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Sommes-nous égaux face aux écrans en période de confinement ?

En mars 2020, une famille de Montlouis-sur-Loire se connecte au portail de leçons et devoirs en ligne. Guillaume Souvant / AFP

Faut-il rester joignable à tout moment ou débrancher de temps à autre son smartphone ? À partir de quel âge autoriser ses enfants à s’inscrire sur des réseaux sociaux ? Combien de temps les laisser surfer sur Internet ? Dans un monde numérique, ces questions se multiplient : les individus doivent constamment se positionner, faire des choix, se poser des limites quant à leurs communication et leur consommation d’informations en ligne.

En temps « normal », les parents et leurs enfants éprouvent déjà des difficultés à gérer ces usages, et l’on observe beaucoup de disparités entre les familles, du sentiment de maîtrise à la perte de contrôle totale.

En quoi l’expérience de confinement amplifie-t-elle ces inégalités ? Alors que l’autonomie passait auparavant par des actes de déconnexion, comment se traduit-elle quand la plupart des échanges avec l’extérieur dépendent des écrans ? À travers une enquête en ligne, nous avons recueilli les témoignages de familles confinées pour voir dans quelle mesure leur situation faisait évoluer les résultats de nos précédents travaux.

Télétravail commun

Dans une étude qualitative menée en 2019, les parents étaient nombreux à se plaindre des heures passées en ligne par leurs enfants. La connexion à Internet est en effet souvent perçue comme une perte de temps, parce que consacrée à des activités ludiques et au dialogue avec des amis et camarades.

Avec la continuité pédagogique qui est de mise en confinement, les parents sont obligés d’accepter que leurs enfants restent plus longtemps devant les écrans. Il en résulte que les conflits autour du numérique laissent place à une expérience commune du travail en ligne : « Depuis le début du confinement, nous sommes connectés sans arrêt, souligne un participant de l’enquête, père de 3 enfants. Nous sommes tous en télétravail ».

Pendant le confinement, elle présente la météo avec son fils (Le Huffington Post).

Les enfants doivent composer avec la présence de leurs frères, de leurs sœurs, et de leurs parents, qui doivent répondre simultanément aux exigences familiales et professionnelles. Les voilà confrontés à des enjeux similaires, dans un contexte qui est loin d’être égal d’un foyer à un autre, comment le relève Laura, 37 ans :

« Je dois me concentrer pour travailler, mais les voisins n’ont pas les mêmes préoccupations que moi. Eux, ils bricolent toute la journée. Est-ce vraiment possible dans ces conditions ? »

L’obligation de connecter à partir du foyer amplifie ainsi une première inégalité, en termes de conditions de travail, très difficile dans certains foyers tandis que d’autres familles bénéficieront du contexte idéal de leur lieu de vie privilégié.

Vague d’information

Le type de phénomènes que nous avions observé à la suite des attentats de 2015 s’exprime aussi à l’heure de l’épidémie. D’une part, le décompte des morts et l’incertitude qui s’installe amènent plusieurs parents à redouter une angoisse liée à une surcharge informationnelle, et donc à réguler l’accès aux flux d’actualité.

D’autre part, alors que l’horreur et le tragique inondent la toile, le parodique se manifeste et se répand, comme une résistance à l’inquiétude. Ainsi les contenus humoristiques, parfois cyniques, réintroduisent une prise de distance dans la communication numérique, comme le note Élodie, 41 ans :

« Je regarde souvent toutes blagues qu’on m’envoie sur WhatsApp et qui me font bien rire sur le confinement. »

Au-delà de l’humour, Internet dessine différentes pistes d’évasion, entre nouvelles recettes de cuisine, découvertes d’œuvre d’art en ligne, tutoriels pour découvrir de nouvelles pratiques sportives, etc.


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Une fois de plus, l’écart se creuse entre les familles trouvant les moyens d’éviter la surcharge informationnelle et celles succombant aux avantages « faciles » offertes par Internet car « ce n’est peut-être pas le meilleur passe-temps, reconnaît Mathieu, 40 ans, mais cela fait passer le temps, et rapidement ».

Le contexte du confinement amplifie ainsi une deuxième inégalité entre les familles arrivant à réguler le flux de l’information et celles qui arrivent moins bien à diversifier leurs usages. Certains se laisseront prendre aux jeux des rumeurs, tomberont dans le piège des « fake news », tandis que d’autres les mettront à distance, notamment sous le ton de l’humour.

Liens virtuels

Même chez les plus jeunes, en temps « normal », les rencontres en face à face sont largement préférées à la communication numérique qui prend surtout la forme d’échange de messages. Avec le confinement, le recours à la visio semble gagner en popularité. Une grand-mère, qui n’avait pas l’habitude d’utiliser la visio décide de lire le soir, en direct, une histoire à sa petite-fille. Un père séparé de son enfant prend le temps de discuter avec lui par écran interposés.

Des familles tournent de petits films pour les diffuser à leurs proches. Ainsi, non seulement assistons-nous à la multiplication des apéros en ligne et des performances artistiques à distance, mais aussi des milliers de personnes se retrouvent chaque soir au balcon pour applaudir les soignants, entendre un morceau de guitare, ou répondre à des quiz improvisés, témoignant de l’insuffisance du lien numérique.

Jessy Koch, violoniste de l’Orchestre symphonique de Mulhouse, le 28 mars 2020. Sébastien Bozon/AFP

Collectivement, nous nous rendons compte que la connexion n’est qu’un pansement sur une blessure. Mais certains semblent s’accommoder davantage des effets de coprésence induits par l’usage des écrans.

L’impossibilité de fêter un anniversaire de naissance ou de mariage, ou bien, dans une version plus tragique, de se rendre à un enterrement, amplifie une troisième inégalité entre les familles qui percevront dans le lien numérique la possibilité de maintenir a minima le lien et d’autres qui en vivront les limites avec brutalité.

Accompagner plus qu’équiper

Même lorsque les familles sont également équipées (ce qui n’est évidemment pas toujours le cas), la conciliation avec le travail, la gestion du flux d’une information anxiogène et la communication à distance rappellent que, derrière l’apparence d’une expérience collective du confinement, se cachent des expériences très différentes.


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Ainsi pouvons-nous penser que la manière dont est vécu le confinement dépend du lien que chacun entretient avec les technologies et de ses usages quotidiens. Équiper les familles, s’assurer de la connexion des élèves et des étudiants, donner un accès gratuit à des offres culturelles habituellement payantes ne peut gommer des inégalités qui tiennent beaucoup à la capacité de gérer et réguler les outils numériques.

Lorsque l’épisode tragique de l’épidémie sera derrière nous, ces inégalités continueront de départager les familles pour qui la connexion est une ressource de celles pour qui la connexion est un problème. L’éducation aux médias, et plus largement l’accompagnement des familles, est aussi une manière de travailler à la préservation de la santé de nos concitoyens.

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