne d’une innovation ne nécessitant aucune révision de cet article, et qui permettrait d’impliquer plus activement les citoyens dans la campagne référendaire. Il pourrait s’agir d’instituer en amont de celle-ci une chambre citoyenne tirée au sort, sur le modèle des commissions d’examen des initiatives citoyennes (« Citizens Initiative Review », CIR) mises en place dans l’Oregon et imitées dans d’autres États américains et qui sont actuellement objets d’expérimentations en Suisse et dans d’autres pays européens. Les CIR, qui émettent des avis sur les propositions référendaires, ont été jusqu’ici utilisés dans le cadre de référendums d’initiative populaire, mais rien n’empêche d’y recourir pour des référendums d’initiative présidentielle.


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Ces commissions seraient chargées d’étudier le projet de loi présidentiel et de livrer des analyses et recommandations au grand public en vue du vote. Leur avantage, dans la situation politique actuelle, serait d’offrir un point de vue sur un projet de loi soumis au vote – par exemple la réforme des retraites, la lutte contre le réchauffement climatique, etc. – dégagé des logiques de compétition et d’affrontement partisans qui font perdre de vue le sens de l’intérêt général et transforment le référendum présidentiel en vote pour ou contre le président.

Avec le grand débat national, puis la Convention citoyenne pour le climat, Emmanuel Macron a montré son intérêt pour des formules permettant de mieux intégrer les citoyens dans la prise de décision politique. Il a aussi récemment annoncé pour la seconde semaine de septembre l’institution d’un Conseil National de la Refondation (CNR), bien que l’on ne sache pas encore clairement si cette instance comportera ou non des citoyens tirés au sort aux côtés des représentants institutionnels et de la société civile. Il n’est pas totalement exclu de l’espérer.

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