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Nos systèmes alimentaires et agricoles sont en première ligne des défis climatiques, mais de nombreuses options existent pour aider à leur transformation. Shutterstock

Climat : nos systèmes alimentaires peuvent devenir plus efficaces, plus résilients et plus justes

À Paris, l’édition 2024 du Salon de l’Agriculture se déroule dans un contexte particulier, entre grogne des syndicats agricoles et colère des agriculteurs.

Pendant ce temps, le réchauffement planétaire continue de s’accentuer, et expose la production agricole à une augmentation des dommages dus à ses conséquences : intensification des vagues de chaleurs, sécheresses, pluies extrêmes

Comment y faire face ? Dans un récent rapport du Haut conseil pour le climat, nous montrons qu’il est possible d’accélérer la réduction des émissions de l’alimentation et de la production agricole, en protégeant l’avenir des agriculteurs et des consommateurs, notamment les plus vulnérables. Autrement dit, un cercle plus vertueux est possible.

L’agriculture en première ligne des défis climatiques

Chaque dixième de degré compte et expose la production agricole à une augmentation des dommages dus aux événements météorologiques extrêmes.

On les observe déjà en France, à travers l’intensification des sécheresses à l’origine de baisses de rendements pour les cultures (dont le blé, le maïs, et les fourrages). D’autant plus que les vagues de chaleur induisent un stress thermique et hydrique néfastes tant pour les cultures que pour les animaux.

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Le réchauffement rend également les semis et les récoltes plus précoces, ce qui les expose davantage aux gelées printanières ainsi qu’à certaines maladies, par exemple les maladies cryptogamiques (liées au développement de champignons) dans les vignobles. De la même façon, plusieurs maladies touchant les animaux d’élevage risquent de se développer à cause du réchauffement.

Les inondations, plus fréquentes du fait de l’élévation des températures, entraînent elles aussi de lourds dégâts, tant pour pour les sols, les cultures que le matériel agricole.

Hersage sur un terrain inondé. Irri Photos/Flickr, CC BY-NC-SA

Les dommages liés au changement climatique représentent déjà des surcoûts pour les agriculteurs et les assureurs qui ont des répercussions sur les prix et la sécurité de l’approvisionnement alimentaire.

Et ce n’est que le début : les conséquences du changement climatique sur les rendements des cultures et de l’élevage continueront de s’amplifier avec chaque incrément de réchauffement supplémentaire. Pour y faire face, il convient de combiner plusieurs transformations pour renforcer la résilience du système alimentaire et réduire son empreinte carbone.

Des systèmes alimentaires à transformer

Car pour l’heure, l’adaptation des activités agricoles aux effets négatifs du changement climatique est surtout réactive. Elle intervient en réponse à des sécheresses ou des inondations, mais n’anticipe pas les transformations des systèmes agricoles et alimentaires qui seront nécessaires au cours des prochaines décennies du fait de la hausse de la température planétaire. Par exemple, le déplacement des aires de production agroclimatiques et les conséquences de l’accélération de la montée du niveau de la mer.

Pour autant, les interventions pour répondre au changement climatique ne doivent pas cibler seulement l’agriculture, mais l’ensemble du système alimentaire. En effet, l’alimentation représente 22 % de l’empreinte carbone des Français, et cette empreinte carbone ne diminue qu’insuffisamment au regard des objectifs climatiques.

Bien que l’agriculture en France, comme dans les autres pays, représente 60 % de cette empreinte carbone, d’autres activités y contribuent de manière significative principalement par des émissions de CO2 :

  • la transformation des aliments est à l’origine de 6 à 18 % des émissions selon les méthodes,

  • le commerce et la restauration de 12 %,

  • le transport notamment routier de 6 à 14 %.

Les bovins sont de grands émetteurs de méthane, un gaz à effet de serre notoire. Pexels, CC BY

Pour limiter l’escalade des impacts climatiques, il est indispensable d’atteindre l’objectif de zéro émission nette de CO2 d’ici 2050 tous secteurs confondus.

Et cela, tout en réduisant fortement les émissions des autres gaz à effet de serre, comme le méthane, émis par l’élevage et la riziculture et le protoxyde d’azote émis par les sols fertilisés.

Cela implique de réduire l’ensemble des émissions du système alimentaire, dont l’agriculture, tout en renforçant le stockage de carbone dans les sols et dans la biomasse agroforestière.

Des freins systémiques à surpasser

Le problème, c’est que la structure et le fonctionnement du système alimentaire actuel freinent l’adoption de pratiques agricoles et alimentaires bas carbone. Cela limite aussi la possibilité de changements transformationnels, tant du côté agricole que du côté de l’évolution de l’alimentation des consommateurs.

D’un côté, la transformation des pratiques agricoles se heurte aux difficultés économiques des agriculteurs (pertes de production, inégalités et faiblesse des revenus de l’agriculture) et aux besoins de transferts de compétences (formation, accompagnement technique).


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De l’autre, les changements de régimes alimentaires sont fortement contraints par les environnements alimentaires proposés aux consommateurs, puisque les offres bas-carbone (par exemple, riches en protéines végétales) sont peu nombreuses, peu visibles et peu accessibles économiquement. Cela demande donc des efforts concertés des filières agricoles, des industries agroalimentaires et de la distribution.

