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Main d'enfant couverte de peintures
L’éducation spécialisée est une pratique de médiation où la parole n'est pas nécessaire. Charles Parker/Pexels, CC BY-SA

Éducation spécialisée : permettre à l’enfant en souffrance psychique d’exprimer l’indicible

En conclusion de notre série « Santé mentale et soin psychique des enfants », nous publions deux articles présentant des pistes thérapeutiques explorant des voies complémentaires aux traitements médicamenteux et aux pratiques psychothérapeutiques : après les pratiques pédagogiques, voici l’éducation spécialisée.


De trop nombreux enfants et adolescents sont en souffrance, le constat est désormais bien établi en France et en Europe. 13 % des 6-11 ans scolarisés pourraient ainsi être touchés vient d’annoncer Santé publique France. En mars dernier, le rapport « Quand les enfants vont mal, comment les aider » du Haut conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA) alertait déjà sur cette douleur psychique des plus jeunes et insistait sur l’importance des pratiques psychothérapeutiques, éducatives et sociales pour les aider.

Parmi les dispositifs de première intention destinés à l’enfant et à l’adolescent, le rapport mentionne les pratiques d’éducation spécialisée qui, contrairement à la pédagogie des courants d’éducation populaire ou d’éducation nouvelle, sont peu connues du grand public. Nous allons en rappeler leurs spécificités et leurs usages, ainsi que leur modernité. Autant d’atouts qui en font des outils incontournables aujourd’hui.


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L’éducation spécialisée est un domaine du travail social à destination des personnes les plus vulnérables qui place la relation éducative au cœur de son action. Elle comprend de multiples champs d’intervention comme la psychiatrie, le handicap, l’aide sociale à l’enfance et la lutte contre l’exclusion. Contrairement aux idées reçues, elle se déploie aussi bien en milieu ordinaire qu’en institution, dans des accueils ponctuels ou au long cours, s’adaptant à chaque situation.

Le rôle de l’éducation spécialisée

La discipline, protéiforme, puise ses origines dans une longue tradition religieuse, humaniste et philanthropique. Ses principes et son organisation ont toutefois été radicalement transformés au XXᵉ siècle, dans l’immédiat après-guerre à l’appui des mouvements d’éducation populaire et de pédagogie nouvelle.

Elle a également bénéficié de l’essor des sciences humaines et sociales (sciences de l’éducation, psychologie, sociologie, anthropologie, psychanalyse et de leur influence dans les pratiques et les institutions du soin, de l’éducation et de l’intervention sociale – à l’instar de la psychothérapie et de la pédagogie institutionnelle par exemple.

Ces pratiques sont centrées sur la rencontre, l’accompagnement et la relation éducative avec une démarche éthique, réflexive et dans le respect de l’altérité. Cette relation s’élabore à partir de ce qui fonde le lien social : le langage, le savoir, la culture, le droit, les institutions, etc.

La relation éducative se conçoit d’abord comme espace de composition à l’usage de l’enfant : c’est un lien et un lieu où il peut déposer son histoire, ses plaintes, ses demandes ou ses symptômes. Tout ceci est accueilli et mis au travail afin de soutenir son éveil, son développement, ses apprentissages, son autonomie et sa socialisation – sans référence à un déterminisme, un discours ou des projets préétablis.

L’objet de la relation éducative n’est pas l’enfant, le savoir, la culture ni la technique, mais la relation elle-même, dont la fonction consiste dans l’accueil des mots et de la souffrance de l’enfant – y compris de ses symptômes, entendus comme des modes de dire.

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Sur quoi s’appuie l’éducation spécialisée ?

L’éducation spécialisée repose sur un certain nombre d’invariants, mais est avant tout une clinique des « petits riens du quotidien » qui s’oriente de ce que dit et manifeste chaque sujet, où chaque tâche, chaque objet traversant l’espace de la rencontre devient matière et support pour tisser la relation, prétexte à partir duquel le sujet va pouvoir être accompagné pour « dire », se mettre en récit, s’approprier et transformer son histoire.

Un enfant se prépare à dessiner sur une feuille blanche
Les ateliers sont un espace où l’enfant peut repenser et se réapproprier son histoire. SViktoria/Shutterstock

Elle est donc une pratique de parole, au quotidien ou au cours d’entretiens cliniques. Ces temps privilégiés ne sont pas des espaces de normalisation ou de suggestion : ils doivent permettre de saisir la singularité du texte de l’enfant, l’empreinte à partir de laquelle engager un travail de soin, d’éducation, de socialisation ou d’insertion.