Certains produits importés, comme la viande, contribuent fortement à ce qu’on appelle la déforestation importée. Ted Eytan/Flickr, CC BY-SA

En outre, une partie de cette offre alimentaire concerne des produits animaux importés, qui contribuent fortement à l’empreinte carbone de l’alimentation française, notamment via la déforestation importée.

Pour faciliter les changements, il est important de mobiliser l’ensemble du système alimentaire, des agriculteurs aux consommateurs, en passant aussi par l’agrofourniture, le conseil agricole, la formation, les coopératives, la transformation, la distribution et la restauration.

Or, les nombreuses interdépendances entre les maillons du système alimentaire, mais aussi la situation socio-économique du secteur (inflation alimentaire) et son organisation institutionnelle constituent d’importants freins au changement.

Cela concerne notamment les formes inégales du partage de la valeur au sein des filières, la concurrence internationale, la faiblesse des revenus agricoles, la structuration autour d’un nombre restreint de cultures et d’animaux et la concentration des acteurs de l’aval (industries agroalimentaires, distribution).


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Des options existent pourtant pour s’adapter au changement climatique tout en réduisant les gaz à effet de serre. Par exemple, la diversification des cultures permet de limiter les dommages en cas de sécheresse et cette diversification permet d’introduire des légumineuses (lentilles, pois…) qui ne nécessitent pas d’engrais azotés (moins de gaz à effet de serre émis) et qui renforcent l’offre de protéines végétales.

Toutefois, cette diversification nécessite le développement de nouvelles filières végétales, avec leurs silos et leurs usines de transformation. Elle implique aussi des changements en aval de la production pour mieux transformer et valoriser ces produits dans l’offre en matière d’alimentation.


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Un autre obstacle concerne la forte spécialisation des bassins de production. Dans les régions spécialisées en grandes cultures, les sols ne reçoivent pas assez d’azote organique issu de l’élevage et consomment beaucoup d’engrais de synthèse, alors que dans d’autres régions les élevages peinent à épandre leurs excédents d’azote organique. Ces déséquilibres régionaux contribuent aux pertes d’azote et aux émissions de protoxyde d’azote, un puissant gaz à effet de serre.

Enfin, le changement climatique comme les politiques de transition risquent de faire augmenter encore le coût de l’alimentation et d’accroître le risque de précarité alimentaire.

Par conséquent, on ne peut réduire les émissions de l’alimentation et de la production agricole sans protéger agriculteurs et consommateurs. Cela nécessite des mesures qui portent sur l’ensemble du système alimentaire dans un esprit de transition juste.

Des solutions agroécologiques à portée de main

Ces freins et verrous pourraient pourtant être levés. Il faudrait notamment :

  • revaloriser les revenus des agriculteurs et des éleveurs en difficulté pour soutenir et accompagner leurs changements de pratiques,

  • réorienter les dispositifs de soutien vers un cap à long terme de résilience au changement climatique, et de baisse des émissions nettes de gaz à effet de serre,

  • mobiliser les acteurs de la transformation, du stockage, du transport, de la distribution et de la restauration, afin de maîtriser l’empreinte carbone de l’alimentation.

De nombreuses options pour l’atténuation et l’adaptation au changement climatique peuvent être déployées de manière élargie dans toutes les composantes du système alimentaire. Elles concernent :

Ces options peuvent être déployées dans le cadre de la transition agroécologique afin de mobiliser les régulations écologiques (conservation des sols, renforcement de l’agrobiodiversité, complémentarités agriculture-élevage) au bénéfice de la production agricole, tout en bénéficiant d’approches technologiques (numérique, services climatiques)

La transformation des environnements alimentaires (l’environnement des consommateurs qui détermine les choix possibles), notamment la substitution de protéines animales par des protéines végétales, et la réduction du gaspillage à chaque étape sont nécessaires.


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Ces actions combinées auraient des effets vertueux, en permettant de diminuer la consommation de produits alimentaires intensifs en émissions, de réduire l’empreinte carbone de la production agricole tout en évitant l’importation de produits alimentaires avec des effets d’augmentation de l’empreinte carbone importée.

Enfin, une importante difficulté tient au fait que les politiques agricoles et alimentaires sont aujourd’hui peu mobilisées en appui aux politiques climatiques.

Un besoin de politiques plus engagées

Il est clair que seule une coordination des politiques concernant l’agriculture, l’alimentation, la santé publique, le climat, la qualité de l’eau et de l’air, et la biodiversité, permettra de mener ces transformations.

Celles-ci doivent être menées tout en protégeant les agriculteurs français d’une forte augmentation des dommages causés par le changement climatique, en minimisant les coûts de la transition et en réduisant les risques économiques pour les acteurs du système alimentaire les plus vulnérables. Enfin, elles doivent garantir l’accès à une alimentation durable et saine pour tous les consommateurs.

Avec une vision partagée de l’agriculture et de l’alimentation bas carbone, adaptée au climat de demain, la France pourrait porter la réforme de la Politique agricole commune de l’Union européenne de 2028. Elle pourrait également, grâce à des lois d’orientation nationale, permettre la réduction des émissions du secteur agricole par au moins un facteur deux d’ici à 2050, comme le montre notre rapport. De quoi se rapprocher le plus possible de la neutralité carbone pour le secteur agricole, en augmentant fortement le stockage de carbone dans les sols agricoles et dans la biomasse.


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Ceci réduirait la dépendance aux puits de carbone forestiers qui sont fragilisés par le changement climatique, et à la capture et au stockage de carbone technologique, qui sont des options plus coûteuses, limitées et risquées.

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