La pédagogie, le rapport au savoir et les apprentissages font partie des tâches quotidiennes des éducateurs spécialisés. Au-delà de la stricte transmission des connaissances, il s’agit d’aménager une pédagogie qui interroge le rapport au savoir pour en faire l’enjeu d’un désir et favoriser l’avènement d’un savoir propre à l’enfant.

Une telle orientation implique de ne pas partir de programmes préétablis – les programmes scolaires par exemple –, mais du désir et des centres d’intérêt de l’enfant, à partir desquels une dynamique d’apprentissage peut être réamorcée.

Une pratique de médiation

L’éducation spécialisée est aussi une pratique de médiation : savoirs, travail, logement, soin, insertion, art(isanat), vie de classe ou vie quotidienne constituent autant d’objets sociaux jalonnant le travail de composition déployé au fil de la relation d’aide.

De sorte, les médiations éducatives couvrent un champ auquel la parole n’a pas nécessairement accès quand la parole apparaît douloureuse, empêchée, embrouillée, entravée, etc. Lorsque le langage procède du traumatisme, d’un forçage auquel le sujet ne peut pas répondre, la médiation consiste à inventer les espaces de représentation où chacun peut dire qui il est, ce qu’il ressent et ce qu’il pense au sein d’un espace protégé, voilé ou filtré par le détour de la médiation.

Les ateliers d’expression et de création deviennent un espace « métaphorique », l’occasion d’un pas de côté ouvrant la possibilité d’un « écart » de l’enfant à lui-même et aux évènements dont il a pâti, pour l’engager sur une voie d’avenir.

Cet exercice appelle une mise en mots, le déploiement d’un savoir et institue chaque professionnel dans une posture d’animateur – étymologiquement, insuffler de l’âme, de l’esprit, en soi, une position complexe au regard de situations d’errance, de rupture, de handicap et de souffrance psychique.

Une approche pluridisciplinaire et collective

L’éducateur spécialisé ne travaille jamais seul. Le travail d’équipe, soutenu et scandé par des réunions régulières, est incontournable dans l’élaboration du projet éducatif.

Au-delà des enjeux communicationnels et organisationnels, la réunion d’équipe consiste à produire un discours susceptible de soutenir le travail de composition de l’enfant dans son rapport aux autres et au monde : un lieu où l’on parle de l’enfant, de son rapport à l’enfant, où l’on soutient un discours lui offrant la possibilité de naître comme effet de ce discours.

La réunion clinique fonctionne également comme facteur de séparation d’un savoir supposé acquis sur l’enfant, pour laisser en suspens la place d’un savoir en attente.

Ce travail d’équipe appelle la mise en jeu d’un savoir spécifique régulièrement débattu et en évolution perpétuelle du fait des avancées de la clinique. Soigner et éduquer sont effectivement toujours des processus à réinventer.

Chaque membre de l’équipe apporte un regard différent et complémentaire selon sa fonction, sa spécialité, ses éprouvés ainsi que sa propre histoire et personnalité. La capacité de ce collectif permet également d’alimenter le dialogue avec les familles, d’accueillir leurs paroles, leurs apports, leurs attentes voire leurs angoisses.

Une pratique singulière et pleine de promesses

L’éducation spécialisée se rapporte à une éthique du cas par cas. Au-delà des prescriptions institutionnelles, normatives et sociales, l’éducateur garantit la prise en compte de la parole et de la singularité de l’enfant dans ses différents lieux de vie, d’apprentissage et de socialisation.

Face à la souffrance psychique croissante des enfants et des adolescents et au peu d’accessibilité de l’offre de soin, au risque de médication inadaptée, de standardisation des pratiques, les dispositifs d’éducation spécialisée présentent l’intérêt de soutenir des pratiques humanistes en ligne avec l’état de la recherche et les recommandations les plus récentes de l’Organisation mondiale de la santé en termes de soin, d’éducation, de prévention et d’accès au droit.

Dans la mesure où elles se consacrent à la dimension du lien dans des situations de souffrance psychique et de handicap où les relations à l’autre et au social sont devenues problématiques, voire impraticables, les pratiques d’éducation spécialisée contribuent de manière originale au soin et au prendre soin de l’enfant et de l’adolescent.


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